Le plus grand syndicat sud-africain, l’Union nationale des travailleurs de la métallurgie d’Afrique du Sud (NUMSA), a tenu son 10e congrès national du 12 au 15 décembre 2016 au Cap. Y participèrent 1063 délégués ayant le droit de vote représentant 340’000 salariés. Le NUMSA considère que 22 ans après 1994 la situation de la majorité noire relève d’un «statut colonial».
Prenant appui sur la domination socio-économique de la population blanche – représentant 12% des habitants – le NUMSA caractérise ainsi l’Afrique du Sud: «une économie et une société racistes et coloniales». Dans la «Déclaration en 100 points» adoptée lors de son congrès, au paragraphe 4, il est affirmé: «Les délégués confirment la décision historique du Congrès national spécial de 2013 de mettre fin au soutien donné par le NUMSA à l’ANC et de construire une nouvelle confédération des travailleurs, indépendante et démocratique, et pour cela de développer une politique de front unique ainsi que la construction d’un parti socialiste révolutionnaire.» Le texte du secrétaire général du NUMSA, datant du 7 décembre, publié ci-dessous, pour information, met en relief les lignes de force qui sont traduites de manière plus ponctuelle dans la Déclaration en 100 points. (Rédaction A l’Encontre)
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1° Ce «parlement ouvrier» ne pourrait pas se réunir à un moment plus critique pour la classe ouvrière mondiale en général et la classe ouvrière sud-africaine en particulier. Partout dans le monde, les travailleurs sont attaqués par les employeurs qui, comme toujours, nous font payer la crise mondiale du capitalisme monopoliste. Ils détruisent les emplois, réduisent les salaires, attaquent les syndicats et diminuent les dépenses consacrées aux services sociaux essentiels.
2° Le substrat du capitalisme raciste sud-africain est la surexploitation, l’appauvrissement et le chômage, ainsi que les inégalités raciales extrêmes frappant la majorité de la classe ouvrière noire et africaine. La crise mondiale actuelle du système capitaliste empire simplement ces terribles conditions, déjà préexistantes de la classe ouvrière noire et africaine. Le Congrès enverra un avertissement clair: à moins que cette situation ne soit prise en compte d’urgence, le pays se dirige vers un violent affrontement racial et de classe, comme tant de voix l’ont déjà indiqué.
3° Les emplois, surtout dans le secteur manufacturier, deviennent de plus en plus précaires. Des industries entières comme la sidérurgie sont au bord de la disparition, jetant des milliers de personnes de plus à la rue. Les statistiques de l’emploi, publiées le 22 novembre 2016, confirment sans aucun doute que l’économie sud-africaine est en crise profonde. Le taux de chômage a atteint un record de 27,1% au troisième trimestre de 2016 – contre 26,6% au deuxième trimestre. C’est le taux le plus élevé depuis 2003!
Chômage élevé
4° Le taux de chômage réel, qui donc comprend ceux qui n’ont pas cherché de travail durant le relevé, a chuté, mais seulement d’un minuscule 0,1 point de pourcentage à 36,3%. L’Afrique du Sud a maintenant le taux de chômage le plus élevé parmi plus de 60 pays émergents et développés.
5° Les membres de Numsa sont particulièrement préoccupés par le fait que le secteur manufacturier a subi le nombre de pertes d’emplois le plus grand : 91’000. Indépendamment de la misère humaine qui en découle, ce niveau de chômage entraîne un gaspillage énorme de potentiel productif : 5,8 millions de chômeurs et chômeuses pourraient créer de la richesse et fournir des biens et des services essentiels aux pauvres.
6° Une conséquence inévitable d’un tel niveau de chômage est que les travailleurs salariés devront, avec leurs maigres salaires, assurer la survie d’un plus grand nombre de membres de leur famille. Le salaire minimum mensuel pathétique proposé de 3500 rands [250 francs] ne fera pratiquement rien pour améliorer le manque de revenu pour des millions de Sud-Africains, en particulier pour les ménages où aucun membre ne dispose d’un emploi. Ce taux de chômage encourage également les employeurs à intimider leurs travailleurs, pour accroître encore le taux d’exploitation, en utilisant la menace du licenciement pour étouffer toute résistance.
7° Ce qui rend tout cela encore pire réside dans l’effrayant niveau d’inégalité du capitalisme raciste blanc. Un sondage international sur le salaire des PDG, établi par Bloomberg, a révélé que les PDG sud-africains (qui sont encore majoritairement blancs et mâles) se situent au 7e rang des PDG les mieux payés du monde, plus que ceux de Norvège, d’Espagne, d’Australie, de France et du Japon. Les PDG des six les précédant résident tous dans des pays riches dans lesquels la classe ouvrière est mieux lotie qu’en Afrique du Sud.
8° Cela montre que l’Afrique du Sud est de loin la société la plus inégale du monde. Le ratio entre le revenu des PDG et le revenu moyen est supérieur à celui mesuré par Bloomberg dans son enquête portant sur 25 pays. Le revenu moyen des PDG est 541 fois supérieur au revenu moyen sud-africain mesuré sur la base du PIB per capita. Seulement en Inde, où le différentiel est de 483 fois, la situation se rapproche de celle de l’Afrique du Sud.
9° La conclusion la plus importante de ces terribles statistiques sur le chômage et l’inégalité, qui sera tirée par les délégués au Congrès du Numsa la semaine prochaine, est que ces deux traits constituent la caractéristique inhérente du système capitaliste monopoliste et raciste, basé sur la surexploitation de la classe ouvrière en Afrique du Sud.
10° Cette crise rend également plus vitale la construction de syndicats solides et le Congrès national sera une occasion pour les membres du Numsa de tracer une stratégie de lutte, de construire une armée puissante et unie d’ouvriers afin de résister aux niveaux insupportables du chômage, de la pauvreté, et afin de lutter pour un salaire décent.
COSATU se déplace vers la droite
11° Cependant, les délégués n’oublieront pas qu’ils ne se rencontreront que deux ans après que le Numsa a été expulsé du Congrès des syndicats sud-africains (COSATU), en raison de notre opposition au déplacement à droite de la direction de la confédération, qui est devenue le porte-parole du gouvernement l’ANC [African National Congress] et du PC (SACP) qui a abandonné la Charte de la Liberté (adoptée en 1955) en faveur d’un système capitaliste monopoliste néolibéral blanc et de libre-marché débridé.
12° Les dirigeants de la COSATU sont en collusion avec le gouvernement néolibéral de l’ANC pour la fixation du salaire minimum national. Le Numsa considère la proposition de Cyril Ramaphosa [ancien dirigeant réputé du Syndicat national des mineurs – le NUM –, puis homme d’affaires de relief et devenu en décembre 2012 à la vice-présidence de l’ANC, puis en 2014 de la république] de 3500 rands par mois comme une légitimation des salaires d’esclaves, ce qui laissera des millions de personnes réduites à la pauvreté mais qui sauvegardera les intérêts de la classe capitaliste exploiteuse.
13° Tout cela a laissé les travailleurs encore plus impatients de remplacer la COSATU, aujourd’hui totalement discréditée et idéologiquement en faillite, par une nouvelle fédération ouvrière anti-impérialiste, socialiste, démocratique, indépendante et militante. De nombreux nouveaux syndicats dissidents ont été formés et nous travaillons avec eux dans le cadre d’un comité de coordination pour la création d’une nouvelle confédération.
Nous avons chaleureusement accueilli la décision historique de Fawu (Food and Allied Workers Union) de quitter la COSATU. Le dernier Comité central du Numsa a convenu qu’il fallait continuer à discuter avec des syndicats plus importants comme Amcu (The Association of Mineworkers and Construction Union, organisation enregistrée en 2002), d’autres affiliés de Nactu (The National Council of Trade Unions, constitué en 1986 par la fusion de deux confédérations) et quelques fédérations affiliées à la COSATU et qui faisaient partie des «9» («The Nine», fédérations constitutives de la COSATU), fédérations qui doivent encore terminer leur engagement pour une nouvelle confédération.
14° L’ANC connaît une crise massive. Elle est divisée sur la question: le président Jacob Zuma doit-il démissionner? Les délégués au congrès du Numsa se souviendront que, il y a trois ans, le Numsa fut la première fédération qui a appelé à la démission de Zuma, lors de son Congrès national spécial (SNC) en 2013. Il a exigé que «le président Jacob Zuma démissionne avec effet immédiat parce que son administration mettait en oeuvre des politiques néolibérales telles que le NPD [The National Development Plan, avec une échéance fixée à 2030], les péages routiers, les agences de sous-traitance de travailleurs précaires, la défiscalisation des entreprises au nom de la création d’emplois jeunes [sans effet sur la hausse permanente du chômage chez les jeunes], ainsi que le bilan de son administration qui baigne dans la corruption, le favoritisme et le népotisme.
15° Les preuves de cette corruption et de ce pillage des ressources de l’Etat étaient claires et se sont développées au cours des trois dernières années. Nous avons été intransigeants dans la condamnation des corrupteurs et des corrompus, mais nous avons toujours dit que la démission de Zuma, en soi, ne changera rien de fondamental. Zuma et la famille Gupta [famille indienne d’hommes d’affaires ayant d’étroites connivences avec Zuma; voir l’article publié sur ce site le 16 novembre 2016] ne sont pas pires que des centaines d’autres capitalistes et fonctionnaires de l’Etat qui s’enrichissent grâce à la corruption, aux détournements de fonds et au crime. Mais les «Gupta» et les «Zuma» n’en sont que les exemples les plus flagrants et les plus embarrassants.
16° «C’est l’ensemble du système capitaliste qui est immoral et corrompu», a affirmé le Numsa dans sa déclaration du 13 septembre 2016: «Des rapports font régulièrement état de l’évasion fiscale systématique, du blanchiment d’argent et d’entente sur les prix entre les grandes entreprises et l’administration. Des millions de rands quittent le pays car les investisseurs placent leurs liquidités là où ils vont obtenir des profits plus rapides et plus importants, sans tenir compte du bien-être des gens, de l’environnement et encore moins de toutes les conditions de «leurs» travailleurs qui en premier lieu produisent la richesse. Les grandes entreprises sont immoralement assises sur plus de 1500 milliards de rands planqués dans les banques et refusent de les investir dans l’économie… Le capitalisme est l’immoralité et la corruption, point à la ligne.»
17° Nous ferons campagne pour transformer ces milliards de rands «mis à la retraite», afin que nous puissions utiliser cet argent, qui provient du travail des salariés, dans l’intérêt des travailleurs et de la classe ouvrière.
18° Le Numsa ne se joindra pas au chœur demandant que Zuma soit remplacé par le vice-président Cyril Ramaphosa, qui est présenté comme un représentant du capitalisme propre, constitutionnel et honnête. Le Numsa ne pourra jamais soutenir un exploiteur capitaliste qui cherche à protéger ses propres et énormes investissements et les intérêts du capital monopoliste blanc en essayant d’envoyer un message aux agences de notation capitalistes selon lequel l’économie sud-africaine continuera à être basée sur le marché libre et la surexploitation de la main-d’œuvre noire et africaine et qu’il y a là de solides raisons de ne pas dégrader la note de l’Afrique du Sud [avec un effet sur la prime de risque qui se reflète dans les taux d’intérêt lors d’emprunts pour le financement de la dette, entre autres].
19° Nous sommes convaincus que rien ne peut inverser le déclin de l’alliance ANC / SACP / COSATU.
20° La classe ouvrière sud-africaine, en particulier la classe ouvrière noire et africaine, réclame un changement révolutionnaire, mais voit qu’aucun parti n’est actuellement capable de le faire. Le Congrès national africain (ANC), l’Alliance démocratique (DA) et la plupart des autres partis sont fondamentalement les mêmes, en raison de leur insistance continue à opérer dans les limites du capitalisme monopoliste blanc.
Un parti d’avant-garde des travailleurs ayant une base de masse
21° Cela nous donne l’occasion de construire un véritable parti politique socialiste révolutionnaire, enraciné dans la classe ouvrière, tel que cela a été accepté lors du Congrès national spécial de 2013; son analyse faite alors de la dégénérescence de l’ANC, du SACP et de la COSATU a été vérifiée par des événements ultérieurs.
22° Le Congrès du 12 au 15 décembre se doit à coup sûr d’insister pour que nous agissions rapidement et de façon plus visible afin de construire un parti d’avant-garde ouvrier de masse, démocratiquement contrôlé, avec un programme basé sur le marxisme-léninisme, la dictature du prolétariat et l’abolition du capitalisme, cela afin que les travailleurs disposent d’un autre parti pour représenter leurs intérêts.
23° Le Congrès demandera la pleine application de l’appel de la Charte de la Liberté pour que la richesse nationale de notre pays, le patrimoine de tous les Sud-Africains, soit rendue au peuple, pour que les richesses minérales, les banques et l’industrie monopolistique soient transférées à la propriété du peuple dans son ensemble, et que toutes autres industrie et grande distribution soient contrôlées afin d’aider au bien-être de la population. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un document spécifiquement socialiste, il contient de nombreux appels que le nouveau parti doit intégrer en tant que revendications de transition dans son programme socialiste, parallèlement à notre demande centrale de nationalisation démocratique des industries monopolistiques, des richesses minérales et des banques.
24° Le Congrès voudra également revoir la Constitution sud-africaine post-1994 [les premières élections générales non raciales ont eu lieu en 1994, le parlement élu a élaboré une Constitution qui a été promulguée par Mandela en décembre 1996 et entrée en vigueur en février 1997, remplaçant la Constitution transitoire de 1993] qui a assuré que la propriété coloniale blanche raciste et capitaliste de l’économie sud-africaine continuait, avec quelques visages noirs cooptés, pour garantir le contrôle impérialiste et blanc de l’économie et de la société d’Afrique du Sud. La Constitution sud-africaine post-1994 garantit que le capital monopoliste blanc et la population blanche possèdent et contrôlent encore la terre et l’économie et maintiennent la majorité africaine au bas de l’échelle – économiquement marginalisée et dépossédée.
25° Le Congrès national du Numsa sera une occasion historique pour que les membres du Numsa décident de lancer une contre-offensive, de lutter pour un salaire minimum vital, de s’opposer à toute limitation du droit des travailleurs à la grève, de poursuivre la campagne pour une nouvelle confédération ouvrière et proclamer la naissance du nouveau parti ouvrier révolutionnaire.
26° Le Congrès débattra et décidera des campagnes pour lutter contre les tentatives des organisations patronales telles que le NEASA (National Employers’ Association of South Africa) de liquider la négociation centralisée et de détruire les conseils de négociation [par branche et secteur].
27° En tant que syndicat d’inspiration marxiste-léniniste, nous attendons de notre Congrès à Cape Town de préparer des campagnes actives de solidarité internationale pour affronter la logique des entreprises transnationales et l’agenda politique impérialiste.
28° Nous restons convaincus que la classe ouvrière sera toujours victime de la classe dominante, à moins d’apprendre à lier la lutte pour mettre fin au monopole raciste blanc de la terre, de l’économie et de la société, et de la sorte mettre fin au racisme, à sa lutte pour un salaire décent et à son combat pour se libérer du monopole colonial et du capitalisme blanc et dans la foulée la transformation socialiste de la société. Car rien d’autre ne peut émerger de telles luttes!
29° Nous souhaitons à tous les délégués du Congrès un voyage en toute sécurité vers et depuis le Congrès! (Traduction A l’Encontre)
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Irvin Jim est le secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs de la métallurgie d’Afrique du Sud (NUMSA).
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