Etats-Unis-Irak. «Encore réexaminer la guerre en Irak, 20 ans plus tard…»

Par Melvin Goodman

«Ne vous inquiétez pas, c’est du tout cuit.»

-Réponse du directeur de la CIA, George Tenet, à la demande du président Bush de fournir à la population des Etats-Unis des renseignements sur les armes de destruction massive de l’Irak, le 21 décembre 2002.

«Le président des Etats-Unis et le secrétaire à la Défense n’affirmeraient pas aussi clairement et crûment que l’Irak possède des armes de destruction massive si ce n’était pas vrai et s’ils ne disposaient pas d’une base solide pour le faire.»

– Art Fleischer, porte-parole de la Maison Blanche, 4 décembre 2002.

«Mais pour ceux qui disent que nous n’avons pas trouvé les dispositifs de fabrication ou les armes interdites, ils se trompent, nous les avons trouvés.»

– Président George W. Bush, 30 mai 2003.

La décision prise par les Etats-Unis de partir guerre contre l’Irak, il y a 20 ans, a marqué la pire décision stratégique d’un président états-unien dans l’histoire, ainsi que le pire scandale en matière de renseignement. Mais le New York Times et le Washington Post voudraient vous faire croire que le manque de «planification et d’effectifs» a été au cœur de «notre» échec. Aucun des deux quotidiens n’a mentionné la longue série de mensonges et de désinformations en matière de renseignement qui ont marqué la période précédant la guerre, ni les crimes de guerre évidents qui ont été commis avec le soutien de la Maison Blanche, du ministère de la Justice et de la Central Intelligence Agency (CIA).

L’essai de Max Fisher dans le NYT du 19 mars était particulièrement opaque parce qu’il s’attardait sur l’incapacité à déterminer les mobiles des Etats-Unis. Max Fisher cite Richard Haass, haut fonctionnaire du Département d’Etat à l’époque de l’invasion, qui dirige actuellement le Council on Foreign Relations, concluant de manière insondable que la décision d’entrer en guerre «n’a pas été prise. Une décision a été prise, et on ne peut pas dire quand ni comment.»

Mais nous savons exactement qui a pris la décision d’entrer en guerre. Nous savons certainement quand et pourquoi cette décision a été prise. La décision elle-même n’avait rien à voir avec les armes de destruction massive ou avec l’affirmation bidon selon laquelle Saddam aurait été impliqué d’une manière ou d’une autre dans la tragédie du 11 Septembre. La décision portait sur un changement de régime. La CIA a préparé une information fallacieuse en octobre 2022, qui a servi de base au discours fallacieux que le secrétaire d’Etat Colin Powell a prononcé devant les Nations unies en février 2003. Des hauts fonctionnaires du département d’Etat ont tenté d’empêcher Colin Powell de camper à la CIA, où le discours a été rédigé et défendu par des hauts fonctionnaires de l’Agence, sous la houlette du directeur adjoint John McLaughlin.

Par ailleurs, Max Fisher cite Elizabeth Saunders, universitaire de Georgetown, qui affirme que «si l’on veut éviter que cela ne se reproduise, il faut établir un bon diagnostic». Elisabeth Saunders croit-elle vraiment que les décideurs politiques états-uniens tirent des leçons de l’histoire? Elisabeth Saunders connaît-elle les guerres menées par les Etats-Unis contre le Mexique dans les années 1840, l’Espagne dans les années 1890 et le Nord-Vietnam dans les années 1960, qui ont été déclenchées sur la base de mensonges et de désinformation?

Max Fisher conclut avec l’argument malvenu d’Elisaberth Saunders selon lequel peu importe ce que nous savons sur les faits de l’invasion de 2003, «une partie restera fondamentalement inconnue». Ce qui est en fait inconnaissable, c’est de savoir si un leadership honnête de la part du secrétaire d’Etat Powell, du directeur de la CIA George Tenet, du directeur adjoint de la CIA John McLaughlin et d’une CIA désireuse de dire la vérité au pouvoir aurait pu susciter une plus grande opposition à la guerre de la part du Congrès, des médias et de l’opinion publique.

Dans le Washington Post, Rajiv Chandrasekaran, chef du bureau du journal à Bagdad au moment de l’invasion, affirme que «l’Irak se rétablit» de ce qu’il qualifie gentiment d’«imprudence» des Etats-Unis. Rajiv Chandrasekaran reproche aux Etats-Unis d’être entrés en guerre sans «véritable plan» pour la «libération de Bagdad». En tant qu’enseignant au National War College en 2002-2003, j’ai reçu des informations classifiées du Pentagone qui indiquaient clairement qu’il n’y avait jamais eu de plan pour l’après-guerre ou la prétendue libération parce que l’objectif des Etats-Unis était d’éliminer Saddam Hussein et de partir ensuite. Aucun haut responsable du Pentagone ne s’attendait à ce que les forces armées des Etats-Unis restent en Irak au-delà des quatre à six mois nécessaires pour éliminer Hussein, ce qui explique l’absence de «planification et d’effectifs».

Une rétrospective digne de ce nom rappellerait à la population des Etats-Unis les efforts déployés par le président (George W. Bush), le vice-président (Dick Cheney), le secrétaire d’Etat (Colin Powell), le secrétaire à la Défense (Donald Rumsfeld), la conseillère à la Sécurité nationale (Condoleezza Rice), ainsi que le directeur et le directeur adjoint de la CIA, pour créer et mettre en œuvre une campagne de désinformation stratégique visant à convaincre le Congrès et la population des Etats-Unis de la nécessité d’une guerre qui a finalement coûté la vie à 4600 soldats états-uniens et à des centaines de milliers de civils irakiens. Dans ce contexte notre «motivation» semble sans valeur. La campagne visant à manipuler l’opinion publique états-unienne et mondiale est déterminante et doit être pleinement comprise. Quel que soit le critère retenu, l’administration Bush et ses principaux responsables des milieux politiques et du renseignement doivent être considérés comme extrêmement irresponsables.

Ironiquement, le père Bush, «notre» 41e président, a affirmé dans les années 1990 que l’utilisation abusive de la puissance militaire des Etats-Unis pourrait conduire à la dislocation de l’Etat irakien et compromettre l’équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient et dans le golfe Persique. Plus ironique encore, Joe Biden, «notre» 46e président, a été dénigré pour avoir défendu la «partition douce» de l’Irak en un nord kurde, un ouest et un centre sunnites, et un sud chiite, ce qui décrit l’état actuel de l’Irak. Enfin, «notre» 43e président, le jeune Bush, a condamné Vladimir Poutine pour la «décision d’un seul homme de lancer une invasion totalement injustifiée et brutale de l’Irak» [voir la vidéo de ce lapsus ici]. Bush s’est rapidement corrigé, mais la référence à «totalement injustifiée et brutale» est certainement d’actualité.

Une rétrospective sérieuse de la guerre d’Irak devrait aborder la question des crimes de guerre, non seulement les programmes de torture et d’abus de la CIA et les transferts «spéciaux» de prisonniers, mais aussi les mémorandums du ministère de la Justice qui ont sanctionné les actes de torture et les abus; et surtout la question de savoir si le président lui-même et ses hauts responsables ont commis des «crimes contre la paix». Comme l’a fait remarquer James Risen [journaliste travaillant pour le New York Times], il serait «difficile d’éplucher toutes les couches de tromperie qui ont enveloppé la guerre». (Article publié sur le site Counterpunch, le 24 mars 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Melvin A. Goodman est maître de conférences au Centre de politique internationale et professeur à l’Université Johns Hopkins.

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