Par Ekram Ibrahim
Il y a quatre ans, la grève générale lancée dans la ville industrielle de Mahalla, le 6 avril 2008, a montré la puissance latente du mouvement ouvrier égyptien et a contribué à déclencher la révolution qui a renversé le régime de Moubarak en février 2011. Un rappel utile et nécessaire. On peut aussi lire sur ce site, rubrique Egypte, divers articles sur les mobilisations de 2008. (Rédaction A l’Encontre)
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Quand Wael Habib, membre actif du mouvement ouvrier égyptien, se tenait sur la place El-Shoun à Mahalla en 2008, réclamant le droit à une vie digne, il ne savait pas que la grève à laquelle il participait serait un événement clé sur le chemin de la révolution du 25 janvier, trois ans plus tard.
«Ce jour-là, j’ai risqué l’arrestation à chaque instant», a déclaré à Ahram Online Habib, ouvrier du textile de la compagnie de filature et de tissage Misr qui a connu une longue histoire d’activisme radical et qui emploie actuellement 24 000 travailleurs à Mahalla.
La révolution du 25 janvier a des racines qui remontent à des années et l’élément clé est le mouvement des travailleurs qui a repris son essor dans les dernières années du règne de Moubarak et qui a capté l’attention au plan national le 6 avril 2008, quand une grève générale a été lancée à Mahalla.
La bataille pour de meilleures conditions de travail avait commencé des années auparavant et avait encore franchi une étape nouvelle en avril lorsque les travailleurs de Mahalla, au centre du Delta, avaient organisé une grève générale. Les travailleurs de la ville, emmenés par des collègues ouvriers du textile de Habib, protestaient contre la hausse des prix, les bas salaires, des retards dans le paiement des primes, des parts de bénéfices et autres compléments de salaire, ainsi que contre la privatisation de sociétés du secteur public en 2005, 2006 et 2007.
Quelques jours avant la grève de Mahalla, un groupe d’activistes politiques avait diffusé l’appel à une grève générale sur les médias sociaux et par le biais de textos SMS sous le nom: «6 avril». En marchant dans la ville de Mahalla, tôt dans la matinée en ce jour de fronde, il était clair que la grève allait être massive. Les rues étaient occupées par des forces de sécurité et obstruées par des camions pour éviter une escalade. La société de tissage et de filage de Mahalla fourmillait de policiers habillés en civil pour empêcher les travailleurs de faire grève.
«Ce jour-là, les forces de sécurité ont réussi à empêcher le mouvement à l’intérieur de l’usine, mais pas en dehors de celle-ci», a déclaré à Ahram Online le sociologue du travail Mostafa Bassiouni. Habib a commencé sa grève après le travail à 15 heures. Il a rejoint El-Shoun Square et a ensuite participé à la marche autour de la ville qui a rassemblé entre 60 000 et 80 000 personnes. «On avait fait grève plusieurs fois avant, mais cette fois-ci c’était différent. Les habitants sont descendus dans la rue et se sont rebellés contre les prix élevés, donc on n’était pas seuls», a dit Habib à Ahram Online.
Selon Bassioumi, «la contestation a été très forte, des photos de Moubarak, alors président, ont été jetées par terre et les manifestants les ont piétinées. C’était la première fois que des manifestants s’essuyaient les chaussures sur une photo de Moubarak.»
Les gens sont descendus dans les rues pendant trois jours consécutifs, jusqu’à ce que des représentants du gouvernement rencontrent des dirigeants de la grève et promettent de donner satisfaction à certaines revendications ouvrières. Les envoyés du gouvernement ont accepté le 8 avril et alors seulement la grève a pris fin.
«Ce jour-là, j’ai appris que le seul moyen de gagner mes droits, c’était de les défendre moi-même», dit Habib. La grève s’est propagée au-delà de Mahalla, mais pas avec la même intensité. Le mouvement politique Kefaya («ça suffit!»), qui a combattu depuis 2005 les plans de Moubarak visant à faire de son fils Gamal son successeur, suivi par d’autres groupes politiques, avait soutenu l’appel à la grève générale.
Au Caire, les rues étaient moins bondées que d’habitude du fait que certains citoyens avaient suivi l’appel à rester à la maison.
«J’ai commencé mon activité politique militante ce jour-là; parce que l’appel était en adéquation avec les exigences du peuple», a déclaré à Ahram Online Asmaa Mahfouz, militant politique et ancien membre du mouvement des jeunes du 6 avril.
Grâce à cette grève générale du 6 avril 2008, le mouvement des jeunes du 6 avril était né. Ce mouvement allait se développer et jouer un rôle important dans la révolution égyptienne du 25 janvier.
Après le succès de la grève, les militants ont décidé de former un mouvement politique sous son nom. Le «6 avril», qui n’était au départ qu’un appel dans les médias sociaux, est devenu une force pour s’opposer dans la rue au régime de Moubarak. Le mouvement des jeunes du 6 avril a suivi la voie tracée par Kefaya en construisant une opposition tangible au président Hosni Moubarak.
Le mouvement ouvrier a continué ses batailles après 2008, ouvrant la voie à la révolution du 25 janvier.
«Les protestations ouvrières répétées ont ouvert la voie à la révolution», a déclaré à Ahram Online Adly Howaida, professeur de sciences politiques au Centre national pour les droits sociaux.
Les travailleurs qui ont pris part au tout début de la révolution ne faisaient pas partie d’organisations structurées. Le seul syndicat officiel était la Fédération des syndicats égyptiens qui soutenait le régime (ETUF).
Son responsable, Hussien Megawer, est actuellement emprisonné, accusé d’implication dans la mort de manifestants lors de la tristement célèbre bataille des chameaux survenue au cours de la révolution de 2011.
«Les syndicats n’avaient pas été conçus pour unifier les travailleurs ou obtenir leurs droits, mais au bénéfice du gouvernement», dit Adly.
«Pour que ce mouvement ouvrier réussisse, la loi doit permettre aux syndicats indépendants de protéger les droits des travailleurs. Tant que cette loi ne sera pas adoptée, je ne considérerai pas qu’une révolution s’est produite en Egypte», dit Adly.
L’agitation ouvrière se poursuit aujourd’hui, avec beaucoup de travailleurs qui font valoir que la situation empire et qui mettent en garde contre une nouvelle vague de grèves.
«La situation ne s’améliore pas, nous sommes privés de nos droits. Je crains que l’Egypte ne connaisse une révolution des affamés dans un proche avenir», dit Habib. (Traduction de Pierre-Yves Salingue pour le site A l’Encontre)
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Cet article est paru en anglais sur le site Ahram Online, en date du 7 avril 2012
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