Brésil. Un pays fragmenté. Les sondages au 26 octobre

Les deux néo-fascistes, Rodrigo Amorim et Daniel Silviera, brandissant
la plaque commémorative de l’assassinat de Marielle Franco

Par Raúl Zibecchi

Seul le nom, la géographie des collines et des baies, et un peu plus restent de la «ville merveilleuse». L’avenue principale, Presidente Vargas, large, entourée d’immenses et luxueux bâtiments, semble déserte le samedi à 21 heures. Désertée et dans l’obscurité. Sous les arcades des grands bâtiments, il y a une file d’attente interminable pour passer la nuit. «Mendiants», lance quelqu’un depuis une voiture qui s’arrête à peine aux feux rouges par peur d’un vol.

Quelques jours plus tard, Junior, un jeune militant qui me conduit à travers la ville, m’explique que beaucoup de prétendus mendiants sont en fait des travailleurs précaires de la région, qui choisissent de dormir dans la rue parce qu’ils n’ont pas d’argent pour se payer le bus qui les conduirait chez eux: cela coûterait au moins huit reais (presque deux dollars) par jour.

Lorsque nous quittons l’avenue du Brésil par une ruelle mal éclairée, couverte d’immenses nids-de-poule, le conducteur du véhicule nous demande d’allumer les lumières intérieures et d’enlever nos ceintures de sécurité. «Ils ont besoin de voir qui entre dans la favela, et ils peuvent confondre les ceintures avec des armes d’épaule.» Le même rituel est répété chaque fois que nous entrons dans le Maré, un réseau de 16 favelas à quelques kilomètres de l’aéroport de Galeão, près de la baie de Guanabara.

Nous avons laissé la voiture à Morro de Timbau, la première communauté construite au début du XIXe siècle au milieu des mangroves. Les heures passent et l’activité ne s’arrête pas. Les magasins sont ouverts, les voisins dans les rues, les jeunes femmes lissant leurs cheveux et les «jeunes de garde» marquent la présence sur leurs motos.

«Personne ne parle de politique ici», dit un voisin qui nous accueille toujours dans son bar à bière artisanal. «Mais tout le monde sait ce que pense le voisin.» Un magasin de marijuana, illégal au Brésil, est contrôlé par un groupe de jeunes hommes qui ne cachent pas leur sympathie pour Bolsonaro. Les femmes, en revanche, n’expriment pas leurs opinions, car leurs vieilles craintes et leur méfiance sont bien renforcées par les meurtres anonymes qui sont courants dans la favela.

• Rodrigo Amorim, député de l’État de Rio de Janeiro, du même parti Bolsonaro, le PSL (Parti social-libéral), a été élu à l’Assemblée législative régionale comme le candidat le plus voté. La principale lettre de présentation d’Amorim, un avocat terne qui se définit comme «cent pour cent conservateur», était d’exposer publiquement la plaque placée en hommage à la conseillère municipale Marielle Franco du PSOL (Parti socialisme et liberté), tuée il y a quelques mois (14 mars 2018), comme une sorte de trophée de guerre. [Cette plaque commémorative avait été mise sur la Place Floriano, une des plus grandes places publiques de Rio. Amorim l’a fait en compagnie d’un autre candidat du PSL, Daniel Silviera. Ensemble, ils lançaient «mort du PT» et d’autres insanités, tout cela en se filmant eux-mêmes et en le diffusant, avec un sentiment d’impunité.]

Le député assure que son principal adversaire à la Chambre sera précisément le parti de l’assassinée [Marielle Franco], les Noirs, les féministes et les lesbiennes, qui s’étaient caractérisés par leurs dénonciations constantes contre la corruption et la connivence des politiciens avec les mafias. Comme si cela ne suffisait pas, il nous assure qu’il va disputer la présidence de la Commission des droits de l’homme à la gauche, qu’il a toujours dirigée [à Rio].

«Alerta Ipanema» est une autre perle de cette ville [Ipanema est un quartier riche, chic et branché de la zone Sud de la ville]. Il s’agit d’une page ouverte l’année dernière sur Facebook où les habitants du quartier exclusif demandent des sanctions pour ceux qui aident ceux qui vivent dans la rue, que ce soit avec de l’argent, des vêtements ou de la nourriture. Dans ce dernier cas, insistent-ils, la peine devrait être plus sévère.

Le journaliste d’Outras Palavras, qui a enquêté sur ces événements, affirme qu’il s’agit d’un «fascisme de tous les jours», qui inclut également des célébrations lorsque la police tue des présumés criminels. L’administrateur de la page soutient que les mendiants vont dans ce quartier prestigieux parce que les voisins, presque tous les voisins, leur donnent à manger. Cependant, certains ne comprennent pas pourquoi ils seraient punis pour avoir fait ce qu’ils ont toujours fait: donner à manger à ceux qui ont faim, comme la Bible leur enseigne.

«Il y a une radicalisation de l’identité.» «Les gens sont plus à droite, plus conservateurs et plus antiféministes», a déclaré Pablo Ortellado, coordinateur d’une enquête qui analyse le profil des manifestants pro-Bolsonaro, après la manifestation de dimanche dernier [le 21 octobre] à São Paulo, où le candidat du PSL a augmenté son attaque contre le Parti des travailleurs (édition numérique brésilienne de El País, 23 octobre 2018).

En comparant les résultats des près de cinq cents entretiens réalisées dimanche avec les opinions recueillies lors des précédentes manifestations de droite entre 2015 et 2017, Ortellado est arrivé à des conclusions effrayantes: ceux qui se définissent comme «très conservateurs» sont passés de 44 à 74% des manifestant·e·s, les antiféministes de 56 à 70% et les «très anti-pétistes» sont à hauteur de 91%.

Les personnes interrogées accusent le PT de soutenir des «dictatures comme celle du Venezuela» et pensent que le PT est le parti le plus corrompu et qu’il a «coulé l’économie». Plus des deux tiers des manifestant·e·s (67%) se sont définis comme blancs et, ce qui est le plus impressionnant, 71% d’entre eux ont une formation universitaire. Ils défendent la «famille traditionnelle» et se méfient des grands médias, au point que seulement 14% des personnes interrogées font confiance à O Globo (un ensemble de médias très officialiste] et 7% seulement à Folha de São Paulo.

• Jair Bolsonaro n’était pas présent mais a envoyé un message enregistré à la manifestation du dimanche 21 octobre, dans lequel il distille sa haine face à la gauche: «Faisons disparaître ces bandits rouges de la carte du Brésil. Si vous voulez rester ici, vous devez vous soumettre à la loi. Soit ils sortent, soit ils vont en prison.» Il a attaqué durement le Mouvement des sans-terre (MST), assurant que ses actions seront qualifiées de terrorisme. Dans l’une de ses dernières apparitions publiques, le mardi 23 octobre, Bolsonaro s’en est pris contre les actions dites de «discrimination positives» – en fait d’«actions positives quand on ne se limite pas à la traduction anglicisée – envers les groupes défavorisés, qui, sous les gouvernements du PT, ont entraîné des quotas pour les Noirs et les femmes dans les universités et les emplois publics.

Dans un entretien télévisé, Bolsonaro a déclaré que c’est «une façon de diviser la société» et que «nous ne devrions pas avoir de classes spéciales par couleur de peau, choix sexuel ou région», car «nous sommes tous égaux devant la loi» (site du quotidien économique O Valor.com.br, 23 octobre 2018). Au lieu de quotas, il défend la «méritocratie», parce qu’il croit que quiconque fait un effort peut arriver là où il veut aller.

Ceux qui pensent que c’est un homme sans cervelle ont tort. Il est tout à fait en phase avec une majorité des Brésiliens qui se sentaient escroqués et sont furieux contre la corruption, y compris une bonne poignée de ceux qui ont voté pour Lula.

Jair Krischke, porte-parole du mouvement des droits de l’homme, affirme que le PT est le principal responsable de la situation actuelle: «Il n’a pas eu le courage de faire une autocritique sur sa gestion, et il a agi avec arrogance et aveuglement. Le rejet de leurs politiques a commencé avec les jeunes qui sont descendus dans la rue en juin 2013 et 2014, contre l’augmentation des tarifs des transports publics et pour une meilleure qualité dans la santé et l’éducation.» (Rel-Uita, 16 octobre 2018)

Lors d’une mobilisation du candidat du PT Fernando Haddad – manifestation très fréquentée à Rio mardi 23 octobre – le rappeur Mano Brown a critiqué le PT, malgré son soutien à son candidat. «Je n’aime pas l’atmosphère festive», a-t-il dit en référence à l’acte auquel il a participé aux côtés de deux chanteurs très connus, Caetano Veloso et Chico Buarque. «La cécité qui les affecte (se référant aux disciples de Bolsonaro) nous affecte aussi.» Il a été hué par le public, signe clair que les critiques ne sont pas acceptées, même lorsqu’elles émanent de ceux qui soutiennent le PT! (Rio de Janeiro, 26 octobre 2018, article publié dans l’hebdomadaire Brecha; traduction A l’Encontre)

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Nous publions ci-dessous les intentions de vote, sur base d’une enquête effectuée les 24 et 25 octobre, par Datafolha, publiée le 26 octobre 2018
(avec marge d’erreur de 2%)

 

5.- Résultat d’ensemble pour tout le Brésil, avec évolution du 10 octobre au 25 octobre: par «votes valides» (votos válidos) Datafolha, comme les autres instituts de sondage, ne tient compte que des votes exprimés comme «certains» lors du sondage; sont donc et exclus les votes: blancs, nuls ou «ne sait pas», qui totalisent 14% de l’échantillon, au 25 octobre 2018.

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