Par Laura Carlsen
Une part importante du Mexique est devenu un terrain d’affrontements entre bandes diverses. Le départage n’est pas toujours facile entre: organisations criminelles «professionnelles»; groupes policiers qui leur sont attachés; «opérateurs» de la CIA et de la DEA (organisme des Etats-Unis censé lutter contre le trafic de drogue); commandos d’élites sous la direction du Président Caldéron et les «organisations criminelles polyvalentes», faisant dans divers commerces, dont celui des migrant·e·s venant de l’Equateur et de l’Amérique centrale, comme du Mexique. Ils cherchant, pour survivre, à se rendre au Etats-Unis. Des migrant·e·s exécutés, parfois, sur le chemin; une fois une partie de la somme versée ou parce qu’ils ne peuvent la verser dans «les délais prévus» sur des comptes aux Etats-Unis ou au Mexique; ou encore pour éviter un affrontement avec des forces états-uniennes de surveillance de la frontière.
La crise protéiforme mexicaine est le résultat de divers facteurs, mais l’un est celui des accords dits de libre-échange avec les Etats-Unis.
«Un pays cimetière», voilà une formule qui devient courante au Mexique. Les journalistes et défenseurs des droits de la personne humaine assassinés sont en nombre croissant. Les corps d’élites militaires de Caldéron et les «organismes parallèles» sont reconnus comme très actifs dans ce domaine de l’information-tuée.
La «crise mexicaine» ouvre la voie à une nouvelle politique d’intervention encore plus directe – marquée par une longue histoire – des Etats-Unis dans la «sphère» du Mexique. Une nouvelle dimension de la politique du gouvernement du «Yes we can» ! Nous publions ci-dessous une analyse fort utile des projets des Etats-Unis. (Réd.)
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La secrétaire d’Etat [ministre des Affaires étrangères] Hillary Clinton (du gouvernement Obama) a déclaré mercredi que le Mexique et l’Amérique Centrale étaient en train de faire face à une «insurrection» qui requérait l’équivalent d’un Plan Colombie [1] pour la région. Ses commentaires ont immédiatement provoqué la colère du gouvernement mexicain et éveillé les craintes d’une intervention militaire états–unienne accrue.
«…nous nous trouvons face à la menace croissante d’un réseau bien organisé de trafic de drogue, menace qui fait de plus en plus cause commune avec ce que nous pourrions considérer comme une insurrection au Mexique et en Amérique Centrale», a déclaré H. Clinton. Elle a ajouté: «Ces cartels de la drogue montrent maintenant de plus en plus de signes d’insurrection; tout à coup, des voitures piégées qui n’existaient pas auparavant apparaissent.»
Ironiquement, Clinton était en train de répondre à une question quant à savoir ce que les Etats-Unis étaient en train de faire concernant leur «responsabilité dans le problème des drogues qui viennent vers le nord et de armes qui descendent vers le sud.» Au lieu de répondre à la question, Clinton a comparé le Mexique à la Colombie et à fait la plus osée des déclarations annonçant une intervention états-unienne, incluant une aide militaire, dans la guerre du Mexique contre la drogue.
«Cela ressemble de plus en plus à la Colombie d’il y a 20 ans,» a dit H. Clinton. «La Colombie qui est arrivée à un point où plus du tiers du pays, presque le 40 pour cent, a été à un moment ou à un autre contrôlé par les insurgés, par les FARC. Mais cela va être une combinaison de capacité institutionnelle accrue et de renforcement de la loi et, où cela est approprié, une aide militaire pour que ce renforcement de la loi marié à la volonté politique soit capable d’empêcher le phénomène de se répandre et d’essayer de le faire reculer.» Clinton a maintenu que le Plan Colombie fonctionnait et a ajouté «nous avons besoin de trouver ce que pourraient être ses équivalents en Amérique Centrale, au Mexique et dans les Caraïbes.»
La réponse mexicaine
Cela n’a pas mis beaucoup de temps pour que tous les membres du Congrès mexicain répondent avec indignation. En pleine session parlementaire, un représentant a déclaré que le gouvernement des Etats-Unis était «bon pour critiquer les autres pays et ne pas reconnaître qu’ils étaient une composante importante de cette sombre chaîne du trafic de drogue et du crime organisé, et que le peuple mexicain devait rejeter toute attitude interventionniste de la part du gouvernement de Washington.» Certains membres du Congrès mexicain ont demandé que le secrétaire aux relations étrangères envoie une note formelle de protestation à l’administration Obama.
La secrétaire Patricia Espinosa a déclaré qu’elle ne «partageait pas le jugement» de son homologue du nord et le porte-parole du cabinet Alejandro Poire a rejeté la comparaison avec la Colombie.
A Washington, on a essayé de limiter les dégâts. Le secrétaire d’Etat adjoint Arturo Valenzuela a corrigé son patron [H. Clinton], disant que «l’utilisation du terme insurrection ne devrait pas être vue de la même manière qu’une insurrection colombienne. Que ce n’était pas une insurrection par un groupe militarisé essayant à l’intérieur d’une société de renverser l’Etat pour des raisons politiques.» Plus tard, dans des propos tenus pour le quotidien La Opinion [le premier quotidien hispanophone des Etats-Unis], le Président Obama a écarté cette comparaison.
Le commentaire a provoqué un petit ouragan à l’intérieur du cabinet Obama et dans les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et le Mexique.
La comparaison colombienne
La seule chose surprenante à propos du concept de Clinton est qu’elle l’a exprimé à haute voix. L’initiative Merida %du nom de la capitale du Yucatan] était initialement surnommée «Plan Mexico», jusqu’à ce que le surnom soit mis au rebus. La comparaison directe avec le Plan Colombie était considérée un handicap. Au Mexique, l’idée même d’une présence militaire états-unienne avive un sentiment nationaliste. Et aux Etats-Unis, l’impact négligeable sur le trafic de drogue et l’augmentation des violations des droits humains avec un Plan Colombie à 7,3 milliards de dollars éveille bien des préoccupations sur le fait de vouloir le copier dans un autre pays.
Quel que soit le nom que l’on lui donne, le plan Bush pour le Mexique et l’Amérique Centrale a toujours entretenu une relation proche avec son prédécesseur du sud. Le Plan Colombie a commencé comme un plan anti-narco-trafic construit sur le modèle d’une guerre contre les trafiquants de drogue pour imposer leur défaîte, et ce faisant en utilisant les forces armées, avec une participation rapprochée, conjointe, des Etats-Unis. Le Plan Mexique n’inclut par la présence de l’armée états-unienne, mais est basé sur le même modèle.
L’association délibérée de Clinton entre insurrection et trafic de drogue provient de deux sources: l’ignorance ou une mauvaise information malintentionnée. Une insurrection cherche à conquérir du territoire afin d’apporter un profond changement dans la structure de la société et, généralement, renverser le gouvernement. Les trafiquants de drogue, malgré les déclarations de s [le président mexicain] affirmant le contraire, ne lancent pas des offensives contre l’Etat en vue de remplacer le gouvernement. Tous vont dans le sens de protéger et d’étendre leur business lucratif. En partie, l’apparent malentendu sur cette distinction est à la racine de l’échec de la politique de guerre contre la drogue.
Si cela était compris, l’évidente stratégie serait d’attaquer le business, pas ses ouvriers. Engager des cartels qui prennent la place de ceux en place est très facile à Mexico. Les cartels sont flexibles dans leur structure avec des nouveaux leaders ou des gangs rivaux remplaçant ceux qui ont disparu ou qui ont été affaiblis. Il y a un réservoir infini d’hommes jeunes avec peu de perspectives dans la vie dans un pays où le gouvernement a échoué à procurer une éducation adéquate ou des opportunités d’emploi.
Attaquer le business signifie s’attaquer aux structures financières transnationales qui le soutiennent. Les deux gouvernements ont semblé réticents à faire cela par la force puisque l’argent de la drogue coule à travers le canal puissant des institutions financières, et qu’en apportant des liquidités à celles-ci, ce business trouve une apparente légitimité.
Faire de la politique à rebours
Peu avant la déclaration de Clinton, le Congrès américain a approuvé une rallonge de 175 millions de dollars pour la «guerre de la drogue mexicaine» sans aucune remise en cause ou analyse stratégique des terribles résultats que ce modèle a connus jusqu’ici. Une violence liée à la drogue a explosé au sud de la frontière avec les Etats-Unis [le débouché le plus grand à l’échelle mondiale], avec presque 30’000 morts depuis le lancement de la guerre de la drogue en 2006. Les violations des droits humains par l’armée ont été multipliées par six l’année passée; au cours des derniers mois les forces armées ont tué plusieurs civils.
Des représentants élus devraient procéder à l’utilisation de nos impôts après une analyse prudente de la manière dont ces ressources vont effectivement atteindre des buts en lien avec le bien commun. Quand on en vient à défendre les allocations de resssources en général, et le Plan Mexique en est un exemple extrême, le mode opératoire est de dépenser maintenant et de s’arranger plus tard avec les résultats désastreux, en dépensant plus. Un rapport récent du General Accounting Office [une Cour des comptes] a rapporté que l’Initiative Merida ne contient même pas de dispositions permettant d’en faire l’évaluation.
L’intervention auprès d’Etats du Mexique fédéral nécessite que soient respectées des normes explicitées dans le «Internation Narcotics Control and Lax Enforcement», ce qui implique un rapport du Département d’Etat démontrant que l’opération s’effectue conformément aux articles de la Section 7045(e). Ces «conditions sur les droits humains», que certains législateurs et groupes de pression de Washington ont encouragées, ont reflété de sérieuses préoccupations sur le fait que des fonds iraient à des forces de sécurité notoirement corrompues et multipliant les abus de pouvoir au Mexique.
En pratique, cependant, le Congrès a édulcoré les conditions de manière à mettre un écran de fumée permettant de cacher les préoccupations quant à la stratégie. Le Congrès a ignoré les critiques à l’Initiative Merida venant de l’ AFL-CIO [centrale syndicale] et les craintes provenant de milieux religieux, et ont approuvé cinq allocations de ressources séparées totalisant près de 1, 5 milliard de dollars. L’initiative, qui au départ était un engagement pour trois ans, s’est transformée en un engagement permanent.
Le 5 septembre 2010, la secrétaire d’Etat, H. Clinton, a annoncé que le gouvernement américain était en train de retenir 15% d’un nouveau crédit supplémentaire en raison de conditions liées aux droits humains. Le gouvernement mexicain s’est plaint publiquement très bruyamment, mais en silence, il a jubilé. Le calcul est évident – nous vous donnerons 175 millions de dollars en plus, mais retiendrons 26 millions pour un gain net de 149 millions. Les deux gouvernements ont fait des déclarations moralisatrices. Les Etats-Unis ont critiqué le Mexique en faisant semblant d’ignorer le fait que le crime transnational ne pourrait fonctionner sans de la corruption à l’intérieur de leurs propres frontières. Et l’administration Calderón a protesté contre les chichis faits par ses voisins sur les droits humains alors qu’il y a une guerre à affronter. Même la presse des milieux dominants a relevé les contradictions de ce jeu de nombres comptables.
Actuellement, il semble que la politique de mise en place d’une guerre contre la drogue plus aimable et gentille soit discréditée. L’interprétation la plus généreuse est que ce fut une stratégie provenant de groupes et de membres du Congrès comprenant mal la situation au Mexique et la nature de la nouvelle relation binationale dirigée par le Pentagone qui a été forgée à travers le Plan. Une rectification immédiate devrait être faite. Au lieu de cela, l’administration Obama prévoit de demander encore plus de fonds publics pour cette politique qui a échoué, en vantant ses mérites dans le domaine des droits humains.
Les doutes s’accumulent
La dernière controverse autour de la politique du trafic de drogue au Mexique survient au milieu de gros doutes sur les deux côtés de la frontière. Des sénateurs mexicains de tous les partis politiques, excepté celui de Calderón [Parti action nationale –Pan, Caldéron a été élu en 2006], ont durement critiqué l’ «échec» de la guerre contre la drogue du président. Le Parti Révolutionnaire Institutionnel [PRI – parti historiquement au pouvoir durant des décennies] a noté que le rapport annuel soumis par le Président Calderón a montré qu’il y avait moins interdictions et pas d’augmentation notable des arrestations, avec seulement 1,5 millions de pesos alloués à la prévention de l’addiction. Un membre du Parti de la Révolution Démocratique a décrié l’équation du «plus de ressources, plus de morts», alors que la guerre contre la drogue a coûté au budget mexicain appauvri presque 7 milliards de dollars à ce jour.
Aux Etats-Unis, des doutes ont grandi quant à l’efficacité de la stratégie. Le directeur de l’Agence du Département de la Sécurité, de l’Immigration et des Douanes Alonzo R. Peña s’est plaint du fait que le gouvernement mexicain souvent n’agit pas selon les données des services de renseignements des Etats-Unis. Peña a remarqué qu’à certains moments que la précaution pourrait être raisonnable, mais qu’à d’autres «c’est complètement de la corruption.» A Washington, l’augmentation des conséquences négatives a conduit à des préoccupations sur le manque d’une stratégie de sortie ou d’un projet définissant clairement les possibilités de succès.
Particulièrement avec la sévère détérioration de la situation socio-économique et criminelle au Mexique, aucune solution magique ne se présente. Néanmoins, le Congrès ne devrait pas ignorer la violence qui a été déclenchée sous la politique actuelle et ne peut pas accepter les meurtres comme étant des dommages collatéraux. Des experts mexicains calculent qu’à ce rythme, les morts liées à la drogue atteindront plus de 70’000 d’ici à la fin de la présidence de Calderón, avec une moyenne de 50 morts par jour à travers tout le pays.
Les Etats-Unis doivent commencer par reconnaître la responsabilité partagée dans la croissance du crime organisé au Mexique. Les Etats-Unis font également face à des défis à l’intérieur de leurs propres frontières et partagent la responsabilité dans le soutien à une stratégie de guerre contre la drogue qui a, de façon si évidente, renforcer la brutalité des cartels de la drogue. Il y a un manque d’informations sur les activités anti-corruption aux Etats-Unis qui ont échoué dans la prévention et ont effectivement facilité le transfert de «substances illégales» [drogues] à travers la frontière pour une distribution aux villes des deux côtes est et ouest des Etats-Unis. Le traitement de l’addiction et les programmes de prévention contre l’abus de drogue manquent tristement de moyens. Des mesures comme le référendum californien sur la légalisation de la marijuana pourraient éliminer un immense morceau du revenu des cartels en retirant la drogue du marché noir.
Les déclarations de H. Clinton révèlent les forts courants à l’intérieur du gouvernement qui cherchent à approfondir l’engagement des Etats-Unis dans la guerre mexicaine contre la drogue. Il n’est jamais facile d’admettre l’échec d’une politique de cette ampleur ou de laisser tomber des plans comme le Plan Mexique qui impliquent les lobbies puissants des producteurs d’armes et des sociétés de sécurité privées. Mais le Président Obama a eu le courage d’admettre des erreurs et d’essayer de les corriger. Aussi bien l’administration que le Congrès doivent faire preuve de ce courage maintenant pour profondément réorienter la guerre contre la drogue qui est hors de contrôle sur la frontière. (Traduction A l’Encontre)
*Laura Carlsen est directrice de l’Americas Policy Program à Mexico City.
1. Le «plan Colombie» a été mis en place par les Etats-Unis à l’occasion de la présidence Andrés Pastrana en 1998. Il permit un vaste déploiement militaire dans la région de la Colombie en passant par l’Equateur et des îles côtières du Venezuela. Après les changements politiques (gouvernement Correa) survenus en Equateur (retrait de la base de Manta), la Colombie va concentrer le gros de la présence des forces militaires états-uniennes qui, de là, disposent de «forces de projection», en s’appuyant aussi sur leur base du Honduras; cette dernière a été développée suite à la victoire des Sandinistes en 1979. La lutte contre le narcotrafic a été le vecteur de légitimation politico-médiatique de cette «couverture militaire». (Réd.)
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