Manifestation de Jewish Voice for Peace dans la rotonde du Capitol Hill: «Jews Say Cease Fire Now»

Dans la rotonde du Capitol Hill à Washington, le 18 octobre.

Par Dave Zirin

Le mercredi 18 octobre, plusieurs centaines de Juifs états-uniens, accompagnés de quelques Palestiniens, ont été arrêtés pour s’être assis dans la rotonde du Capitole. On a clamé, on a chanté, on a déployé des banderoles et on a délivré un message clair: Arrêtez la guerre contre Gaza, cessez les bombardements et mettez fin à la guerre d’Israël contre le peuple palestinien, qui ne doit plus être menée au nom des Juifs. Lorsque l’on a investi les lieux, on s’est débarrassés de nos vestes pour montrer des T-shirts noirs identiques sur lesquels on pouvait lire «Not In Our Name» sur le devant et «Jews Say Cease Fire Now» dans le dos.

Accompagnés par un shofar mélodieux [instrument de musique à vent fabriqué avec une corne de bélier], deux douzaines de rabbins [1] ont parlé de l’urgence morale du moment tandis que des milliers de Juifs scandaient «Cessez-le-feu maintenant» à l’extérieur du bâtiment. Ensemble, ils ont créé une véritable cacophonie dans la meilleure tradition de notre peuple. Ils ont rappelé nos ancêtres qui se sont tenus aux côtés des opprimés, qui ont aidé à construire le mouvement ouvrier et qui ont consacré leur vie à la lutte contre le racisme. Pendant des décennies, cette histoire a souvent semblé lointaine. Mercredi, elle a semblé renaître.

Jewish Voice for Peace a organisé le rassemblement quelques jours à l’avance, et les manifestant·e·s sont venus prêts à se faire entendre. Les agents chargés de l’arrestation n’ont cessé de demander aux gens s’ils allaient renoncer à leur droit de garder le silence, et c’est comme si tout le monde avait répondu «Bien sûr que oui!». [Aux Etats-Unis, lorsqu’un agent de police procède à une arrestation, il doit indiquer que la personne à le droit de garder le silence. Or les manifestants renonçaient à garder le silence sur «le conflit Israël-Palestine». La formule utilisée ici est donc à deux entrées. – Réd.]

Dans de nombreux endroits, le silence juif sur l’oppression des Palestiniens a régné pendant trop longtemps. Mais en ce moment de crise, les manifestant·e·s ont dit ce qui n’avait peut-être pas été dit lors des réunions de famille ou dans les lieux de culte: nous en avons assez, nous ne permettrons plus que la souffrance de notre peuple – les pogroms, l’Holocauste ou les meurtres du Hamas – soit utilisée comme une arme contre d’autres. Notre histoire nous confère une responsabilité supplémentaire: celle de parler au nom de ceux qui sont confrontés au spectre d’un génocide.

Pour le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le président Joe Biden, «plus jamais ça» est un slogan, un autocollant pour des pare-chocs, un cri de ralliement pour plus de carnage. Mais pour ceux qui se trouvent à l’intérieur et à l’extérieur du Capitole, «plus jamais ça» signifie exactement ce qu’il est censé signifier: «Plus jamais» nous ne permettrons que des masses de gens soient massacrées. Si le reste du monde ferme les yeux, le peuple juif se lèvera et témoignera. David Friedman, l’ambassadeur en Israël sous Donald Trump, a utilisé Twitter [X] pour affirmer: «Tout juif américain qui participe à ce rassemblement n’est pas un juif – oui, je l’ai dit!» Il suffit de dire que Friedman, qui a passé des années en tant que collaborateur du ouvertement antisémite Trump, n’est pas en charge de savoir qui peut être juif.

Presque certainement au grand dam de Friedman, les manifestant·e·s ont clairement indiqué qu’il n’y a rien d’antisémite à critiquer l’Etat israélien et qu’il n’y a rien de fanatique à s’opposer à l’aide et au soutien des Etats-Unis à la guerre d’Israël contre le peuple palestinien. Les diverses politiques de harcèlement et le fichage par des fonctionnaires puissants comme Friedman ont fait que des personnes de tous horizons ont eu peur de s’exprimer, de peur d’être traitées d’antisémites. Jewish Voice for Peace affirme que les gens doivent néanmoins s’élever contre le massacre et que cette peur et ce silence ont des conséquences tragiques.

Cette semaine à Washington a été historique: une résistance juive émergente a fait partie des manifestations quotidiennes à travers la ville. Lundi, un millier de personnes ont bloqué les entrées et sorties de la Maison Blanche. Des manifestations nocturnes ont eu lieu dans les allées du pouvoir. A l’heure où j’écris ces lignes, des Juifs sont arrêtés devant l’ambassade d’Israël à Washington [le 18 au soir]. Mais si le mercredi 18 octobre restera dans les mémoires, il était aussi trop restreint. Les centaines de Juifs présents dans la rotonde auraient dû être des milliers. Les plus de 1000 à l’extérieur du Capitole auraient dû être des dizaines de milliers. Ce moment exige une révolte juive contre les faux messies du cabinet de guerre de Netanyahou, des méga-églises évangéliques et de trop nombreux politiciens démocrates et républicains . Il ne s’agit pas de désigner une «équipe», comme l’a dit Biden [Biden en réunion avec Netanyahou a déclaré le mercredi 18 octobre que l’explosion ayant frappé le Gaza’s al-Ahli Baptist Hospital était de la responsabilité de l’autre équipe, «the other team»]. Il s’agit d’arrêter un massacre.

Les Juifs ne sont pas au centre de cette lutte. Nous faisons partie d’un mouvement de résistance mondial. Mais en tant que Juifs, nous avons l’obligation morale et politique d’essayer de mettre fin à la violence infligée en notre nom. Il est temps, enfin, de renoncer à notre droit de garder le silence. (Article publié sur le site The Nation, le 19 octobre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Dave Zirin est rédacteur auprès de The Nation. Il est l’auteur de 11 livres sur la politique du sport. Il est également le coproducteur et le scénariste du nouveau documentaire Behind the Shield: The Power and Politics of the NFL (National Football League).

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[1] Le New York Times du 18 octobre, à propos de cette manifestation, souligne la présence de rabbins et rapporte les propos de Linda Holtzman, rabbin de Philadelphie: «elle a déclaré qu’elle manifestait en raison de sa foi, de ses valeurs et de l’histoire juive, un thème repris par d’autres participants. Linda Holtzman, qui s’est dite préoccupée par l’intensification des violences contre les civils à Gaza, a rappelé que sa grand-mère avait survécu à l’Holocauste et qu’on lui avait appris à se battre pour toutes les vies humaines. “Là où il n’y a pas de justice, je dois être la voix de la justice», a-t-elle déclaré.» (Réd.)

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