Par May Al-Maghrabi
La ville de Port-Saïd est en désobéissance civile, la violence va crescendo et le bilan des victimes s’alourdit. Le régime des Frères musulmans fait la sourde oreille laissant la situation pourrir. Les peines prononcées à la suite du procès du drame du stade de Port- Saïd, et qui ont été confirmées cette semaine, ont suscité l’explosion de la fureur des Ports-Saïdis [1].
Ces derniers ont le sentiment qu’ils sont des boucs émissaires et que le régime s’entête à faire la sourde oreille. Puisque, face aux émeutes frappant la ville, le régime des Frères musulmans ne réagit que par des mesures répressives. Se trouvant dans une situation embarrassante, le régime des Frères musulmans a opté pour la fermeté dans une tentative de reprendre le contrôle d’une situation qui lui échappe. C’est ce que révèle la politique du président Morsi qui a trouvé dans le durcissement de la poigne sécuritaire la seule solution à la crise de Port-Saïd.
Dès le début de la crise, fin janvier 2013, Morsi a décrété un couvre-feu d’un mois dans les trois villes du Canal de Suez: Port-Saïd, Ismaïliya et Suez, au lieu d’être à l’écoute d’un peuple frustré. Si les Frères musulmans persistent à gérer la situation en recourant au sécuritaire, c’est parce qu’il ne s’agit, pour eux, que de «hooligans» et de «casseurs», comme les ont qualifiés le président Morsi et sa confrérie.
«Ce qui se passe à Port- Saïd ne peut pas être qualifié de désobéissance civile. Ce ne sont que des actes de hooliganisme que les Egyptiens rejettent», c’est ce qu’a déclaré le président Morsi.
Une position certes partagée par sa confrérie accusée d’immobilisme et de mauvaise gestion des affaires publiques. Oussama Gado, cadre de la confrérie, estime que les contestations à Port-Saïd sont limitées et ne visent qu’à discréditer le président Morsi. «Ceux qui sont à l’origine des émeutes à Port-Saïd sont des voyous et des gens appartenant à l’ancien régime et voulant semer le désordre dans le pays. Il est temps de rétablir la stabilité et de poursuivre l’instauration des institutions de l’Etat», indique Gado, estimant que la présidence a traité l’affaire de Port-Saïd avec assez de lucidité. «Pourquoi tout ce tollé? Le verdict de Port-Saïd n’est pas irrévocable, et les familles des condamnés peuvent faire un recours. Pourquoi donc politiser un procès tranché par la justice au lieu de valoriser les intérêts publics?», se demande Abdel-Moneim Abdel-Maqsoud, avocat de la confrérie.
Le président et la confrérie déconnectés
Selon Guehad Ouda, politologue, le président et sa confrérie semblent carrément déconnectés de la réalité [2]. Ils ne réalisent pas l’ampleur de la situation à Port- Saïd et dans toute l’Egypte.
«L’arrogance et l’obstination politique qui caractérisent la confrérie depuis son accession au pouvoir la poussent à rejeter toute critique, suivant le principe de : plaignez-vous autant que vous voulez, nous faisons ce que nous voulons. La confrérie persiste à imputer à la contre-révolution, orchestrée par les caciques de l’ancien régime, la responsabilité des violences. Elle reproche aux médias et à l’opposition de jeter de l’huile sur le feu», explique Ouda. Selon lui, le problème du régime est dans le fait qu’il ne conçoit pas l’enjeu des contestations. Par conséquent, il ne parvient pas à résoudre les problèmes. «Les Frères musulmans ont tort d’imaginer qu’ils sont capables de leurrer ou de domestiquer un peuple qui s’est débarrassé à jamais de la soumission à toute dictature depuis janvier 2011.
C’est une catastrophe que les Frères restent dominés par la théorie de conspiration et ne réalisent pas que les Egyptiens ne s’insurgent pas contre le président Morsi, mais contre tout autoritarisme», estime Ouda.
Face à cette sourde oreille des Frères musulmans dans le traitement du dossier de Port-Saïd, ce peuple irréductible les a obligés à quitter la ville. Affaire que la confrérie a essayé d’atténuer pour sauver sa face. Un responsable du Parti Liberté et justice [parti des Frères musulmans] à Port-Saïd a indiqué qu’ils sont toujours à Port-Saïd, mais de manière plus discrète. «Nous ne nous sommes ni enfuis, ni retirés des rues. Mais nous avons fermé notre Quartier Général et nous agissons de manière individuelle. Pas par peur, mais pour éviter un bain de sang», a-t-il affirmé.
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[1] Le tribunal de Port-Saïd a rendu son verdict, samedi 9 mars 2013, contre 73 accusés, un peu plus d’un an après le drame du stade de football de la ville qui opposait le club de Caire et celui de Port-Saïd. Les supporters d’Ahly (Caire) sont épargnés.
21 condamnations à la peine capitale
Tous les condamnés à la peine de mort par pendaison, âgés de 16 à 44 ans, font partie des supporters du club Masri de Port-Saïd: 5 des 21 condamnés à la peine capitale sont toujours en fuite.
5 peines de prison à perpétuité
Tous les condamnés à cette peine font aussi partie des supporters du club Masri de Port-Saïd.
10 condamnés à 15 ans de prison
2 des 9 policiers accusés, à savoir le chef de la police de Port- Saïd de l’époque et son adjoint, ont été condamnés à 15 ans. Ils ont été jugés coupables de négligence criminelle, alors qu’ils devaient assurer la sécurité lors de ce match de football fatal. L’ingénieur de l’électricité du stade est aussi sur la liste. Les 7 autres accusés font partie des supporters du club Masri.
6 condamnés à 10 ans de prison
Ils font tous partie des supporters de Masri. Accusés d’avoir frappé à l’aide de bâtons et de chaises les supporters de l’autre camp.
2 condamnés à 5 ans de prison
Agés de 15 et 32 ans, ils sont des supporters de Masri, accusés d’avoir battu avec des chaînes métalliques les supporters d’Ahly.
1 condamné à un an de prison
Il fait partie des supporters du club Masri, accusé du vol des supporters d’Ahli.
28 acquittements
7 des 9 policiers ont été acquittés. 2 des 3 responsables du club Masri ont aussi été acquittés. Tous les autres acquittés sont des supporters de Masri.
A noter que le groupe qui porte le nom «On vous suit avec le rapport» composé de juristes, d’activistes dans le domaine des droits de l’homme ainsi que des familles de martyrs a publié un communiqué suite à la prononciation du verdict. Il révèle avoir présenté au procureur général une liste contenant les noms de 56 policiers qui n’ont pas fait partie du procès et dont les noms ont figuré dans le rapport d’enquêtes. Ce rapport n’a pas été pris en considération au cours du procès. Ces 56 policiers, outre ceux qui ont été jugés, étaient eux aussi chargés de la sécurité du stade lors du match.
[2] Chronologie
26 janvier 2013
21 personnes sont condamnées à mort pour les violences qui ont eu lieu au stade de football de Port-Saïd. La décision des magistrats provoque une nouvelle flambée de violences dans la ville. Ces affrontements interviennent au lendemain du deuxième anniversaire de la révolution. Deux postes de police sont également pris d’assaut. Bilan : 33 morts, dont 2 policiers, et au moins 176 blessés.
27 janvier 2013
Des milliers de personnes assistent aux funérailles des 33 manifestants morts à la veille lorsqu’un jeune homme est tué par balle durant la procession. L’armée est omniprésente et contrôle les principaux accès de la ville, après la décision du président d’imposer le couvre-feu et l’état d’urgence.
Février 2013
Les manifestations et les confrontations entre les forces de l’ordre et les manifestants sont quasi quotidiennes.
17 février 2013
Des militants politiques de Port-Saïd et la ligue des fans de Masri, les Green Eagles, annoncent dans un communiqué le début d’une désobéissance civile au sein de toutes les institutions du gouvernorat, afin d’inciter le gouvernement à démissionner et de faire pression pour l’annulation de la condamnation à mort des 21 Port-Saïdis.
5 mars 2013
Les affrontements s’aggravent suite à la décision du ministère de l’Intérieur de transférer hors de la ville une quarantaine de prévenus qui doivent être jugés le 9 mars pour leur participation à des heurts lors du match. Un bâtiment des services de sécurité est incendié, ainsi que le siège du gouvernorat. 6 personnes sont tuées, dont 3 policiers.
7 mars 2013
On dénombre à présent plus de 400 blessés et 6 morts dans les affrontements entre la police et les manifestants.
9 mars 2013
Réactions de colère suite à la confirmation de la peine de mort pour les 21 personnes et des peines de prison pour de nombreux autres accusés. Des manifestants prennent position aux abords du Canal de Suez et perturbent le trafic maritime. Au Caire, des cocktails Molotov répondent aux bombes lacrymogènes des policiers. La violence monte d’un cran faisant 2 morts et 65 blessés. La majorité des policiers inculpés sont innocentés.
(Texte publié dans Al-Ahram, le 13 mars 2013)
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