La répression traduit la force sociale et politique du mouvement

Par Christian Biourge

Des blogueurs et des militants des droits de l’homme arrêtés, des sites d’informations inaccessibles ou encore des tirs de snipers. Des mesures répressives qui sont loin d’étouffer la vague de protestation qui touche la Tunisie depuis près d’un mois. Témoignages.

Les dernières informations qui nous parviennent de Tunisie sont inquiétantes. Des blogueurs et des militants pour la liberté d’expression ont été arrêtés. Parmi eux des avocats, des journalistes et des artistes.

En attendant, le bilan des victimes s’alourdit. La Fédération internationale des ligues de droits de l’homme (FIDH) parle, à présent, d’une cinquantaine de morts. Mais cela ne reste qu’une évaluation qui s’appuie notamment sur une liste nominative de 35 victimes, a expliqué sa présidente Souhayr Belhassen, elle-même tunisienne.

Dans le centre-ouest de la Tunisie, à Kasserine, on parle même de “situation chaotique“, rapporte l’AFP. Plusieurs sources, dont un fonctionnaire local ayant requis l’anonymat, ont confirmé “des tirs de snipers postés sur les toits et des forces de police tirant sur des cortège funèbres“.

Rappelons que cette vague de protestation sociale a démarré le 17 décembre de Sidi Bouzid, dans le centre-ouest de la Tunisie, après l’immolation d’un jeune tunisien diplômé. Il s’était fait confisquer sa marchandise par la police municipale.

Le personnel médical débordé, vidéo à l’appui

Des images en provenance d’un hôpital circulent sur les différents réseaux sociaux et les sites de vidéos en ligne. On y voit un personnel débordé et on se rend compte de la gravité des blessures (voir ci-dessous).

Internet continue à jouer son rôle malgré la censure

Lundi, le président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, est intervenu à la télévision. Il n’a pas mâché ses mots et a qualifié les émeutes d’ “actes terroristes impardonnables perpétrés par des voyous cagoulés“. Il a averti : “A ceux qui veulent porter atteinte aux intérêts du pays, ou manipuler notre jeunesse, nous disons que la loi sera appliquée“. Depuis ce mardi, les écoles et les universités sont fermées dans tout le pays, jusqu’à nouvel ordre.

En attendant, malgré les tentatives de censure, de nombreuses vidéos (comme celle de l’hôpital de Kasserine) continuent à circuler sur la toile. Ils sont des milliers de personnes à réagir sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook et Twitter, mais aussi sur d’autres forums.

Un professeur d’université témoigne

Contacté par la RTBF à Tunis, un professeur d’université et membre d’un parti de l’opposition a accepté de répondre à nos questions. Ahmed Bouazzi explique que la promesse du président Ben Ali de créer 300 000 emplois en deux ans ne suffira pas à calmer la colère des jeunes. D’abord parce que, selon lui, cet objectif est irréalisable. Ensuite, parce que les Tunisiens ne croient plus en ses promesses : “Le président Ben Ali avait promis la suppression de la présidence à vie, la démocratie et la justice. Or aujourd’hui, nous avons un président élu à vie, il n’y a pas de justice et surtout, il y a la corruption. Il essaie juste de gagner du temps“.

L’armée appelée à protéger la population de la police

Ahmed Bouazzi ajoute que le pouvoir en place à voulu tuer beaucoup de monde pour faire rentrer les réfractaires dans les rangs. Selon lui, la police tire sur les manifestants alors qu’ils ne sont pas armés. Un bébé a ainsi été touché à la main alors qu’il était dans les bras de sa maman, nous dit-il. Avec son parti, il compte bien déposer plainte devant les juridictions internationales.

En attendant, il semble que l’armée se désolidarise. Ce n’est en tout cas pas elle qui tire sur la population mais la police, affirme-t-il. “Les gens appellent l’armée pour les protéger de la police !“. Il nous confirme aussi que le chef de l’état-major a été démis de ses fonctions par le président et remplacé le chef de la sécurité militaire mais “on ne sait pas pourquoi, ni comment“.

Au chômage s’ajoute la corruption

Ce professeur d’université tient également à souligner l’importance d’Internet et des réseaux sociaux, dans un pays où la presse est cadenassée : “En Tunisie, nous n’avons pas le droit de créer des organisations, nous n’avons pas le droit de créer des partis, nous n’avons pas le droit de lancer un journal. En Tunisie, nous avons cinq radios privées. La première radio privée, c’est le gendre de Monsieur le Président qui la possède. La deuxième radio privée, c’est des cousins germains de Monsieur le Président. La troisième radio privée, c’est le mari de la fille de Monsieur le Président. La quatrième radio, c’est celle de la fille de Monsieur le Président et la cinquième, c’est celle du fils de Monsieur le Président. Il n’y a pas une seule autre radio privée. Nous sommes dans un pays où la télévision n’a parlé des événements qu’une semaine après alors qu’il y eu deux morts par balle. Et en plus, on n’en parlait une semaine après et ils déforment et il n’y a aucun membre de l’opposition qui ne peut venir prendre la parole dans ces moyens-là. Heureusement qu’il y a France 24, Al Jazzera et aussi Facebook (nous avons plus d’un million d’abonnés à Facebook). La source essentielle de toutes les télévisions du monde, c’est Facebook. Nous avons maintenant en Tunisie, un million de reporters amateurs qui mettent sur Facebook, des vidéos, nous en sommes très contents“.

Le chômage n’est donc pas le seul problème dans ce pays. Les jeunes qui avaient jusqu’ici accepté une restriction de leurs libertés en échange d’un développement économique sont aujourd’hui étouffés et affamés tandis que la richesse du pays est captée par la famille du président et son entourage.

Précisons qu’aux dernières nouvelles (un mail reçu en début d’après-midi ce mardi), ce professeur d’université se trouvait au siège de son parti à Tunis où la direction de son parti était assiégée par la police politique avec une trentaine de jeunes. Personne ne pouvait entrer ou sortir.

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