Rédaction et Laurent Delage
Pour tenter de faire passer la contre-réforme sur les retraites, le Ministre du travail français, Eric Woerth – ancien trésorier de l’UMP (Union pour un mouvement populaire) de Sarkozy et ex-Ministre des finances – a annoncé de possible «négociations sur la pénibilité du travail».
Selon lui, la mise en place du dispositif «pénibilité» devrait permettre à certains salarié·e·s – une dizaine de milliers – de prendre leur retraite avant la nouvelle limite (62 ans) ouvrant le droit à une rente.
Arnaud de Broca, secrétaire général de la FNATH –Association des accidenté·e·s de la vie – ainsi que le porte-parole de l’Association nationale des victimes de l’amiante (Andeva) estiment que la retraite à 60 ans «est inatteignable pour des centaines de milliers de personnes». (Les Echos, 23 août 2010).
Le secrétaire de la modérée Fédération générale des transports et de l’équipement CDFT insiste sur un fait connu et confirmé par de multiples études: «Les conditions de travail se sont considérablement dégradées ces dernières années. L’intensification du travail et la productivité à tout prix entraînent stress et souffrance au travail». (FGTE Magazine, juin 2010). Un constat qui concerne quasi toutes les professions,
Près de 50’000 salarié·e·s – selon une étude de l’Assurance-maladie française – sont atteints par des maladies professionnelles reconnues, dont 85% relèvent de TMS (troubles musculo-squelettiques).
Les cas de cancers professionnels sont en hausse: ils frappent entre 11’000 et 23’000 personnes, selon l’Institut du cancer. Les dernières études européennes sur les effets de la sous-traitance démontrent ses effets délétères sur la santé. Or, ce mode «d’organisation de la production» ne cesse de s’accroître. Les intérimaires sont au premier rang des salarié·e·s frappé·e·s par les maladies professionnelles reconnues ou pas.
Le collectif «Sauvons la médecine du travail» écrit: «Les pathologies du travail non déclarées et non reconnues, qui viendront peser sur les finances de la branche maladie augmenteront», suite au dispositif Woerth.
Une fois de plus, on constate qu’une approche démographique – de plus, fort aléatoire en termes quantitatifs – et qu’un refus d’intégrer les coûts dérivés (de santé, ici) d’une contre-réforme des retraites, au moment où chômage et intensification du travail vont de pair, ont un effet de transfert et même d’accroissement des coûts sociaux globaux, envisagés de manière étroite sous le seul angle financier.
De manière concise le collectif «Sauvons la médecine du travail» conclut: «Eric Woerth se moque autant de la prévention que de la pénibilité». Sont donc convergentes la mobilisation pour des conditions de travail ne brisant pas la santé et celle pour permettre aux être humains de pouvoir profiter de leur retraite en disposant d’un «état de santé» le meilleur possible.
La négociation sur la «pénibilité» proposé par Eric Woerth est non seulement un piège, mais se transforme en un danger collatéral mortifère de la contre-réforme des retraites.
Cette question n’est peut-être pas abordée de manière assez frontale par diverses organisations syndicales et politiques qui s’opposent à la réforme Woerth et participeront à la mobilisation des salarié·e·s le 7 septembre 2010.
Nous publions ci-dessous un article publié par le bulletin Débat révolutionnaire intérieur au NPA (Nouveau Parti Anti-Capitaliste). Cet article constitue une information supplémentaire, s’ajoutant à celles publiées sur notre site. (Réd.)
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Engager l’affrontement
Le 7 septembre 2010 se prépare à être une journée très importante de grèves et de manifestations. Loin d’être retombée depuis la journée du 24 juin 2010, la révolte contre la politique du gouvernement s’est approfondie avec les suites de l’affaire Woerth-Bettencourt qui révèle à quel point le pouvoir défend les intérêts des plus riches.
Alors que la crise politique s’approfondit à droite, entre les affaires et la fuite en avant dans la politique xénophobe avec les expulsions des Roms, la question des objectifs et des suites à la manifestation du 7 septembre est largement posée. Bien des travailleurs et des militants en ont assez de ces journées d’action sans lendemain et cherchent une politique pour réellement transformer le rapport de force face au pouvoir, dans la rue, par la grève.
Cette pression s’exerce sur les directions syndicales, qui, après le succès du 24 juin, ont appelé à cette initiative dès la rentrée. Bernard Thibault annonce que «la CGT lancera des appels à des assemblées générales de personnel dans un maximum d’endroits pour discuter (des suites) avec les salariés ; mais, en même temps, l’intersyndicale n’a pour le moment annoncé aucune initiative entre le 7 septembre et la journée européenne de la CES (Confédération européenne des syndicats) le 29 septembre, alors qu’une véritable journée de grève générale est indispensable pour développer la lutte contre le projet de loi du gouvernement.
Les directions des grandes confédérations restent, quant au fond, sur une politique de dialogue social, se refusant de mettre en avant, sans ambiguïtés, la lutte pour le retrait du projet de loi. C’est ce qui vient de permettre à François Chérèque (CFDT) de faire un appel du pied au gouvernement en lui proposant d’amender son texte à la marge.
Mais face au gouvernement et aux classes possédantes qui veulent imposer des reculs majeurs à l’ensemble du monde du travail, c’est bien la question de l’affrontement avec le pouvoir qui est à l’ordre du jour.
La démagogie xénophobe de Sarkozy se retourne contre lui
Durant l’été, les suites de l’affaire Woerth-Bettencourt ont continué de révéler au grand jour la réalité de ce gouvernement des riches par les riches. Alors que les discours sur la rigueur à destination des classes populaires se multiplient, tout le monde a pu découvrir que la milliardaire Bettencourt s’est fait rembourser 32,6 millions d’euros au titre du bouclier fiscal début 2007 sur ses revenus 2006 déclarés à 77,7 millions d’euros…
Alors qu’elle reçoit plus de 200 millions d’euros annuels de dividendes de l’Oréal chaque année! Bettencourt aurait ainsi reçu 100 millions d’euros sur les quatre dernières années sur les caisses de l’argent public! Et ce serait aux travailleurs de payer la facture de la dette… creusée par les largesses du gouvernement envers les plus riches, ainsi que par les subventions et les dégrèvements de cotisations sociales dont profite largement le patronat.
A cela se sont ajoutées les révélations sur les mœurs de ce «petit monde» de privilégiés, les cadeaux divers et variés attribués par Woerth ministre du Budget et trésorier de l’UMP: vente bradée de l’hippodrome de Compiègne, légion d’honneur à Patrice de Maistre [gérant de la fortune de Liliane Bettencourt] avec mensonge à la clef, sans parler de celle attribuée à Robert Peugeot, le même qui dînait en tête-à-tête avec Woerth juste après un vol de lingots d’or d’origine plutôt douteuse…
Malgré les tentatives d’intimidation du pouvoir en juillet, lorsque Xavier Bertrand (responsable de l’UMP, après avoir été Ministre du Travail) invectivait les journalistes de Mediapart en parlant de «méthodes fascistes», les tentatives de blanchiment du procureur Courroye proche de Sarkozy, la crise politique se poursuit avec un Woerth qui a le culot de se poser maintenant en victime.
Face à cette situation, Sarkozy a tenté de reprendre la main fin juillet sur le terrain des préjugés xénophobes et racistes avec les expulsions de Roms. Mais cette grossière manœuvre se retourne contre lui, y compris à droite où les rivalités de pouvoir accentuent la crise comme en témoignent les déclarations De Villepin, Rachida Dati, etc. Les «ministres de l’ouverture», qui ont servi jusque-là la politique populiste de Sarkozy, tentent de se démarquer… un peu, pour rapidement intégrer le giron du gouvernement.
La politique du pouvoir, c’est la fuite en avant réactionnaire, avec les déclarations xénophobes et racistes d’Hortefeux qui annonce qu’à Paris, «un auteur de vol sur cinq est un Roumain»… pendant qu’ Eric Besson [Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire !] prévoit d’aggraver davantage la loi sur l’immigration en alimentant les préjugés de café du commerce sur les «abus» des immigrés sur la protection sociale.
Le «dialogue social» à la rescousse du gouvernement
Toute cette situation fragilise le pouvoir au moment même où il veut imposer un pas décisif de son plan de rigueur avec la contre-réforme des retraites. Fin août, Sarkozy et Woerth ont tenté d’utiliser à nouveau le «dialogue social» pour reprendre l’initiative. Dans un communiqué, Sarkozy a annoncé «son souhait qu’il soit tenu compte de la situation de ceux qui ont eu une vie professionnelle plus dure que les autres», se réservant des amendements à la marge sur la pénibilité. Woerth a même proposé de rencontrer les syndicats avant la manifestation du 7 septembre. Celles-ci ont refusé en déclarant qu’il n’y avait rien de nouveau… tout en attendant ce que le gouvernement va proposer comme amendement à son texte.
Profitant de cette situation, Chérèque vient de prendre les devants, en faisant quatre propositions au gouvernement: report du passage à 67 ans (âge de la retraite à taux plein) en 2018 et négociations sur la pénibilité, les carrières longues et les polypensionnés.
Déclarant vouloir «faire avancer tout ce qui permettrait d’atténuer les effets de la réforme», Chérèque la soutient en annonçant dès maintenant au gouvernement qu’il est prêt à accepter le passage à 62 ans comme âge de départ à la retraite et même les 67 ans pour le taux plein, puisqu’un report ne changera rien sur le fond. De même, il est prêt à diviser le mouvement en le réduisant à une négociation à la marge sur la pénibilité ou les longues carrières, participant à la manœuvre du gouvernement pour tenter de désamorcer la crise sociale qu’il craint tant.
Contester le pouvoir et sa politique de régression sociale
La manœuvre de Chérèque prend appui sur la politique de l’Intersyndicale et des grandes confédérations syndicales qui ne veulent pas parler de la lutte pour imposer le retrait du projet de loi du gouvernement. Dans son communiqué du mois d’août, non signé par FO (Force ouvrière) qui n’avance pas d’autre politique sur le fond, elle déclarait: «Le gouvernement et les parlementaires doivent entendre la mobilisation des salariés et répondre à leurs revendications pour d’autres choix en matière de retraites, d’emploi et de pouvoir d’achat», comme s’ils n’avaient pas déjà clairement affirmé leur volonté de faire payer la crise de leur système au monde du travail, comme s’ils n’avaient pas déjà répondu par un projet de loi qui signifie un recul majeur sur la question des retraites !
Durant l’été, Chérèque déclarait sans être contesté par Thibault: «Les carottes ne sont pas cuites: ce sont les députés qui font les lois (…) et on va faire pression sur les députés pour qu’ils changent cette loi». Mais faire pression sur qui ? La droite ? Le PS, qui réaffirme à nouveau avec Laurent Fabius: «Pour nous, la retraite à 60 ans est une sorte de bouclier pour les personnes les plus modestes ayant commencé à travailler tôt, mais nous disons aussi que la plupart des salariés verront, avec le temps, l’âge effectif de la retraite augmenter, et nous actons l’allongement de la durée de cotisations» ?
Le 7 septembre 2010 ne doit pas être une manifestation pour aider la «gauche» au parlement, mais le point de départ d’un affrontement pour exiger le retrait du projet de loi de Woerth et revenir sur toutes les contre-réformes depuis 93, en particulier les 37,5 annuités pour tous.
Cela signifie ne pas craindre l’affrontement dans la rue en se laissant détourner par ceux qui voudraient enterrer la lutte dans les élections.
Discuter la perspective de la grève générale
Ne pas craindre l’affrontement, c’est opposer le pouvoir de la rue, de ceux d’en bas, à celui des Woerth, Bettencourt, de ce gouvernement des riches par et pour les riches. C’est assumer pleinement la contestation politique et la crise qu’elle provoquera. Alors que le gouvernement est en difficulté, les directions syndicales n’osent même pas s’engager dans la bataille en dénonçant l’illégitimité de Woerth, mouillé jusqu’au cou dans les affaires, tant elles sont intégrées à la politique du dialogue social. «Un vrai problème» ont déclaré dans un entretien commun au quotidien économique Les Echos Chérèque et Thibault.
Pour ce dernier l’affaire «polluait» le débat, alors qu’elle révèle aux yeux du plus grand nombre le sens politique même de la contre-réforme des retraites: assurer les profits des capitalistes, des banquiers, des actionnaires en s’en prenant à l’ensemble du monde du travail.
A l’opposé des préoccupations d’appareil, la journée du 7 septembre doit servir à faire entendre la colère du monde du travail, son refus de faire les frais de la crise et son envie d’en découdre. L’exigence du retrait doit s’exprimer le plus fort possible.
De même, la lutte pour les droits sociaux se combine avec la défense des droits démocratiques remis en cause par le gouvernement. Les mesures réactionnaires et xénophobes d’Hortefeux et de Besson s’inscrivent dans cette offensive des classes possédantes pour imposer l’injustice et la régression sociale.
Le 4 septembre doit préparer la manifestation du 7 septembre. Il ne s’agit pas de défendre la République des colonialistes, des Versaillais massacreurs de la Commune. Il s’agit de faire entendre les exigences démocratiques des classes populaires frappées par la crise, à l’opposé des références à la «sûreté républicaine», au moment même où Aubry claironne que «la crédibilité a changé de camp» sur le terrain de la politique sécuritaire ou que Ségolène Royal (PS) relance son projet de redressement des jeunes délinquants par les militaires.
Sur le terrain des retraites, nous devons prendre toutes les initiatives pour construire l’unité de celles et ceux qui militent pour le retrait, pour faire céder le gouvernement dans son offensive contre le monde du travail. Il s’agit de construire des collectifs de militants du mouvement, regroupant des travailleurs, des jeunes, des militants syndicaux, politiques, c’est-à-dire des cadres collectifs et démocratiques pour la mobilisation et l’animation de la lutte.
Dans les entreprises, les services, les écoles, etc. des AG (assemblées générales) se doivent d’avoir lieu sur les suites du 7 septembre, sur la reconduction du mouvement.
Menons le débat collectivement en intégrant la question de la reconductible dans la perspective de la grève générale. Un fort succès le 7 septembre doit servir à préparer la suite. Dans les syndicats, la pression doit s’exercer pour réclamer une vraie journée de grève générale avant le 29 septembre, permettant aux secteurs où la reconduction est possible de s’appuyer sur un mouvement d’ensemble pour y parvenir.
Mais un tel mouvement d’ensemble ne pourra se construire que sur des objectifs clairs, sur la base de la contestation du pouvoir, de sa politique. Partout, faisons entendre l’exigence du retrait de la contre-réforme Sarkozy-Woerth le plus fort possible. (3 septembre 2010)
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