L’alliance Pentagone-complexe militaro-industriel s’enrichit avec la crise ukrainienne. Nouvelle ruée vers l’or et désastre en devenir

Par William D. Hartung et Julia Gledhill

L’invasion russe de l’Ukraine a apporté d’immenses souffrances à la population de ce pays, tout en suscitant des appels à l’augmentation des dépenses militaires tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Bien que cette guerre puisse s’avérer être une tragédie pour le monde, un groupe en profite déjà: les industriels de l’armement des Etats-Unis.

Avant même que les hostilités n’éclatent, les PDG des principales entreprises d’armement évoquaient la manière dont les tensions en Europe pourraient gonfler leurs bénéfices. En janvier 2022, lors d’une conférence téléphonique avec les investisseurs de sa société, Greg Hayes, PDG de Raytheon Technologies, s’est typiquement vanté que la perspective d’un conflit en Europe de l’Est et dans d’autres points chauds du globe serait bonne pour les affaires, ajoutant que «nous voyons, je dirais, des opportunités de ventes internationales… [L]es tensions en Europe de l’Est, les tensions en mer de Chine méridionale, toutes ces choses exercent une pression sur certaines dépenses de défense là-bas. Je m’attends donc à ce que nous en tirions un certain profit.»

Fin mars, dans un entretien accordé à la Harvard Business Review après le début de la guerre en Ukraine, Hayes a défendu la manière dont son entreprise allait tirer profit de ce conflit:

«Je ne m’excuse donc pas pour cela. Je pense qu’une fois de plus, nous reconnaissons que nous sommes là pour défendre la démocratie et le fait est que nous finirons par en tirer un certain bénéfice au fil du temps. Tout ce qui est expédié en Ukraine aujourd’hui, bien sûr, provient des stocks, soit du DoD [le ministère de la Défense], soit de nos alliés de l’OTAN, et c’est une excellente nouvelle. Nous finirons par devoir les réapprovisionner et nous en tirerons un avantage pour l’entreprise au cours des prochaines années.»

Des armes pour l’Ukraine, des profits pour les industriels

La guerre en Ukraine sera en effet une aubaine pour des entreprises comme Raytheon et Lockheed Martin. Tout d’abord, il y aura les contrats de réapprovisionnement en armes telles que le missile antiaérien Stinger de Raytheon et le missile anti-char Javelin produit par Raytheon/Lockheed Martin que Washington a déjà fourni à l’Ukraine par milliers. Cependant, le flux de profits le plus important proviendra des augmentations assurées des dépenses de «sécurité nationale» après le conflit, ici et en Europe, justifiées, du moins en partie, par l’invasion russe de l’Ukraine et le désastre qui s’en est suivi.

En effet, les transferts directs d’armes vers l’Ukraine ne reflètent déjà qu’une partie de l’argent supplémentaire destiné aux entreprises militaires des Etats-Unis. Rien que pour cette année fiscale, ces dernières sont assurées de récolter également des profits importants de l’Initiative d’assistance à la sécurité en Ukraine du Pentagone (Ukraine Security Assistance Initiative-USAI) et du programme de financement militaire étranger (Foreign Military Financing-FMF) du département d’Etat, qui financent tous deux l’acquisition d’armes et d’autres équipements étatsuniens, ainsi que la formation militaire. Ce sont, en fait, les deux principaux canaux d’aide militaire à l’Ukraine depuis le moment où les Russes ont envahi et se sont emparés de la Crimée en 2014. Depuis lors, les Etats-Unis ont engagé environ 5 milliards de dollars d’aide à la sécurité dans ce pays.

Selon le département d’Etat, les Etats-Unis ont fourni cette aide militaire pour aider l’Ukraine à «préserver son intégrité territoriale, sécuriser ses frontières et améliorer l’interopérabilité avec l’OTAN». Aussi, lorsque les troupes russes ont commencé à se masser à la frontière ukrainienne l’année dernière, Washington a rapidement fait monter les enchères. Le 31 mars 2021, le commandement américain pour l’Europe a déclaré une «crise potentielle imminente», compte tenu des quelque 100 000 soldats russes déjà présents le long de cette frontière et en Crimée. A la fin de l’année dernière, l’administration Biden s’était engagée à fournir 650 millions de dollars d’armement à l’Ukraine, notamment des équipements antiaériens et antiblindés tels que le missile antichar Javelin de Raytheon/Lockheed Martin.

Malgré ces niveaux élevés d’assistance militaire des Etats-Unis, les troupes russes ont effectivement envahi l’Ukraine en février. Depuis lors, selon les rapports du Pentagone, les Etats-Unis se sont engagés à fournir une aide militaire d’environ 2,6 milliards de dollars à ce pays, ce qui porte le total de l’administration Biden à plus de 3,2 milliards de dollars et continue d’augmenter.

Une partie de cette aide a été intégrée dans un paquet de dépenses d’urgence pour l’Ukraine en mars, qui exigeait l’achat direct d’armes auprès de l’industrie de la défense, notamment des drones, des systèmes de roquettes guidées par laser, des mitrailleuses, des munitions et d’autres fournitures. Les grandes sociétés militaro-industrielles vont maintenant chercher à obtenir des contrats du Pentagone pour livrer cet armement supplémentaire, alors même qu’elles se préparent à reconstituer les stocks du Pentagone déjà livrés aux Ukrainiens.

Sur ce front, en fait, les entreprises militaires ont de quoi se réjouir. Plus de la moitié des 6,5 milliards de dollars alloués au Pentagone dans le cadre du plan de dépenses d’urgence pour l’Ukraine sont destinés à la reconstitution des stocks du ministère de la Défense. Au total, les élus ont alloué 3,5 milliards de dollars à cet effort, soit 1,75 milliard de plus que ce que le président avait demandé. Ils ont également augmenté de 150 millions de dollars le financement du programme FMF du département d’Etat pour l’Ukraine. Et n’oubliez pas que ces chiffres ne comprennent même pas le financement d’urgence des coûts d’acquisition et de maintenance du Pentagone, qui sont garantis pour fournir des flux de revenus supplémentaires aux grands fabricants d’armes.

Mieux encore, du point de vue de ces entreprises, il reste de nombreuses bouchées à croquer dans la pomme de l’aide militaire à l’Ukraine. Le président Biden a déjà fait savoir très clairement que «nous allons donner à l’Ukraine les armes pour se battre et se défendre pendant les jours difficiles qui s’annoncent». On ne peut que supposer que d’autres contrats sont en cours.

Un autre effet secondaire positif de la guerre pour Lockheed, Raytheon et d’autres marchands d’armes comme eux est la pression exercée par Adam Smith (démocrate, Washington), président de la Commission des services armés de la Chambre des représentants, et Mike Rogers (Alabama), républicain de la commission, pour accélérer la production d’un missile antiaérien de nouvelle génération destiné à remplacer le Stinger. Lors de son audition de confirmation au Congrès [début avril], William LaPlante, le dernier candidat en date à la tête des acquisitions au Pentagone, a fait valoir que les Etats-Unis avaient également besoin de davantage de «chaînes de production à chaud» pour les bombes, les missiles et les drones. Considérez qu’il s’agit là d’un autre avantage en attente pour les grandes entreprises de l’armement.

La mine d’or du Pentagone

Pour les fabricants d’armes étatsuniens, cependant, les plus grands avantages de la guerre en Ukraine ne seront pas les ventes d’armes immédiates, aussi importantes soient-elles, mais la nature changeante du débat actuel sur les dépenses du Pentagone lui-même. Bien sûr, les représentants de ces entreprises mettaient déjà en avant le défi à long terme posé par la Chine, une menace largement exagérée, mais l’invasion russe n’est rien de moins qu’une manne tombée du ciel pour eux, le cri de ralliement ultime pour les partisans d’une augmentation des dépenses militaires. Même avant la guerre, le Pentagone devait recevoir au moins 7300 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, soit plus de quatre fois le coût du plan national du président Biden, Build Back Better, de 1700 milliards de dollars, déjà bloqué par les membres du Congrès qui l’ont qualifié de «trop cher», et de loin. Et n’oubliez pas que, compte tenu de la flambée actuelle des dépenses du Pentagone, ces 7300 milliards de dollars pourraient s’avérer un chiffre minimal.

En effet, des responsables du Pentagone comme la secrétaire adjointe à la Défense Kathleen Hicks ont rapidement cité l’Ukraine comme l’une des raisons de la proposition de budget record de 813 milliards de dollars de l’administration Biden pour la sécurité nationale, qualifiant l’invasion de la Russie de «menace aiguë pour l’ordre mondial». A une autre époque, cette exigence de budget pour l’année fiscale 2023 aurait été considérée comme stupéfiante, puisqu’elle est plus élevée que les dépenses au plus fort des conflits en Corée et au Vietnam et plus de 100 milliards de dollars de plus que ce que le Pentagone recevait annuellement au plus fort de la guerre froide.

Cependant, malgré son ampleur, les républicains du Congrès – rejoints par un nombre important de leurs collègues démocrates – font déjà pression pour obtenir davantage. Quarante membres républicains des commissions des services armés (Armed Services Committees) de la Chambre et du Sénat ont en effet signé une lettre adressée au président Biden demandant une croissance de 5% des dépenses militaires au-delà de l’inflation, ce qui pourrait ajouter jusqu’à 100 milliards de dollars à cette demande budgétaire. De manière assez typique, la représentante Elaine Luria (démocrate, Virginie), qui représente la région proche du chantier naval militaire de Newport News de la société Huntington Ingalls en Virginie, a accusé l’administration de «sabrer dans le budget de la marine» parce qu’elle envisage de mettre hors service certains vieux navires [dépenses de mise à niveau] pour faire place à de nouveaux. Cette plainte a été déposée en dépit du fait que ce service prévoit de dépenser 28 milliards de dollars pour de nouveaux navires au cours de l’exercice 2023.

Qui en profite?

Cette augmentation prévue des fonds destinés à la construction navale fait partie d’une enveloppe de 276 milliards de dollars proposée dans le nouveau budget pour l’acquisition d’armes, ainsi que pour la recherche et le développement. C’est là que les cinq principaux contractants producteurs d’armes – Lockheed Martin, Boeing, Raytheon, General Dynamics et Northrop Grumman – gagnent le plus d’argent. Ces entreprises se partagent déjà plus de 150 milliards de dollars de contrats avec le Pentagone chaque année, un chiffre qui montera en flèche si l’administration et le Congrès parviennent à leurs fins. Pour replacer tout cela dans son contexte, une seule de ces cinq premières entreprises, Lockheed Martin, a reçu 75 milliards de dollars de contrats du Pentagone pour la seule année fiscale 2020. C’est considérablement plus que le budget total du département d’Etat, ce qui prouve de façon spectaculaire à quel point les priorités de Washington sont faussées, malgré la promesse de l’administration Biden de «mettre la diplomatie au premier plan».

La liste des souhaits du Pentagone en matière d’armement pour l’exercice 2023 est un catalogue de la manière dont les grandes entreprises vont encaisser leur argent. Par exemple, le nouveau sous-marin lanceur de missiles balistiques de classe Columbia, construit par l’usine General Dynamics Electric Boat dans le sud-est du Connecticut, verra son budget proposé pour l’exercice 2023 passer de 5 à 6,2 milliards de dollars. Les dépenses consacrées au nouveau missile balistique intercontinental (ICBM) de Northrop Grumman, le Ground Based Strategic Deterrent, augmenteront d’environ un tiers par an, pour atteindre 3,6 milliards de dollars. La catégorie «défense et neutralisation des missiles», une spécialité de Boeing, Raytheon et Lockheed Martin, devrait recevoir plus de 24 milliards de dollars. Et les systèmes d’alerte aux missiles situés dans l’espace [système spatial de détection des missiles balistiques intercontinentaux], un élément essentiel de la Space Force créée par l’administration Trump, passeront de 2,5 milliards de dollars pour l’exercice 2022 à 4,7 milliards de dollars dans le budget proposé cette année.

Parmi toutes ces augmentations, il y a eu une seule surprise: une proposition de réduction des achats de l’avion de combat F-35 de Lockheed Martin, en difficulté, de 85 à 61 avions pour l’exercice 2023. La raison en est assez claire. Cet avion présente plus de 800 défauts de conception identifiés et ses problèmes de production et de performance sont tout simplement légendaires. Heureusement pour Lockheed Martin, cette baisse des effectifs ne s’est pas accompagnée d’une réduction proportionnelle du financement [il est vrai que la Suisse et l’Allemagne commandent des F-35]. Alors que les avions nouvellement produits pourraient être réduits d’un tiers, l’allocation budgétaire réelle pour le F-35 diminuera de moins de 10%, passant de 12 à 11 milliards de dollars, un montant supérieur au budget discrétionnaire complet des Centers for Disease Control and Prevention (CDC-Centres pour le contrôle et la prévention des maladies).

Depuis que Lockheed Martin a remporté le contrat du F-35, les coûts de développement ont plus que doublé, tandis que les retards de production ont fait reculer l’avion de près d’une décennie. Néanmoins, les services militaires ont acheté un si grand nombre de ces avions que les fabricants n’arrivent pas à répondre à la demande de pièces de rechange. Et pourtant, l’efficacité au combat du F-35 ne peut même pas être testée correctement, car le logiciel de simulation nécessaire est non seulement inachevé, mais il n’y a même pas de date d’achèvement prévue. Le F-35 est donc à des années-lumière de la production d’avions qui fonctionnent réellement comme prévu, si tant est que cela soit possible un jour.

Un certain nombre de systèmes d’armes qui, dans la conjoncture de la guerre en Ukraine, sont assurés d’être inondés d’argent sont si dangereux ou dysfonctionnels que, comme le F-35, ils devraient être progressivement abandonnés. Prenez le nouveau ICBM (missile balistique intercontinental). L’ancien secrétaire à la Défense William Perry a qualifié les ICBM d’«armes parmi les plus dangereuses au monde», car un président ne disposerait que de quelques minutes pour décider de les lancer en cas de crise, ce qui augmenterait considérablement le risque d’une guerre nucléaire accidentelle basée sur une fausse alerte. Il n’est pas non plus judicieux d’acheter des porte-avions à 13 milliards de dollars l’unité, d’autant plus que la dernière version a même du mal à lancer et à faire atterrir des avions – sa fonction première – et qu’elle est de plus en plus vulnérable aux attaques des missiles à grande vitesse de la prochaine génération.

Les quelques points positifs du nouveau budget, comme la décision de la marine de retirer du service les navires de combat littoraux (Littoral Combat Ship), inutiles et inexploitables – une sorte de «F-35 des mers» conçu pour de multiples tâches dont il ne s’acquitte pas bien – pourraient facilement être annulés par les partisans des Etats et des districts où ces systèmes sont construits et entretenus. La Chambre des représentants, par exemple, dispose d’un puissant groupe de travail sur les avions d’attaque interarmées (Joint Strike Fighter Caucus) qui, en 2021, a rassemblé plus d’un tiers de tous les membres de la Chambre pour faire pression en faveur d’un nombre de F-35 supérieur à celui demandé par le Pentagone et l’armée de l’air, comme ils le feront sans doute encore cette année. Un caucus (groupe parlementaire) sur la construction navale, coprésidé par les représentants Joe Courtney (démocrate, Connecticut) et Rob Wittman (républicain, Virginie), luttera contre le plan de la marine visant à retirer les vieux navires pour en acheter de nouveaux. (Ils préféreraient que la marine garde les anciens navires et en achète de nouveaux en utilisant davantage l’argent de vos impôts.) De même, la «Coalition ICBM», composée de sénateurs d’Etats disposant de bases ou de centres de production d’ICBM, a un bilan presque parfait en matière de lutte contre les réductions du déploiement ou du financement de ces armes et sera, en 2022, à pied d’œuvre pour défendre son allocation budgétaire.

Vers une nouvelle politique

L’élaboration d’une politique de défense sensée, réaliste et abordable, qui constitue toujours un défi, le sera encore plus au milieu du cauchemar ukrainien. Pourtant, compte tenu de l’utilisation de l’argent de nos contribuables, cela n’en vaut que trop la peine. Une telle nouvelle approche devrait inclure des éléments tels que la réduction du nombre de contractants privés du Pentagone, des centaines de milliers de personnes, dont beaucoup sont engagées dans des tâches tout à fait redondantes qui pourraient être effectuées à moindre coût par des employés civils du gouvernement ou simplement éliminées. On estime qu’une réduction de 15% des dépenses consacrées aux contractants permettrait d’économiser environ 262 milliards de dollars sur 10 ans.

Le plan de «modernisation» du Pentagone, qui s’étend sur trois décennies et s’élève à près de 2000 milliards de dollars, et qui vise à construire une nouvelle génération de bombardiers, de missiles et de sous-marins à armement nucléaire, ainsi que de nouvelles ogives, devrait, par exemple, être purement et simplement abandonné, conformément à la stratégie nucléaire de «stricte dissuasion» élaborée par l’organisation de politique nucléaire Global Zero. Et l’incroyable impact militaire mondial des Etats-Unis – une invitation à de nouveaux conflits qui comprend plus de 750 bases militaires réparties sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique, et des opérations antiterroristes dans 85 pays – devrait, à tout le moins, être fortement réduite.

Selon le groupe de travail sur la défense durable du Center for International Policy et une étude sur les approches alternatives de la défense réalisée par le Congressional Budget Office, même une refonte stratégique relativement minimaliste pourrait permettre d’économiser au moins 1000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, ce qui serait suffisant pour effectuer un versement initial salutaire en faveur d’investissements dans la santé publique, la prévention ou l’atténuation des pires impacts potentiels du changement climatique, ou pour commencer à réduire les niveaux records d’inégalité des revenus.

Bien sûr, aucun de ces changements ne peut se produire sans remettre en question le pouvoir et l’influence du complexe militaro-industriel du Congrès, une tâche aussi urgente que difficile en ce moment de carnage en Europe. Aussi difficile soit-elle, cette lutte vaut la peine d’être menée, tant pour la sécurité du monde que pour l’avenir de la planète. Une chose est certaine: une nouvelle ruée vers l’or des dépenses de «défense» est un désastre en devenir pour tous ceux et celles d’entre nous qui ne sont pas partie prenante de ce complexe. (Article publié sur le site Tom Dispatch, le 17 avril 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

William D. Hartung est le directeur du programme sur les armes et la sécurité du Center for International Policy. Voir des articles de W.D. Hartung publiés sur le site A l’Encontre en date du 6 février 2022 et du 29 septembre 2021.

Julia Gledhill est analyste au Center for Defense Information du Project On Government Oversight.

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