Nicaragua 2020. La concentration extrême de la richesse et le pouvoir dictatorial d’Ortega

Par Oscar-René Vargas

  1. Selon le Rapport mondial sur les ultra-riches, il y a 210 millionnaires au Nicaragua qui accumulent, actuellement, plus de richesses que six millions de Nicaraguayens. Un gouvernement progressiste devrait veiller à ce que les riches paient leurs impôts et utilisent ces revenus pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres (plus de 50% de la population): eau potable, santé et éducation de qualité.
  2. Ces dernières années (2007-2020), non seulement le nombre de millionnaires a augmenté, mais aussi le niveau de leur richesse et cela au prix d’une baisse du niveau de revenu des secteurs populaires (salarié·e·s, ouvriers, classes moyennes et inférieures). Le problème n’est pas qu’ils soient millionnaires, mais ces «entrepreneurs» ont accumulé leur richesse au détriment de la majorité de la population.
  3. À notre époque de crise profonde, il y a plus de millionnaires que jamais. La fortune accumulée des 210 millionnaires détient la part la plus élevée, en pourcentage, de la richesse totale du pays au cours siècle dernier et peut-être dans l’histoire du Nicaragua. Les 210 personnes les plus riches possèdent, au total, une fortune équivalente à celle détenue par quatre millions des habitants les plus pauvres.
  4. Selon la Banque centrale du Nicaragua (BCN), au cours de la période de cinq ans allant de 2011 à 2015, le taux d’investissement en capital fixe (machines, équipements et construction) a été de 23,69% du PIB en moyenne, bien en dessous du tiers (33,0%) qui est considéré comme le minimum satisfaisant pour les pays dont l’économie est «attardée».
  5. L’investissement privé, qui génère de l’emploi, selon la BCN, a diminué de 11,1 points de pourcentage entre 2007 (25,9%) et 2014 (14,8%). Plus grave encore, l’investissement dans la composante «machines et équipements» a chuté de 26,8%.
  6. L’investissement direct étranger a participé à hauteur de 72% du total de l’investissement en capital du secteur privé, une proportion qui illustre le peu «d’effort» fait par les investisseurs privés du pays. Leur participation s’élève à 28%. En d’autres termes, les capitaux privés ont bénéficié d’exemptions fiscales dans le but de stimuler l’investissement. Mais ces mesures ne se sont pas traduites par des investissements. Les privilégiés fiscaux se sont tout simplement enrichis.
  7. Selon les données du Yearbook of Macroeconomic Statistics 2019 de BCN, le taux d’investissement dans la formation brute de capital fixe était de 28,8% en 2017 et de 18,4% en 2019. Cela signifie que, malgré les avantages reçus, les investissements privés dans la modernisation de leurs entreprises agricoles et industrielles n’ont jamais atteint le minimum, dit satisfaisant, de 33,0%. Pour les grands capitaux, la science et la technologie ne jouent pas un rôle important dans le développement futur du pays.
  8. Entre 1995 et 2015, l’investissement annuel moyen dans les biens d’équipement au Nicaragua a atteint 456,7 millions de dollars. Au cours de cette même période, les investissements dans l’achat de machines et d’outils agricoles n’ont atteint que 39,94 millions de dollars, soit 8,75% du total des investissements en biens d’équipement.
  9. Le paradoxe est que la campagne (l’agriculture et l’élevage) est le secteur qui génère le plus de travail, le plus de produits d’exportation et est le secteur où l’on investit le moins en vue augmenter la productivité. La campagne est le plus grand pourvoyeur de devises étrangères grâce au café, au sucre, à la viande, a lait, au fromage, aux haricots, au cacao et autres produits d’exportation non traditionnels. Dans le même temps, la campagne fournit les produits du panier alimentaire de base et emploie directement plus de 600 000 personnes.
  10. L’investissement fixe brut et la consommation des ménages, deux indicateurs qui reflètent l’état de la demande intérieure dans l’économie, ont diminué pendant trois années consécutives depuis la crise ouverte, donc de 2018 à 2020. On ne s’attend pas à ce que ces indicateurs se redressent en 2021 – surtout en ce qui concerne la consommation – étant donné la récession et la destruction d’emplois.
  11. Il n’est pas vrai que la richesse des entrepreneurs millionnaires soit le résultat de leurs capacités d’innovations ou qu’ils soient capables d’intégrer des avancées technologiques qui amélioreraient la croissance économique ou l’emploi. Les avantages extraordinaires les plus importants qu’ils ont obtenus sont le fruit des réductions de la contribution fiscale des entreprises et des grands patrimoines.
  12. L’origine des plus grandes fortunes du pays n’est pas précisément le «mérite», l’innovation ou une plus grande efficacité mais est le produit, en plus de l’héritage, d’un pouvoir politique qui facilite l’information privilégiée et/ou les faveurs attribuées par le pouvoir politique afin que soient édictées des lois et des règles favorables à leurs intérêts.
  13. Il n’est pas vrai qu’il existe un prétendu effet positif de l’inégalité et de l’existence de personnes très riches pour le reste de l’économie (le dit «effet d’entraînement»). Il n’est pas non plus vrai, comme le prétend le dogme néo-classique, que plus les gens sont riches, plus la richesse est «déversée» sur la société dans son ensemble (ladite théorie du «ruissellement», du «trickle down»).
  14. Moins d’impôts et plus d’inégalités vont de pair avec moins de croissance économique et plus de chômage, d’où qu’il ne faut pas avoir peur d’augmenter les impôts qui taxent les millionnaires car cela ne produira pas moins d’activités ou moins d’emplois, bien au contraire.
  15. Il est indéniable que l’extraordinaire concentration de la richesse qui s’est produite ces dernières années s’est accompagnée d’une diminution de l’emploi, d’une réduction des droits individuels et sociaux, d’une diminution de la fourniture de biens publics essentiels et de marchés plus concentrés, et donc d’une plus grande inefficacité. Et, en même temps, de plus d’injustice et de moins de démocratie parce que cet accaparement concentré de richesse a augmenté le pouvoir de ceux qui peuvent décider de tout en dehors de la politique représentative grâce à leur contrôle sur les partis et les pouvoirs de l’État.
  16. Le secteur des affaires (le grand capital) a toujours vécu et est resté rentable grâce à sa relation avec le gouvernement, quel qu’il soit. Il attend l’appel du pouvoir politique du moment, pour lui offrir le OUI tant attendu, au point de se vanter plus tard de ce qu’ils ont fait. Ce qu’ils veulent, c’est conserver leur patrimoine et chercher, avec l’aide du gouvernement, comment l’augmenter de manière extrême, et pour cela, y compris écraser tous ceux qui se tiennent devant eux, autrement dit en augmentant le taux d’exploitation des travailleurs. Que peut-on attendre d’un membre du grand capital, qui ne vit même pas dans le pays, qui est absentéiste?
  17. Une lutte démocratique implique de faire en sorte que les 210 millionnaires qui dominent le pays soient contraints de participer au «maintien» de la société. Une telle lutte implique dès lors de neutraliser leurs abus de pouvoir et de les sanctionner, de poursuivre et de sanctionner la corruption régnant dans la sphère gouvernementale, de sanctionner l’enrichissement «inexplicable», etc. Tout cela n’est même pas un objectif politique ou idéologique, mais un impératif éthique qui devrait être défendu par toute personne consciente, sensible et honnête pour l’avenir du pays et des générations futures.
  18. Un gouvernement démocratique doit mettre en œuvre un nouveau modèle de développement multidimensionnel basé sur des marchés intérieurs et extérieurs qui se renforcent mutuellement. La logique sous-jacente consiste à conduire la transformation d’une économie basée sur les exportations et les investissements étrangers en une économie dans laquelle la demande intérieure joue un rôle important. (22 décembre 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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