«Très présidentiel». Voilà le consensus médiatique le lendemain du premier discours de Donald Trump devant le Congrès, le 28 février 2017.
Le New York Times, quotidien de prestige qui a été interdit par le gouvernement d’assister à une conférence presse quelques jours auparavant, ne tarissait pas d’éloges envers Trump qui avait «prononcé le discours le plus présidentiel qu’il ait jamais offert».
Sur la chaîne CNN, Van Jones – un ancien radical contraint de quitter l’administration Obama après y avoir fait un bref passage en tant que «tsar des emplois verts» – a déclaré: «Ce soir, il a réalisé une chose qu’on ne peut lui enlever. Il est devenu président des Etats-Unis.»
La barre est, manifestement, fixée très, très bas.
Donald Trump, il est vrai, s’est abstenu de défoncer un Démocrate et n’a pas employé des phrases telles que le «carnage américain» [comme lors de son discours d’investiture, le 20 janvier 2017]. Toutefois, même les chiens – sans vouloir les offenser – sont capables d’apprendre un ou deux nouveaux tours avec l’aide suffisante d’une équipe de relations publiques.
Le discours de Trump au Congrès prouve seulement une chose: il est un bonimenteur de première classe, une personne qui peut opérer un revirement à chaque fois que cela lui plaît, non parce qu’il changerait d’avis mais parce qu’il peut jouer n’importe quel rôle pour autant que cela corresponde à ses intérêts.
Dans ce cas, Trump s’est montré particulièrement performant pour dévier l’attention des médias – sans même parler des Démocrates – de la substance de son programme: pour ne citer que l’exemple de la série de mesures destinées à marginaliser et à transformer en bouc émissaire les plus vulnérables.
En parallèle à la réaffirmation de son engagement à bâtir un mur à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, Trump a présenté son programme VOICE. Sous cet acronyme, qui signifie Victims of Immigration Crime Engagement, le gouvernement fédéral publiera régulièrement des listes de sans-papiers ayant commis des crimes. Pour reprendre les termes d’Amy Goodman, animatrice de la chaîne Democracy Now!, il s’agit d’une pratique qui rappelle les politiques nazies.
Nous ne nous trouvons donc pas devant un nouveau Donald Trump. Il s’agit bien du même fanatique haineux qui tente de canaliser la colère des gens loin de politiciens tels que lui en direction des migrants et des musulmans.
De bien des façons, le discours de Trump au Congrès avait pour objectif de démontrer qu’il était capable de jouer avec la majorité républicaine.
Les dirigeants du GOP [Grand vieux parti, le Parti républicain] souhaitaient montrer qu’ils étaient disposés à soutenir certaines de ses positions non orthodoxes tout en tirant bénéfice de la popularité de Trump à la suite des élections. Ils sont toutefois moins rassurés où tout cela pourra mener suite à l’outrage qu’a enduré l’establishment politique, dans la foulée des premières semaines bâclées de la présidence Trump.
Les Républicains ne se préoccupent bien entendu pas de ce que Trump peut dire des migrants et des musulmans. Le président a toutefois des batailles devant lui dont les objectifs déclarés ne correspondent pas aux priorités du GOP.
Paul Ryan, le président républicain de la Chambre des représentants, et son équipe veulent que de vastes coupes soient opérées dans les budgets de Medicare [assurance santé pour les personnes de plus 65 ans, introduite en 1965] et de la sécurité sociale. Trump affirme vouloir conserver intacts ces programmes sociaux destinés aux couches populaires [Medicaid, bons alimentaires, etc.], il va toutefois réaliser sa promesse de sabrer dans les dépenses fédérales (probablement en décimant les «petits extra» que sont l’éducation publique, la science et les soins de santé).
Donald Trump a aussi promis dans son discours de créer des «millions» d’emplois et d’investir massivement pour la reconstruction des infrastructures publiques, telles que les ponts et les routes. Il s’agit exactement du type de programmes de «big governement» [«d’Etat envahissant»] contre lesquels les Républicains associés au Tea Party se sont battus pendant des années [mais ici, il s’agit, d’une part, d’alimenter le secteur du BTP dont il est proche, et, d’autre part, de faire appel à des capitaux privés à la recherche d’un rendement plus élevé].
Trump a promis des crédits d’impôts pour la garde d’enfants [1], des congés parentaux payés [2] ainsi que la réalisation de certains projets favoris d’Ivanka Trump [fille aînée, d’un premier mariage, du président et épouse de Jared Kushner, proche conseiller de son père], mais la direction du GOP au sein du Congrès ne veut rien de tout cela, «par principe» [comme l’expriment les prises de position publiées, par exemple, le 1er mars 2017 sur le site The Daily Caller].
Ce sentiment de «toujours plus haut, toujours plus» au sein de la droite suite aux élections pourrait bien s’évanouir pour Trump et les Républicains face à une autre question: la promesse d’abroger l’Affordable Care Act a été adjointe du verbe remplacer. Il semble donc de manière croissante que le GOP ne pourrait pas abroger l’Obamacare avant de le remplacer par quelque chose d’autre.
A cela s’ajoute le programme économique controversé que Trump a esquissé lors de son discours au Congrès, tout comme au cours de la campagne présidentielle: un nationalisme économique musclé placé sous le signe de «l’Amérique d’abord» [et qui traduit une facette de la riposte à un déclin relatif de l’impérialisme états-unien]. Celui-ci comprend une opposition à des accords tels que l’Accord de partenariat transpacifique ainsi que la menace d’engager une guerre commerciale avec le reste du monde.
Selon un document provisoire destiné mercredi [1er mars] au Congrès, le gouvernement se prépare à ignorer toute décision de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qu’il considère comme étant un affront à la souveraineté des Etats-Unis. Dans les autres pays, l’OMC est généralement considérée comme un instrument visant à imposer les intérêts de Washington, mais Trump &Co menacent de «défendre énergiquement la souveraineté américaine en matière de politique commerciale».
Bien que Trump n’ait pas utilisé le terme de «guerre commerciale» lors de son discours, la signification était claire. Son programme provoquera des conflits sérieux au sein de la classe dominante des Etats-Unis – mais encore plus avec les capitalistes à l’échelle internationale.
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En parlant de guerre mondiale…
Les dépenses militaires sont définitivement un budget qui ne souffrira pas sous l’administration Trump. Si Trump parvient à ses fins, le budget du Pentagone bénéficiera d’une augmentation de 54 milliards, de telle sorte que le budget total dépassera les 600 milliards [annuels]. Pour mettre cela en perspective, le budget actuel du département de l’éducation atteint un total de quelque 68 milliards.
Afin de vendre cette hausse, Trump a attisé dans son discours la peur du terrorisme islamiste, mais il a aussi tourné les projecteurs sur son invitée, Carryn Owens, la veuve de Ryan Owens, de l’unité spéciale de la marine américaine (Navy SEAL) tué [le 29 janvier 2017] lors d’un raid raté contre un village yéménite. Les applaudissements se sont succédé pendant plusieurs minutes alors que tous les yeux étaient dirigés sur Owens, qui s’est mise à pleurer de manière incontrôlable.
«En ce moment même Ryan nous observe d’en haut. Vous savez cela. Et il est très heureux, parce que je pense qu’il a battu un record», s’est exclamé Trump, en faisant référence à la durée de l’ovation.
Le père d’Owens, Bill Owens, n’était pas présent à ce discours. Il a refusé de rencontrer Trump à la base aérienne de Dover lorsque la famille d’Owens a accueilli le cadavre de Ryan. Il désire qu’une enquête soit menée sur la mission qui a coûté la vie de son fils, sans mentionner celle de 25 civils yéménites. Trump a rendu les «généraux» responsables de cet échec lors d’un entretien accordé à Fox & Friends le matin de son oraison vibrante, sabre déployé.
Mais les interrogations de Bill Owens sur les raisons de la présence de son fils au Yémen n’iront pas dans le sens d’un Trump qui veut plus d’argent pour intensifier la «guerre des Etats-Unis contre le terrorisme». Le fait que neuf des civils yéménites tués ce jour-là étaient âgés de moins de 13 ans n’y contribue pas non plus.
De même, personne parmi celles et ceux qui écoutaient le discours du président ne s’interrogera sur le tribut que représente, en termes humains, leur guerre au nom de la lutte contre le terrorisme: un plus grand nombre de morts, plus de pauvreté et une situation de crise encore plus critique pour ceux qui continueront à fuir les pays ciblés.
Il n’y aura aucune discussion sur l’augmentation des dépenses militaires car c’est un point sur lequel les Démocrates et les Républicains sont d’accord [3].
Pour ce qui est de la réponse au discours par le parti de l’opposition – qui est une tradition une fois que le président s’est exprimé, tâche qui est généralement réservée à une étoile montante du parti – les Démocrates n’ont pas été en mesure de trouver un politicien du Congrès pour le faire, ils ont donc amené un gouverneur à la retraite du Kentucky.
Oui, c’est vrai: Steve Beshear n’occupe plus de fonction depuis 2015 et il a pourtant été chargé de se faire l’avocat des Démocrates contre Trump. Il a été choisi parce que le Kentucky est un Etat rouge [couleur des Républicains] et qu’il vient d’une petite localité rurale, soit la base en direction de laquelle les Démocrates veulent désormais se concentrer. C’est de toute évidence ce qu’ils retiennent des élections de 2016 et des manifestations massives qui ont explosé après la victoire de Trump: le vote blanc du Sud et rural est clé.
Une frange des femmes démocrates, y compris Nancy Pelosi [élue depuis 1987 dans l’Etat de Californie, présidente de la Chambre des représentants de janvier 2007 à janvier 2011] portait du blanc lors du discours de Trump afin de symboliser le mouvement suffragiste, mais ce blanc pourrait tout aussi bien représenter la capitulation au vu de la nature de leur opposition.
Le lendemain, Pelosi a déclaré lors d’un entretien à l’émission Morning Joe de la chaîne MSNBC: «J’étais très fière de la dignité avec laquelle nos membres ont écouté un discours.»
Au regard des nombreuses menaces proférées par les Démocrates au cours de la campagne électorale afin d’arrêter à tout prix Trump, l’idée «d’opposition» de l’establishment du parti est tellement éloignée de ce qu’il est nécessaire pour résister à l’agenda des Républicains que cela semble même ridicule. En particulier si l’on tient compte de l’opposition dont font preuve les «simples gens» lors de réunions dans les salles municipales [dans plus de 300 villes, au sein de 49 Etats, des citoyens et citoyennes se sont réunis dans les locaux municipaux pour exprimer leur opposition à l’administration Trump – The Guardian, 26 février 2017], ainsi que lors de manifestations qui brocardent leurs élus parce qu’ils ne les représentent pas.
Fin février, une enquête du Pew Research Center [centre spécialisé dans les sondages d’opinion, les études statistiques et sociales] a montré que près de trois quarts des Démocrates affirment être inquiets du fait que le parti n’en fera pas suffisamment pour s’opposer à Trump. Seulement 20% exprimaient leur inquiétude que l’opposition des Démocrates irait trop loin.
La réponse au discours de Trump est le dernier exemple en date de la manière dont les Démocrates veulent nous faire croire que l’administration Trump ne peut pas être battue et combien ils veulent que nous ne misions pas sur une véritable voie d’opposition. Cette stratégie ne fait que démontrer jusqu’à quel point la politique s’est déplacée vers la droite.
Nous aurons à leur montrer à quoi ressemble une opposition. (Article publié le 2 mars sur le site SocialistWorker.org; traduction A l’Encontre)
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[1] Le coût pour la garde d’enfants est très élevé aux Etats-Unis: la garderie pour un enfant âgé de 4 ans, dans l’Etat du Mississippi, coûte 4439 dollars par an; et peut atteindre 17’863 dollars à Washington DC. La déduction fiscale proposée par Trump, selon une étude du Tax Policy Center, va profiter pour l’essentiel aux familles ayant des revenus de 100’000 dollars et plus, et encore mieux pour celles disposant de 200’000 dollars (95% du total des déductions fiscales concernent ces catégories sociales). Une grande partie des familles ne perçoivent pas de revenu suffisant pour payer des impôts fédéraux; elles n’auront donc pas droit à «cette aide». Or, en 2013 – année de «relance économique» aux Etats-Unis – elles constituaient le 47% des ménages! En 2013, 67% des familles ont un revenu inférieur à 30’000 dollars. Pour une famille disposant d’un tel revenu, la déduction fiscale envisagée se monte à 574 dollars par année. Ce système de déduction fiscale consiste, dès lors, à offrir un «cadeau fait aux riches», comme l’ont écrit plusieurs études. (Rédaction A l’Encontre)
[2] Selon une étude publiée dans le Scientific American, le congé parental (plus exactement congé maternité) payé pour les femmes – qui existe en Californie ainsi que dans le New Jersey, le Rhode Island, l’Etat de Washington et, depuis janvier, dans l’Etat de New York – fait face à de nombreux obstacles (quand il existe). Cela renvoie à plusieurs facteurs: crainte de mettre en question une promotion; peur d’être licenciée (le Département du travail dans le New Jersey indique sur sa page officielle que le congé parental payé «ne protège l’emploi de personne»); en Californie le salaire n’est compensé qu’à hauteur de 55%, cela au moment où les dépenses augmentent (médecins, nourriture, couches, etc.). Le congé maternité – avec des formules parentales possibles – envisagé par Trump est fixé à six semaines (12 semaines en Suisse, qui n’est pas à la pointe du «progrès social»). Le pourcentage de la compensation salariale n’est pas indiqué, avec le biais social qui en découlera pour la majorité des familles salariées. Enfin, le financement devrait provenir de «l’assurance-chômage» qui est déjà sous-financée, ce qui laisse planer un point d’interrogation sur la concrétisation de ce projet, ainsi que sur les arbitrages qui en découleront en termes l’allocation des ressources qui sont placées sous contrainte. (Rédaction A l’Encontre)
[3] Le 2 mars 2017, le Général en chef, Donald Trump, sur le porte-avions Gérald Ford (le onzième en construction) – dont le coût est estimé à 12,9 milliards de dollars – a expliqué: «Je viens de parler avec des responsables de la marine et de l’industrie, pour discuter de mes plans d’entreprendre une expansion majeure de notre flotte militaire, comprenant le douzième porte-avions dont nous avons besoin… Après des années de réduction des dépenses militaires qui ont affaibli nos défenses, je souhaite mener l’une des plus grandes augmentations des dépenses militaires de l’histoire.» Les discussions sont ouvertes, dans les sommets de la marine de guerre, sur le choix prioritaire entre la construction de nouveaux sous-marins (armée de fusées de dernière génération, sous-marins peu détectables) et d’un douzième porte-avions. (Rédaction A l’Encontre)
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