Le lundi 14 décembre 2015, au soir, l’assemblée du personnel de la fonction publique du canton de Genève constatait que le projet de Protocole d’accord du Conseil d’Etat (exécutif cantonal), envoyé aux «organisations représentant le personnel», ne répondait strictement pas à leurs revendications. Les négociations n’ont abouti à rien, comme l’expliquèrent les porte-parole du Comité de lutte.
Quelque 500 salarié·e·s étaient présents à cette assemblée. A une très large majorité, ils votèrent à mains levées – avec 7 oppositions et 25 abstentions – la grève pour ce mardi 15 décembre et la participation à une manifestation qui doit réunir d’autres secteurs tels que des chauffeurs de taxi (qui s’affrontent au système Uber), les membres de diverses associations, compagnies de théâtre – frappés aussi par les réductions budgétaires de la ville – et groupes de collégiens, d’étudiants et «d’usagers»: parents d’élèves («Roulons pour nos écoles»), personnes recevant des soins médicaux. Il s’agit du 7e jour de grève et de la 8e manifestation depuis un mois (voir à ce sujet les articles publiés sur ce site en date des 10 et 25 novembre 2015 et du 1er décembre 2015).
Le Groupement des associations de police (GAP) a annoncé qu’il ne participerait pas à la journée de grève supplémentaire. «Une décision motivée par “le contexte sécuritaire exceptionnel” de ces derniers jours, le “niveau de vigilance” face à des menaces terroristes ayant été maintenu par l’Etat. «Il ne s’agit en aucun cas d’une porte de sortie», a toutefois précisé un représentant du GAP.» (Le Courrier, 15 décembre 2015)
Le fonctionnement démocratique constitue une des forces unificatrices du mouvement. Ainsi, avant la manifestation du 15 décembre, à 17 heures, se tiendra à 15 heures une assemblée. Elle devra effectuer un bilan de la situation et décider «comment aller de l’avant».
L’objectif de la manifestation du 15 décembre est fort important: son ampleur, dans cette période de l’année, sera révélatrice de la dynamique pour la défense des services au public.
En effet, ce mouvement possède les traits combinés d’une mobilisation syndicale – avec des expressions inégales et changeantes des grèves sur les lieux de travail – et d’un mouvement social. Ce qui est le produit d’une transformation rampante du climat social marqué par les effets d’une austérité budgétaire relevant d’une opiniâtreté politique frappée au coin d’un néo-conservatisme de nantis autistes et de l’extension d’inégalités sociales dont la visibilité et la concrétisation sont ressenties par les salarié·e·s de la fonction publique et une fraction de la population. Nous reproduisons ci-dessous la feuille distribuée par le Mouvement pour le socialisme (MPS) lors de l’assemblée du 14 décembre et lors de la manifestation du 15 décembre 2015. (Rédaction A l’Encontre)
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Le Conseil d’Etat… de la FER
Le directeur général de la Fédération des entreprises romandes (FER) donne le ton de la détermination du Conseil d’Etat pour imposer son diktat aux salarié·e·s de l’ensemble des services au public. Blaise Matthey écrit, le 4 décembre 2015: pour «regagner la confiance et la stabilité», il faut restaurer «la compétitivité fiscale» et fermement lutter «contre le terrorisme, sans parler des grèves de la fonction publique, qui ne peuvent qu’aggraver la situation». Accoler le mouvement de la fonction publique au terrorisme révèle ce qu’entend la FER par «ordre et stabilité».
Comment s’étonner, dès lors, que le Conseil d’Etat, à l’écoute studieuse de la FER, proclame l’état d’urgence financier? Un état d’urgence qui instruit son projet de «Protocole d’accord» présenté aux «Organisations représentatives du personnel». Un projet, de fait, rendu nul par le «contre-projet» élaboré par les organisations représentant l’ensemble des salarié·e·s.
Les mentors du Conseil d’Etat
• D’où vient le très démocrate et chrétien conseiller d’Etat chargé des Finances, Monsieur Serge Dal Busco, élu en novembre 2013? Député, il était membre du comité directeur de la FER. Une fonction qui n’est plus mentionnée, comme par hasard, dans le descriptif officiel de sa carrière sur le site de la République et canton de Genève.
• La FER susurre ses directives aux oreilles de Serge Dal Busco. Dans la dite arène parlementaire, ce refrain est repris, entre autres, par Edouard Cuendet, membre du PLR. Un député qui fut conseiller juridique de l’Association des Banquiers Privés Suisse. Depuis le 1er janvier 2014, il dirige la Fondation Genève Place Financière. Son activisme dans les commissions finance, économie et contrôle de gestion en a fait un des artisans du «frein aux dépenses». Autrement dit, une politique frappant les services au public et répondant aux exigences des holdings, des transnationales, des colosses de l’immobilier et des épaisses fortunes.
• Aux relais des entreprises et des banques dans le Conseil d’Etat et le Grand Conseil, il faut ajouter les seigneurs de l’immobilier. Leur courroie de transmission: le député Cyril Aellen, vice-président du PLR. Ce membre du comité de la Chambre genevoise immobilière préside la «commission législative» de ladite Chambre. Au parlement, il loge dans la commission des finances et dans celle «ad hoc sur le personnel de l’Etat».
• Voilà quelques fils du réseau – du pas très net mais qui work – qui entoure l’exécutif. Plus exactement, sa vraie colonne vertébrale. La dégager est utile et nécessaire pour reconnaître, en cette période de Noël, où crèche vraiment le Conseil d’Etat. Et les raisons qui poussent Blaise Matthey de la FER à «déplorer la boulimie démocratique qui s’est emparée du pays»!
• La véritable exigence de démocratie – soit l’expression des besoins et des droits de la majorité populaire – s’est exprimée, depuis un mois, dans le mouvement social des salarié·e·s des services au public. De même que dans les initiatives des usagers, que ce soit les parents d’élèves, les étudiants ou toutes celles et ceux qui comprennent et soutiennent les revendications des soignant·e·s, des assistant·e·s sociaux, etc.
Etat d’urgence administratif
La logique du projet de Protocole du Conseil d’Etat est calquée sur le mécanisme d’élaboration du budget et sur les normes de gestion des dites ressources humaines.
• Pour élaborer un budget, demande est faite aux services de définir leurs besoins dans le cadre du respect du plafond budgétaire. Tout est fait pour une autogestion, depuis le bas, de l’austérité budgétaire. Puis, d’en haut, les arbitrages sont effectués par l’exécutif collégial.
Un des buts de cette méthode: susciter l’adhésion au «frein aux dépenses» par chaque service et créer en même temps le sentiment que chaque chef de service défend au mieux «son» pré carré et «ses» collaborateurs.
Le projet de Protocole du Conseil d’Etat, du 9 décembre, n’est rien d’autre, sur le fond, qu’une répétition de cette méthode d’élaboration budgétaire. En réalité, ses conclusions sont déjà formatées pour chaque département et service. Le désaccord des salarié·e·s et des usagers ne peut dès lors qu’être éclatant.
• La mise en pratique de cette élaboration budgétaire aboutit à une mise en concurrence des services. Les coupes dans les dépenses sont présentées comme relevant de nécessités techniques intangibles. Elles n’obéissent pas aux choix de société sélectionnés par la FER et ses émules. Les «mesures structurelles» sont renvoyées à un mythe économique construit – l’équilibre budgétaire – et à une dette créée, avant tout, par des cadeaux fiscaux ciblés. Les choix politiques et sociaux sont naturalisés. Les oppositions et réactions des salarié·e·s et des usagers doivent être neutralisées.
Cette orientation du Conseil d’Etat-FER a été jusqu’ici mise en échec, socialement et démocratiquement, par le mouvement de la fonction publique.
• La concrétisation de la ligne austéritaire du Conseil d’Etat, préparée de longue date, doit logiquement faire appel à un renforcement de l’Office du personnel de l’Etat (OPE).
L’OPE dépend du Département des finances de Serge Dal Busco! A sa tête on trouve Grégoire Tavernier, issu du Comité international de la Croix-Rouge, «l’ENA genevoise» (Ecole nationale d’administration de l’Etat français), selon le magazine Bilan, du 23 janvier 2013.
Grégoire Tavernier s’est entouré de cadres, beaucoup provenant du CICR. Il confiait qu’une des difficultés qu’il rencontrait était la suivante: faire appliquer des normes de gestion unifiées par les «petits cadres». Ces derniers se doivent de gérer avec détermination «leurs émotions» et «leur sens des priorités». Autrement dit, ils ne doivent pas «protéger leurs collaborateurs», mais transmettre tous les éléments découlant des «impératifs» budgétaires.
• En un mot, la politique d’austérité, les coupes budgétaires, le Personal stop exigent de mettre fin «à la boulimie démocratique» des salarié·e·s en érigeant un état d’urgence administratif, à forte consonance technocratique.
En résumé, il s’agit de mettre en œuvre une gouvernance d’entreprise, aux allures de neutralité politique. Les salarié·e·s sont réduits au statut de «ressources humaines». Les usagers au mieux à des clients, quand ils ne sont pas de facto marginalisés. Et Tavernier est absent de la scène publique. C’est un technicien.
Tout cela convient à un gouvernement collégial. Un gouvernement qui, face à une forte pression sociale et politique, pourrait certes tenter de manœuvrer. Par exemple, en modulant le calendrier d’application de mesures afin de diviser un mouvement d’ampleur dont la convergence des différents secteurs s’est affirmée au cours des semaines.
Vers l’illumination sociale des Rues Basses
Le contre-projet de Protocole d’accord des associations représentant l’ensemble du personnel est la réponse adéquate à la permanence de l’arrogance antisociale du Conseil d’Etat et de ses mentors: de la FER aux spéculateurs immobiliers en passant par les banquiers privés. Certes, divers partis de l’exécutif pourront laisser fuiter un désaccord sur un point ou un autre. Pour eux, cela représente déjà quasi le Mont-Blanc de leur politique.
• La manifestation syndicale et populaire du 15 décembre peut être une vraie illumination sociale des Rues Basses. Elle peut conjuguer la créativité des initiatives de grève de la journée et les propositions revendicatives des usagers, des étudiants, des élèves du secondaire issues de leur dialogue avec les grévistes.
• Un dialogue qui doit se prolonger dans tous les secteurs et peut déboucher sur l’élaboration de véritables cahiers de doléances faisant office de réponse au Conseil d’Etat. Le contenu de ces cahiers peut être largement diffusé sur des sites et dans un tous-ménages.
• La marche aux flambeaux du 15 décembre représente l’occasion de réunir un couple public-privé des salarié·e·s, pour initier un pas de deux à l’occasion du «bal de rue».
En effet, le tandem Conseil d’Etat-FER indique à la large majorité des salarié·e·s – matraqués par une politique fiscale socialement injuste – l’urgence d’un autre couple moteur populaire, plus puissant.
La stigmatisation des «fonctionnaires privilégiés», relayée par les principaux médias, a échoué largement. Les multiples initiatives des salarié·e·s des services au public ont indiqué une voie à suivre aussi bien aux acteurs de la culture qu’aux salarié·e·s du privé subissant tout un dégradé de précarisation et de dumping social.
La grève des taxis est une riposte à l’ubérisation qui n’est rien d’autre qu’une mise en concurrence de travailleurs et une forme organisée de dumping des revenus et des salaires.
Une mutualisation des multiples expériences de contre-argumentations, d’expressions raisonnées des besoins, de mobilisations collectives est l’assurance de contrecarrer un exécutif qui peut jouer la montre afin de défaire la dynamique d’un mouvement social qu’il n’avait pas prévu et qui ne recule pas. (MPS, 14 décembre 2015)
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