Brésil. «Le transport considéré comme une marchandise et non comme un droit»

O PIG - Roda viva Passe livre MPLEntretien avec Marcelo Hotimsky

Le mouvement pour la gratuité des transports publics ne s’est pas éteint au Brésil. Il se perpétue et s’organise dans certaines grandes villes. Or, il fait face à une politique de criminalisation de la part des autorités. Ce qui fut le cas le 25 octobre 2013, lors d’une action du MPL (Movimento Passe Livre, Mouvement pour la gratuité des transports). L’hebdomadaire Correio da Cidadania s’est entretenu avec Marcelo Hotimsky, un animateur du MPL. Nous donnons à nos lecteurs et lectrices la traduction de cet entretien, avec la volonté de leur permettre de suivre, sur ce site, les mouvements sociaux, avec leurs forces et leurs limites, dans ce pays continental qu’est le Brésil. (Réd. A L’Encontre)

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Correio da Cidadania: Quel bilan tirez-vous des deux journées de lutte que le MPL a organisées entre les 21 et 28 octobre derniers dans diverses régions périphériques de la ville [de São Paulo], avec des manifestations pour la gratuité des transports et pour un transport public meilleur en général?

Marcelo Hotimsky: Notre bilan est très positif. Je pense que les journées d’action ont été très chouettes et qu’à la fin, lors de l’action pour le tarif zéro du vendredi 25 octobre, nous avons réussi à faire le lien entre deux revendications qui pour nous sont très importantes. La question d’abord du tarif zéro, à savoir le fait que le transport soit véritablement un droit; puis, en second lieu, la question d’une planification du transport réalisée en fonction des intérêts et des nécessités de la population. Ces deux questions sont également celles qui ont été mises en évidence lors d’actions menées antérieurement dans certaines banlieues pour demander la remise en marche de lignes de bus supprimées, des transports fonctionnant 24 heures sur 24 et des extensions de lignes de métro, ainsi que pour poser toutes sortes de questions émanant de la population elle-même sur ce que doit véritablement être le transport dans telle ou telle région.

Si nous joignons les deux questions, c’est justement parce qu’autant le fait que l’on doive payer les transports que le fait que des lignes soient supprimées ou qu’il n’y ait pas de bus 24 heures sur 24 heures, toutes ces choses réclamées par les populations dans leurs quartiers respectifs sont la conséquence d’une même conception du transport considéré comme une marchandise et non comme un droit.

Dans ce sens, nous pensons que cette lutte qui a réussi à pénétrer à l’intérieur même des quartiers a été très positive. Comme c’est bon de voir que lors de cette semaine d’octobre, des gens de São Mateus, dans la zone est, ont commencé à se mobiliser contre la suppression de lignes. Ainsi, cette semaine d’action n’a pas pris fin à la date que nous avions fixée nous, puisque la semaine suivante, nous avons assisté à de nouvelles actions à Campo Limpo et à São Mateus, toutes deux contre la suppression de lignes de bus dans la région.

Correio da Cidadania: Quel commentaire pouvez-vous nous faire sur l’action qui a été la plus médiatisée, celle du 25 octobre au centre de São Paulo, avec des escarmouches de rue, l’agression controversée d’un colonel, des arrestations, etc. ?

Marcel Hotimsky: Je pense que ce jour-là, nous avons très bien vu de quelle manière était en train de se produire une escalade répressive forte. La police a arrêté beaucoup de participants aux manifestations, des manifestants qu’elle a elle-même provoqués. Tout cela a été très compliqué et la fin de l’action a été plus ou moins affectée par ces faits.

Je pense qu’il est également clair que la police n’agresse pas les manifestations en raison de tel ou tel événement, celui qui s’est produit avec le colonel par exemple, mais parce que c’est la fonction de la police de faire cela. Ce qui a été démontré clairement par le simple fait que la police a commencé à lancer des bombes et à poursuivre les manifestants après que l’action avait pris fin. Sur la place de Sé [dans le quartier le plus central de la ville de São Paulo], lorsque l’action a été terminée, nous avons dit à tout le monde de partir. Mais même comme cela, la police a commencé à lancer des grenades et à poursuivre les manifestants.

Correio da Cidadania: Cela concorde avec la thèse selon laquelle il existerait une entente entre institutions et occupants du pouvoir, alimentée par les médias, visant à criminaliser la protestation sociale en ayant recours au prétexte du «vandalisme» ?

Marcel Hotimsky: Je pense que les médias jouent un rôle bien compliqué en favorisant cette criminalisation du mouvement social. Depuis le mois de juin, les médias ont réussi à véritablement imposer cette séparation qu’ils font entre manifestants «pacifiques» et «vandales», ce qui est évidemment très préjudiciable aux manifestations.

Les médias ont monté des groupes de manifestants contre d’autres manifestants et ont, d’une certaine manière, dissuadé certains groupes de participer aux manifestations. Sans parler de la polémique sur l’utilisation des cagoules et autres masques dont l’utilisation est pratiquement interdite maintenant dans les manifestations. Toute personne qui participe à des manifestations et a déjà subi une menace policière sait que c’est une manière pour le manifestant de se protéger.

Correio da Cidadania: Nous avons vu que tout de suite après l’émotion causée par l’agression contre le colonel de la Police militaire, la police avait exécuté, banalement, un jeune sur la Vila Medeiros, dans la zone nord. Quel parallèle faites-vous entre la libération de l’assassin en uniforme et le maintien pour quelques jours en cellule d’un des manifestants du 25, Paulo Henrique, un jeune homme de 22 ans?

Marcel Hotimsky: Je pense que les faits parlent d’eux-mêmes. L’important est que les gens comprennent qu’il existe de fait une criminalisation, que cette criminalisation retombe sur la tête de quiconque est en train de manifester, de toute personne qui veut essayer de changer les choses et qui est pauvre. Par principe, le système veut exclure ces gens qui s’opposent à lui.

C’est cela qui est compliqué. Mais ce n’est pas une nouveauté. En juin, nous avons vécu la même chose, très fortement. Sur la question de la criminalisation, nous avons parmi nous des cas connus, comme celui d’un fils d’entrepreneur des transports qui a, avec d’autres, cassé la porte de la préfecture. Ce garçon a été libéré le jour suivant. Alors qu’en même temps, une femme noire, habitante d’une occupation du centre, a été détenue trois mois pour avoir été attrapée à voler des biens pour l’hygiène pendant une action.

Je pense qu’un tel scénario met bien en évidence la manière dont le système judiciaire sert les intérêts dominants de la société, alors qu’il continue à exclure ceux qui sont déjà les plus exclus.

Correio da Cidadania: Qu’est-ce que le MPL peut, par son expérience propre, dire de l’action policière alors que ses actions pour la gratuité sont généralement menées dans la périphérie ?

Marcela Hotimsky: La majorité des actions se sont déroulées de manière tranquille. Cependant, dans le cas de Grajaú [ville du centre de l’Etat nordestin du Maranhão], il est bon de rappeler ce cas spécialement intéressant, c’est la seule action dans la périphérie qui, parmi toutes les actions de notre semaine d’octobre, a été réprimée. Mais la répression qui s’est exercée là-bas a été très claire. Ce sont d’abord des «perueiros» [des conducteurs de taxis collectifs] et des employés d’entreprises de bus eux-mêmes qui ont essayé d’en finir avec la manifestation. Ensuite, la police, sans qu’aucun problème important ne se soit produit dans la manifestation, s’est rendue sur les lieux et a lancé une de ses voitures contre des manifestants.

A partir du moment où la police a lancé une voiture contre les manifestants, allant jusqu’à blesser l’un d’eux, les personnes présentes se sont énervées et en sont venues à donner des coups dans la voiture de police, qui a bien sûr immédiatement mis en avant cette «attitude» pour justifier l’affrontement.

Ce cas illustre bien le fait que la confrontation ne se produit pas en raison d’un événement particulier dans telle ou telle manifestation. Elle se produit lorsqu’il existe un intérêt de la bourgeoisie, ou de la police, à réprimer une manifestation.

Je pense que dans le cas de Grajaú ce contexte est très évident, puisque les revendications que la population est en train d’avancer là-bas s’attaquent directement aux intérêts des entrepreneurs de bus, de la préfecture, etc. Une partie de la population exige qu’une dépense supplémentaire soit consentie sur le transport de gens dont il n’y a pas d’intérêt à tenir compte.

Correio da Cidadania: Après quelques victoires et une répercussion inédite de tous ces débats sur le thème des transports publics, comment évaluez-vous les réponses pratiques que les pouvoirs publics et les diverses instances liées au transport ont jusqu’à maintenant données?

Marcel Hotimsky: En réalité, nous faisons un bilan très négatif des réponses qui nous ont été données jusqu’à présent. Oui, nous pensons que l’annulation de l’augmentation du tarif a été d’une importance extrême [lors des manifestations de juin 2013]. Mais c’est d’une grande importance non parce que la préfecture aurait décidé de revenir sur cette augmentation, mais parce que c’est de la population que c’est venu.

La population a obligé la préfecture à reculer. Une situation de forte pression populaire a été générée par des personnes qui ont dit qu’elles n’allaient pas accepter une augmentation du tarif, ce qui a obligé la préfecture à modifier sa position. C’est cela que nous exigeons pour toutes les questions liées au transport. Nous constatons qu’aucune des mesures prises actuellement ne va dans notre sens alors que nous pensons que tout changement effectué dans le domaine du transport collectif devrait être fait en accord avec les intérêts de la population.

Ainsi, la préfecture peut même justifier que la suppression de telle ou telle ligne est techniquement meilleure ou qu’elle est peut-être même meilleure marché… Mais le grand problème reste le suivant: à aucun moment on a interrogé l’usager sur les suppressions de lignes. Ce que nous sommes en train de voir clairement, c’est que l’usager ne veut pas des coupes. Il ne veut pas devoir prendre tout à coup deux ou plusieurs bus alors qu’auparavant il faisait le même trajet avec un bus seulement.

C’est l’analyse que nous inspirent toutes les mesures qui sont en train d’être prises par la préfecture. Même s’il peut exister certains éléments positifs, comme c’est le cas des voies réservées aux bus, il ne s’agit pas de mesures qui se heurtent directement aux intérêts des entrepreneurs. Au contraire, ces voies réservées aux bus constituent plutôt une mesure de conciliation. On voit d’ailleurs bien que la préfecture n’annonce pas qu’elle va mettre plus de bus en circulation ou qu’elle va mettre plus de bus à disposition pour la périphérie, mesures qui iraient à l’encontre des intérêts des entrepreneurs.

Correio da Cidadania: Comment ce mouvement pense-t-il continuer à prendre place dans le débat politique ?

Marcela Hotimsky: Le MPL s’est toujours organisé de la même manière. Toujours nous avons été présents dans les banlieues aux côtés des mouvements sociaux, dans les écoles publiques, au sein des associations d’habitants, discutant dans chaque région de ce que les personnes attendaient du transport local et en organisant des mobilisations. Toujours avec la même revendication sur la gratuité des transports publics du tarif zéro. Ce n’est pourtant pas une demande du MPL. C’est la population qui porte le débat.

Mais ce à quoi nous sommes en train d’assister maintenant, en raison des politiques menées par la préfecture, c’est une réaction des populations des quartiers de banlieue, comme c’est le cas de São Mateus, où les gens ont commencé à manifester spontanément contre la suppression de lignes.

Je crois que la question qui sera au cœur des prochaines actions sera la suppression de lignes. C’est, il faut le dire, une politique ancienne de la préfecture qui s’est livrée à ce jeu depuis un certain temps déjà dans la zone sud. Ainsi, les manifestations qui ont eu lieu en octobre dans la zone sud avaient comme axe de revendication central le rétablissement de lignes qui ont été supprimées en raison de la création de nouveaux terminaux, ceux de Jardim Ângela et de Campo Limpo notamment. Auparavant, il existait des lignes qui allaient même plus loin que ces terminaux, mais maintenant il est nécessaire de prendre deux bus jusqu’au terminus, puis de faire à nouveau la queue pour en prendre un troisième, tout cela seulement pour que le tourniquet marche à nouveau (et composte à nouveau le billet…), assurant ainsi à l’entrepreneur plus de bénéfices encore.

C’est cela la politique systématique de la préfecture et de la gestion Haddad [Fernando Haddad, le préfet PT de la mégalopole de SP]. A ce que l’on peut voir, ce genre de politique va s’intensifier. Et c’est la raison pour laquelle la suppression de lignes va constituer dans le proche futur le point central des mobilisations sur la question du transport. (Traduction A l’Encontre, 22 novembre 2013)

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