Nicaragua. La guerre déclenchée par Ortega-Murillo. Faire face à une phase nouvelle de l’histoire politique

Photo transmise par des participants à la manifestation pour la libération des prisonniers politiques à Managua, le 15 août. Manifestation d’importance organisée malgré la répression du gouvernement Ortega-Murillo

Par notre correspondant
à Managua

1.- Quatre mois après le début des manifestations pacifiques, l’insécurité règne au sein de la population. Les menaces, les arrestations et la torture sont les principales raisons pour lesquelles les gens s’adressent aux organisations de défense des droits de l’homme suite au 18 avril.

2.- La guerre déclenchée par le gouvernement Ortega-Murillo avec sa police cagoulée et ses paramilitaires vise à briser et à détruire les manifestations sociales. Le mouvement social ne peut pas aborder cette guerre avec la même «logique» que le gouvernement Ortega-Murillo.

3.- Ortega-Murillo représentent le nœud central du gouvernement qui contrôle et manipule des secteurs sociaux afin de poursuivre leurs terribles crimes contre les citoyens et citoyennes non armés. Nous ne devons pas oublier que la «culture caudilliste» est présente chez de nombreuses personnes, ce qui permet la manipulation par le régime de nombreuses consciences.

4.- Le mouvement étudiant d’avril 2018 a marqué le début du déchirement du système politique du co-gouvernement Ortega-Murillo+le Grand Capital, étant donné la lassitude généralisée et la faillite de ce modèle qui a accru l’appauvrissement au sein de la population générale.

5.- La réponse du régime aux protestations a été une répression insensée. Le mensonge, la manipulation, la corruption de la «Justice», l’impunité, l’insulte et la répression nous démontrent que les folies du pouvoir ont été nombreuses ainsi que, de même, les silences complices. Je pense qu’une critique à contretemps n’est pas une critique, mais une justification.

6.- Selon l’Unión de Productores Agropecuarios du Nicaragua (UPANIC), 50 propriétés, jusqu’en date 16 août, ont été saisies, ce qui couvre une superficie de 8742,5 manzanas [une manzana équivaut à 0,7050 hectare]. Selon la même source cela a suscité des pertes à hauteur de 16,4 millions de dollars pour ce secteur privé [1].

7.- La possibilité de plus en plus restreinte pour Ortega-Murillo de négocier une sortie de la crise sociopolitique actuelle l’oblige à refuser que la Commission du travail de l’OEA vienne au Nicaragua [2]. C’est une façon d’écarter ce qu’il considère comme un danger pour lui-même ou pour les membres de la nouvelle classe.

8.- La phrase d’Ortega selon laquelle «cela n’arrivera jamais», se référant à l’arrivée de la Commission du travail de l’OEA au Nicaragua, doit se traduire par la formule suivante: «Cela ne me convient pas du tout» ou «j’ai peur de ce qui pourrait arriver plus tard».

9.- Les choses arrivent parce qu’elles peuvent arriver, l’impossible n’arrive jamais. Par conséquent, à l’heure actuelle, certaines considérations doivent être prises en compte.

10.La première est que nous ne devons pas sous-estimer la guerre du régime actuel, car elle vise à mettre le mouvement social à genoux. Si nous mettons la situation présente en perspective, nous pouvons dire que nous sommes dans une phase d’effort massif de destruction mené par Ortega utilisant sa branche armée: les paramilitaires cagoulés.

11.- Nous assistons à une aggravation du climat répressif qui cherche à éliminer les leaderships locaux et de quartier qui visent à empêcher la résurgence des mouvements sociaux et à rendre impossible l’établissement d’un leadership national. Toutefois, le Nicaragua n’est pas revenu à la normale.

12.- La population souffre d’un niveau élevé d’incertitude et d’insécurité en raison de la répression gouvernementale à laquelle sont confrontés les jeunes en particulier, qu’ils aient participé ou non aux manifestations pacifiques contre le régime. Les prisonniers politiques sont condamnés sans aucune preuve.

13.- La deuxième: la défense des droits humains de tous les citoyens et citoyennes s’impose avec force. La défense de ces droits assure que le statut de citoyen de la population prend une forme et un sens d’être collectif. La défense face aux attaques des paramilitaires permet d’unir le peuple, tout en ruinant politiquement le gouvernement, tant au niveau national qu’international; cela tant que nous sommes capables de maintenir, sous diverses formes, la mobilisation sociale sur la durée.

14.- Y compris le fait de ne plus ériger de barrages routiers et de barricades prend ici son sens. Il ne fait pas sens, au plan politique, de risquer l’avenir des protestations en voulant montrer au gouvernement, sur ce terrain, que nous n’avons pas été battus. Il s’agit, à ce stade de la lutte, de maintenir l’esprit combatif du mouvement social par d’autres moyens.

15.- Par conséquent, dans ces moments, la clé est la permanence, la persistance et la durabilité pour survivre en tant que mouvement social. A ce stade, il est nécessaire d’établir publiquement la liste les morts, des prisonniers politiques et des disparus [3]. Avec Ortega-Murillo, le somozisme a trouvé une renaissance au Nicaragua.

16.- Il existe une insurrection de la narration collective: circulent les histoires douloureuses de milliers de personnes qui ont souffert et souffrent de la répression du régime. Quand les gens sont capables de ressentir la douleur des autres, cela nous transmet l’espoir que la lutte continuera.

17.- Les communautés [quartiers, villages, villes, associations diverses, etc.] optent pour la défense non violente des droits de l’homme de leurs représentants (leaders) locaux, de ceux des prisonniers et des personnes disparues. Il doit être clair qu’il n’y a pas de raccourci pour éviter la douleur et la mort causées par la répression des paramilitaires, mais existe l’aptitude de les transmuer en une force collective.

18.- La troisième considération est complexe. En effet, le mouvement social n’a pas l’expérience d’un chemin aussi nécessaire qu’inédit au Nicaragua: la lutte non-violente.

19.- Le défi consiste à vaincre politiquement la stratégie de destruction mise en œuvre par le gouvernement Ortega-Murillo et, simultanément, à créer une stratégie politique pour obtenir la victoire.

20.- Dans un tel tournant de l’histoire politique, nous n’avons d’autre choix que la créativité. Ne pas avoir de stratégie conduirait à l’échec et nous trébucherions à nouveau sur le même obstacle: permettre au régime dictatorial de se perpétuer.

21.- Nous sommes dans une période de grande confusion, sans leadership national reconnu, avec les leaders locaux disloqués par la répression; nous devons nous en tenir à une stratégie qui ne peut être neutre: l’objectif doit être la défaite politique du gouvernement Ortega-Murillo. (Managua, 18 août 2018; traduction A l’Encontre)

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[1] Ces «expropriations» n’entrent pas dans un processus de réforme agraire, mais participent d’une «distribution» de biens à une clientèle politique, de la constitution de casernes pour des actions des paramilitaires (par exemple dans le département de Nueva Segovia) ainsi que d’instrument politique dans la gestion des tensions avec le secteur du capital agraire. Une interprétation qui y verrait un processus de «réforme agraire» serait aussi inadéquate que celle qui attribuait un tel projet à la «distribution des terres» par Mugabe au Zimbabwe en 2002. (Réd. A l’Encontre)

[2] Le Groupe Interdisciplinaire d’Experts Internationaux (GIEI), lors d’une conférence de presse tenue à Managua le jeudi 16 août, a dénoncé la décision du gouvernement de Daniel Ortega de lui interdire l’accès à toute information concernant la Cour suprême, le ministère de l’Intérieur, la police nationale, le ministère de la Santé afin d’établir les crimes dénoncés pour la période allant du 18 avril au 30 mai. La Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a fait le même constat. (Réd. A l’Encontre)

[3] Des listes de personnes tuées, avec noms et prénoms, circulent largement sur les réseaux sociaux et démentent les affirmations du gouvernement. (Réd A l’Encontre)

 

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