Par Sasha Abramsky
La semaine dernière, les syndicats ont remporté leur dernière victoire s’inscrivant dans une longue série de succès en 2023. Suite à une grève de trois jours des infirmières, des techniciens des urgences et des pharmaciens au début du mois [voir à ce sujet l’article publié sur ce site le 5 octobre], et à la possibilité d’une nouvelle grève en novembre – organisée par la coalition de trois syndicats représentant 85 000 travailleurs et travailleuses – si un accord n’était pas conclu, le groupe hospitalier Kaiser Permanente a accepté un salaire minimum de 25 dollars de l’heure pour ses employé·e·s californiens. Ils représentent 90% de ses employés sont basés dans le Golden State. Un salaire horaire de 23 dollars a été accepté pour ses employé·e·s du reste du pays. Le géant de la santé a également accepté une augmentation de salaire de 21% sur une période de quatre ans pour les travailleurs et travailleuses, ainsi que l’embauche de personnel supplémentaire pour faire face aux pénuries chroniques d’agents.
L’accord a été finalisé lors d’une réunion à San Francisco qui s’est terminée au milieu de la nuit, sous la présidence de la secrétaire d’Etat au travail aux Etats-Unis par intérim, Julie Su [en fonction depuis le 11 mars 2023]. Il a reçu le soutien du président Biden et de la vice-présidente Kamala Harris, qui ont tous deux fait des déclarations fermes en faveur de la négociation collective et du droit d’organisation syndicale.
Les travailleurs et travailleuses du secteur de la santé ont été plus nombreux à se mettre en grève au cours de cette action de trois jours qu’ils ne l’avaient jamais été auparavant aux Etats-Unis, au cours d’une seule action. Cette grève a été considérée, à juste titre, comme un moment historique, au cours duquel les syndicats ont affirmé leur poids au sein du système de santé plus qu’ils n’avaient jamais réussi à le faire auparavant.
Cette grève ne doit pas être considérée comme un événement isolé. En fait, les syndicats se sont particulièrement profilés en Californie et récemment dans l’Ouest, avec des milliers de salarié·e·s syndiqués de l’hôtellerie en grève à Los Angeles [en octobre, avec une revendication portant sur les conditions de logement étant donné la distance entre leur travail et leur résidence], des acteurs de cinéma – toujours en grève – et des scénaristes qui ont obtenu un contrat avec des conditions favorables après leur action qui a duré des mois [du 2 mai au 27 septembre 2023]. A la fin de l’année dernière, les assistants de recherche de l’Université de Californie ont également réussi à faire grève pour obtenir des salaires plus élevés, de meilleurs avantages et une plus grande sécurité de l’emploi [de novembre à décembre 2022 avec des revendications portant sur le salaire minimum entre autres face à l’inflation, outre la stabilité accrue de l’emploi].
Au cours des dernières semaines, le gouverneur de Californie, Gavin Newsom [depuis janvier 2019], a pris le risque de se mettre à dos certains secteurs de salarié·e·s en opposant son veto à une série de lois favorables aux syndicats. Ces lois allaient d’une loi interdisant explicitement la discrimination sur le lieu de travail sur la base de la race jusqu’à des lois devant prolonger le préavis que les employeurs doivent donner à certains salarié·e·s avant de les licencier. Ces lois comprenaient également quelques projets de loi phares qui constituaient des priorités pour le mouvement syndical californien en plein essor. Gavin Newsom, prétextant que l’Etat ne pouvait pas se permettre d’assumer des obligations supplémentaires, a rejeté une loi qui aurait permis aux travailleurs et travailleuses en grève de bénéficier d’allocations de chômage. Il a aussi mis un terme à une loi qui aurait étendu une série de mesures de sécurité de l’emploi aux employé·e·s de maison.
Toutefois, le bilan des mesures de Gavin Newsom au cours de cette session législative est, dans l’ensemble, bon pour le monde du travail. En particulier, au cours des derniers jours de la session parlementaire, Gavin Newsom a promulgué une loi prévoyant une augmentation de salaire similaire à une partie de l’accord conclu avec Kaiser Permanente, établissant un salaire horaire de base de 25 dollars, à atteindre au cours de la prochaine décennie, pour tous les travailleurs du secteur de la santé de l’Etat. La Californie compte actuellement 455 000 travailleurs du secteur de la santé. Ce nombre est susceptible d’augmenter dans les années à venir en raison du vieillissement de la population et de l’accroissement des besoins en matière de soins de santé. Nombre de ces travailleurs et travailleuses se trouvent au bas de l’échelle des salaires. Beaucoup sont si peu payés qu’ils dépendent des prestations fédérales telles que Medicaid [programme géré par les Etats pour fournir une couverture maladie aux bas revenus, aux personnes âgées et aux handicapés] et SNAP [Supplemental Nutrition Assistance Program, programme d’aide alimentaire]. Désormais, ils recevront un salaire suffisant pour les sortir de la pauvreté.
Cela arrive peu après l’adoption d’une autre loi historique sur le travail, le Fast Food Accountability and Standards Recovery Act, qui instaure un salaire horaire minimum de 20 dollars dans la restauration rapide et qui entrera en vigueur en avril 2024. Cette loi a également créé un Conseil de la restauration rapide pour l’ensemble du secteur, qui fonctionnera au sein du Department of Industrial Relations [relations employeurs-employés] et sera habilité à ajuster le salaire horaire minimum pour les quelque 500 000 travailleurs et travailleuses de ce secteur en Californie au cours des cinq prochaines années. Elle fonctionnera comme recommandation concernant les normes de travail pour d’autres agences de l’Etat.
On ne saurait trop insister sur l’importance de cette loi. La création d’un conseil sectoriel – semblable à ceux qui réglementent des secteurs spécifiques de l’économie en Allemagne, avec le pouvoir de fixer les salaires et de recommander des changements dans les conditions de travail – représente un changement radical dans le fonctionnement de l’un des secteurs d’emploi modernes aux Etats-Unis où règnent les bas salaires et s’impose des normes très dures d’exploitation. Si cette loi s’avère efficace, elle pourrait bien servir de modèle à une législation similaire dans les Etats bleus [démocrates] du pays et contribuer à rééquilibrer fondamentalement les rapports de force entre les salarié·e·s et les employeurs.
Pour toutes ces raisons, les années 2022 et 2023 ont été parmi les plus importantes pour les conditions de travail en Californie. Elles ont également été plutôt bonnes pour les syndicats au niveau national, avec la grève de l’UAW contre les constructeurs automobiles dans le Michigan, Joe Biden devant rallier un piquet de grève. Les sondages d’opinion montrent qu’une grande partie du public soutient le syndicat UAW plutôt que les firmes dans cette lutte [seuls 9% des sondés soutiennent les trois grandes firmes automobiles]. Il faut rappeler l’importante victoire des travailleurs à la fin 2022 lors des négociations contractuelles dans le secteur du rail. [En septembre 2022, les 12 syndicats organisant les travailleurs de la majorité des compagnies – BNSF, Union Pacific, Norfolk Southern, CSX, Kansas City Southern et de Canadian National pour son réseau aux Etats-Unis – ont obtenu après menace de grève une augmentation de 24% et un bonus de 5000 dollars avec effet rétroactif à 2020.] Les salarié·e·s d’UPS, organisés par les Teamsters, ont obtenu des succès contractuels après avoir menacé de débrayer en l’absence d’un nouvel accord [voir sur ce site les articles publiés en date du 18 juillet, 24 et 26 août 2023].
On assiste à une renaissance à l’échelle nationale de la façon dont les syndicats sont perçus et dont la négociation collective est comprise. Il y a dix ans, seuls 45% des Américains avaient une opinion positive des syndicats. Aujourd’hui, plus de deux tiers d’entre eux soutiennent les syndicats. La Californie mène peut-être la marche, mais il ne faut pas croire que le mouvement ne peut pas s’étendre et ne s’étendra pas, non seulement à d’autres Etats bleus, mais aussi, de plus en plus, à des Etats rouges [républicains]. Après tout, si un employé de fast-food peut gagner 20 dollars de l’heure en Californie et un employé du secteur de la santé 25 dollars, pourquoi leurs collègues du Texas ou du Mississippi, par exemple, devraient-ils continuer à accepter un salaire aussi bas que le salaire minimum fédéral de 7,25 dollars de l’heure? (Article publié sur le site The Nation le 20 octobre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
Sasha Abramsky, qui écrit régulièrement pour The Nation, The Atlantic Monthly, The Village Voice, est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont The American Way of Poverty, Ed. Bold Type Books, 2014.
Soyez le premier à commenter