Entretien avec
Julien Salingue
Le 13 septembre 1993, les représentants de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et le gouvernement israélien signe, sur la pelouse de la Maison Blanche, à Washington, une « Déclaration de principes », plus connue sous le nom d’accords d’Oslo, qui en cinq ans, aurait du aboutir à la création d’un Etat palestinien viable et indépendant. Plus de 20 ans plus tard, il n’y a pas d’Etat palestinien. Pire, la domination israélienne sur les territoires occupés n’a jamais été aussi forte, la colonisation se poursuit à vitesse grand V et les Palestiniens continuent d’être mis en prison. Et on en oublierait presque la situation à Gaza…. Avec son nouveau livre, La Palestine d’Oslo, Julien Salingue, nous livre les clés essentielles pour mieux comprendre les raisons d’un tel échec. A lire absolument . Entretien conduit par le Courrier de l’Atlas.
Que vous inspirent les accords d’Oslo ?
Julien Salingue. Deux décennies après leur signature, il est difficile de porter un jugement positif sur les accords d’Oslo. Alors qu’ils ont été présentés, en 1993-1994, comme une étape décisive dans le règlement du conflit entre Israël et les Palestiniens, qui devait déboucher rapidement sur la coexistence de deux États, force est de constater qu’il n’en est rien aujourd’hui. L’emprise israélienne sur les territoires occupés n’a jamais été aussi forte, la colonisation se poursuit à une vitesse inégalée par le passé, la répression contre les Palestiniens, à l’image de ce qui s’est passé cet été à Gaza [opération dite Bordure protectrice, est d’une violence inouïe, et rien ne semble indiquer que ces tendances pourraient être inversées.
Loin d’avoir été une solution pour la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens, les accords d’Oslo ont en réalité contribué à diluer la question palestinienne en transformant une lutte de libération nationale en construction d’un pseudo-appareil d’État, l’Autorité Palestinienne (AP), intégré au dispositif de l’occupation et ne permettant donc pas de lutter contre cette dernière.
Êtes-vous surpris par l’échec des accords d’Oslo?
Julien Salingue. Absolument pas! Contrairement à une légende communément répandue, les accords d’Oslo ne réglaient absolument aucune des questions fondamentales : colonisation, occupation, réfugiés, etc. Les accords d’Oslo ouvraient une période dite « intérimaire », au terme de laquelle lesdites questions devaient être évoquées. Or, le principe même et les conditions de cette période intérimaire étaient annonciateurs du pire: l’État d’Israël s’engageait en effet à se «redéployer» au sein des territoires palestiniens (et non à se « retirer » des territoires palestiniens, la nuance est de taille), confiant la gestion des zones évacuées (appelées «zones autonomes») à une administration autochtone: l’AP. Or, et ce dès le début du « processus d’Oslo », les redéploiements israéliens ont été conditionnés à la capacité de l’AP à «gérer» ses zones autonomes, c’est-à-dire à y maintenir l’ordre. En d’autres termes, on a demandé aux Palestiniens de cesser de lutter pour leurs droits alors que ceux-ci n’étaient pas satisfaits, en échange de la promesse de leur éventuelle future satisfaction. Qui pouvait raisonnablement penser qu’un tel processus serait fonctionnel ?
Peut-on y trouver tout de même quelques points positifs ?
Julien Salingue. Évidemment, la fin de l’occupation directe et permanente des grandes villes et des camps de réfugiés palestiniens, et la fin de la tutelle israélienne sur les services de santé, sociaux, éducatifs, etc. ont pu représenter un soulagement pour tout ou partie de la population. De même, la naissance d’institutions palestiniennes, avec un parlement, des ministères, une Présidence, etc., ont apporté fierté et dignité chez nombre de Palestiniens. Tout le problème est que ces quelques acquis n’ont été obtenus qu’en échange d’un renforcement de l’occupation et de la colonisation israéliennes et de la promesse d’un renoncement à la lutte pour la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens. Jouir d’une « autonomie » et d’une « liberté » toutes relatives au sein de « zones autonomes » qui s’apparentent de plus en plus à des prisons à ciel ouvert n’était sans doute pas l’objectif de celles et ceux qui se sont soulevés à la fin des années 1980 contre l’occupation israélienne.
Qui est responsable de l’échec des accords d’Oslo ?
Julien Salingue. Je suis tenté de répondre que ce sont les accords d’Oslo qui sont responsables de l’échec des accords d’Oslo : il n’y a jamais eu de « processus de paix », seulement une poursuite de l’occupation par d’autres moyens. L’échec d’Oslo n’est pas l’histoire de rendez-vous manqués, de mauvais choix ou de mauvaise volonté de la part de l’un et/ou l’autre des acteurs. L’échec d’Oslo est l’échec programmé d’un processus par lequel on a tenté d’imposer aux Palestiniens de renoncer à leurs droits et de renoncer à les revendiquer, au nom d’une autonomie illusoire et d’un transfert d’une partie des compétences et prérogatives de l’administration coloniale à une administration autochtone sans réelle souveraineté. On pourrait donc dire que les responsables sont tous ceux qui ont entretenu l’illusion d’un «processus de paix» que la réalité démentait chaque jour. Mais bien évidemment, la problématique centrale demeure la même depuis des décennies : l’occupation et la colonisation israéliennes, et le déni de droits pour les Palestiniens.
Est-ce que les accords d’Oslo ont favorisé l’ascension du Hamas ?
Julien Salingue. En un sens, oui. Le Hamas s’est clairement opposé aux accords d’Oslo, affirmant qu’ils étaient une compromission inacceptable et un abandon des droits nationaux des Palestiniens. Ils ont donc refusé de rejoindre les institutions de l’autonomie, boycottant les élections, et affirmant que tôt ou tard il faudrait en revenir à la lutte directe contre l’occupation et que l’AP s’effondrerait. La poursuite de l’occupation et de la colonisation, les pratiques mafieuses de la direction de l’AP et l’échec du processus négocié ont donné raison au Hamas: ils sont apparus rapidement comme la seule organisation d’envergure nationale qui combinait à la fois assistance à la population, poursuite de la résistance et refus de la capitulation. D’où leur ascension, qui avait en réalité commencé dès les années 1980.
Le Hamas et l’Autorité Palestinienne (l’AP) peuvent-ils gouverner ensemble?
Julien Salingue. Gouverner, peut-être. En effet, la gestion d’un pseudo-appareil d’État comme l’AP se réduit de plus en plus un travail de « techniciens », sans réel enjeu d’orientation politique. Il faut gérer l’assistance à la population, la redistribution des aides internationales, les projets de « développement économique », les forces de sécurité, etc. Un gouvernement de « technocrates » soutenu par le Hamas et les proches d’Abbas est tout à fait envisageable, même si deux problèmes demeurent : le contrôle sur les aides internationales (l’argent) et sur les forces de sécurité (les armes). Ce sont sur ces deux points que les discussions achoppent régulièrement, et pour l’instant le gouvernement d’union ne tient que parce que le Hamas a décidé de se mettre en retrait de la gestion de l’appareil d’État.
Mais l’essentiel se situe ailleurs, et il concerne la stratégie pour la lutte de libération nationale, qui ne se confond pas, loin de là, avec la gestion de l’AP qui n’est, comme nous l’avons dit, qu’une administration. Quelles résistances ? Quel programme ? Quels rapports avec Israël ? Quelles exigences dans les négociations ? Quel système d’alliance internationale ? Etc. Autant de questions sur lesquelles le Hamas et la direction Abbas sont loin, très loin d’être en accord, et qui ne pourront se régler dans le cadre d’accords techniques sur la cogestion de l’appareil AP. Toute la question est la refonte du mouvement national palestinien, avec la perspective d’une nouvelle Organisation de Libération de la Palestine (OLP), intégrant l’ensemble des forces palestiniennes (dont le Hamas) et tirant le bilan de la tragicomédie du « processus d’Oslo ». (23 octobre 2014; propos recueillis par Nadir Dendoune)
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