Suisse. AVS2030: Baume-Schneider plante le sapin qui doit cacher la forêt

Elisabeth Baume-Schneider quitte la conférence de presse sur la réforme de l’AVS le 15 mai 2025, pour rejoindre la forêt de la contre-réforme.

Par Jean-François Marquis

PV2020, AVS21, AVS2030 : le Conseil fédéral a l’imagination débordante pour inventer de nouveaux sigles afin de désigner ses projets concernant les retraites. Pour le contenu, par contre, la répétition du même est de mise: obsession financière, pression constante pour élever l’âge de la retraite, silence sur le niveau scandaleusement bas des retraites comme sur les conditions de travail qui usent les salarié·e·s avant l’âge.

Le sapin de Baume-Schneider

On en a eu une nouvelle confirmation avec la présentation, le 15 mai, par la Conseillère fédérale «socialiste» Elisabeth Baume Schneider des «premières orientations du projet AVS2030» fixées la veille par le Conseil fédéral. «Le Conseil fédéral veut stabiliser et moderniser l’AVS», titre de manière faussement rassurante le communiqué de presse.

«Stabiliser» est le mot codé pour focaliser l’attention sur ce qui, depuis des décennies, est faussement présenté comme LE problème majeur de l’AVS, à savoir son «équilibre financier». Sur ce sujet, le Conseil fédéral annonce vouloir «garantir le financement de l’AVS pour la période 2030 à 2040» en augmentant «les recettes de l’AVS via les sources de financement actuelles». Par contre, il «n’envisage pas d’augmenter dans le cadre de la réforme AVS2030 l’âge de référence» donnant droit à la retraite.

Il n’en a pas fallu davantage pour que la droite et les milieux patronaux poussent des cris d’orfraie. «Stop aux hausses d’impôts ou de cotisations salariales!», titre economiesuisse, qui proclame que, «du point de vue de l’économie, le relèvement de l’âge de la retraite doit impérativement faire partie de la solution.» Pour l’Union suisse des arts et métiers (USAM), «Le Conseil fédéral manque de courage» en ne voulant «pas aborder la question du relèvement de l’âge de la retraite dans le cadre de la présente réforme » L’organe quotidien de tout ce beau monde, la Neue Zürcher Zeitung (16.05.2025), titre tout simplement: «la faillite du Conseil fédéral sur le sujet de l’âge de la retraite». Et le Parti libéral radical (PLR), tout heureux de pouvoir apparaître plus «dur» que l’UDC, dont une bonne partie de l’électorat ne tient pas à travailler plus longtemps, lance même une pétition contre «L’attaque contre la classe moyenne» (Blick, 20.05.2025).

L’annonce du Conseil fédéral, communiquée efficacement par Elisabeth Baume Schneider, et les réactions qui l’accompagnent contribuent ainsi à entretenir un sentiment parmi la population laborieuse, que l’on pourrait définir ainsi : «Le seul vrai problème de l’AVS, c’est ses finances; mais, heureusement, on a échappé au pire, puisqu’il n’y a pas de hausse de l’âge de la retraite prévue». Or ce sentiment est doublement trompeur: on n’a pas échappé au pire et le principal problème de l’AVS n’est pas son équilibre financier.

Une machine à augmenter l’âge de la retraite dans les faits

Par contre, on n’a de loin pas échappé au pire. D’abord au sujet de l’âge de la retraite. Le Conseil fédéral annonce en effet qu’il « va […] approfondir la réflexion, afin de déterminer à quelles conditions une augmentation de l’âge de référence pourrait être envisagée». La hausse de l’âge de la retraite, apparemment chassée par la porte, n’a en fait jamais quitté la pièce.

Et ce n’est pas tout: «Le Conseil fédéral entend également favoriser l’exercice d’une activité lucrative au-delà de l’âge de référence. A cette fin, il envisage de supprimer l’âge maximal de 70 ans dans l’AVS, de relever la franchise de cotisation et de rendre la retraite anticipée moins attractive.» En clair, il veut accentuer tous les mécanismes qui contribuent, depuis des années, à la hausse de l’âge de la retraite effectif. Le 24 avril dernier, un communiqué de presse de l’Office fédéral de la statistique (OFS) illustrait cette évolution:  entre 2014 et 2024, le taux d’activité des personnes âgées de 55 à 64 ans est passé de 71,6% à 77,8%. Cette hausse est la plus forte chez les femmes: +7,8 points de pourcentage en dix ans, contre +4,5 points de pourcentage pour les hommes. Par ailleurs, en 2024, 18,8% de la population de 65 à 74 ans était toujours active professionnellement, ce qui représente une hausse de 1,4 point de pourcentage par rapport à 2014. Ici également, l’augmentation est plus prononcée chez les femmes (+1,9 point de pourcentage) que chez les hommes (+0,7 point de pourcentage).

Un premier pas vers un «frein à l’endettement» pour l’AVS…

Ensuite, le Conseil fédéral annonce qu’il «souhaite […] examiner un mécanisme d’intervention en cas de détérioration de la situation financière de l’AVS et dans le cas où les décisions politiques n’interviendraient pas à temps». Un «gel des rentes »a été explicitement mentionné (NZZ, 16.05.2025). Depuis des années, la droite et le patronat revendiquent la mise en place «d’automatismes», sur le modèle du frein à l’endettement, corsetant les dépenses de l’AVS, et donc ses prestations, en contournant tout débat démocratique et votation populaire. Aujourd’hui, le Conseil fédéral ne propose rien de moins que de franchir un premier grand pas dans cette direction. De plus, ce «mécanisme d’intervention» sera un formidable encouragement pour la droite à accentuer la politique des caisses vides qu’elle déploie depuis sa défaite sur la 13e rente: assécher le financement de l’AVS pour imposer des changements refusés par la population.

Effacé, le niveau scandaleusement bas des rentes…

Mais ce n’est pas tout: la communication du Conseil fédéral fonctionne aussi comme un écran empêchant de débattre des deux problèmes fondamentaux pour la majorité de la population salariée en matière de retraite: le niveau des rentes et les conditions d’emploi-travail.

Premièrement, le discours obsessionnel sur le financement de l’AVS sert à faire complètement oublier le nouveau scandaleusement bas des rentes AVS. En 2022, la rente mensuelle moyenne AVS versée en Suisse s’élevait à environ 1870 francs par personne. Or, quarante ans après l’entrée en vigueur de la loi sur la prévoyance professionnelle, le 2e pilier n’apporte qu’un complément de revenu extrêmement bas à une part importante des retraitées (surtout !) et des retraités. Pour ces personnes, l’objectif constitutionnel (art. 113) de «maintenir de manière appropriée son niveau de vie antérieur» est totalement hors d’atteinte.

Quelques chiffres illustrent cette réalité: en 2020-2021, les 20% les plus pauvres des personnes seules âgées d’au moins 65 ans disposaient d’un revenu mensuel moyen de 2168 francs (OFS, Enquête sur le budget des ménages (EBM), derniers chiffres disponibles). Ces personnes n’avaient presque l’AVS sur quoi compter (88,6% de leur revenu). Les 20% suivants un peu moins pauvres avaient un revenu mensuel moyen de 3095 francs, dont 72,4% venaient de l’AVS. Pour repère, le revenu mensuel moyen des personnes seules de moins de 65 ans était de 6779 francs. Pour les couples d’au moins 65 ans et sans enfant, le cinquième le plus pauvre avait un revenu moyen de 4031 francs, dont 78,9% provenaient de l’AVS. Le revenu moyen des couples sans enfants de moins de 65 ans s’élevait à la même période à 12’450 francs.

Seule une hausse massive des rentes AVS, impliquant nécessairement un rééquilibrage vis-à-vis du 2e pilier, pourrait être en mesure de mettre fin à cette situation. Mais le Conseil fédéral fait comme si ce problème n’existait tout simplement pas.

…et l’usure au travail

La deuxième question, pour de larges couches de salarié·e·s, est de comment rester en emploi jusqu’à l’âge de la retraite et sans y laisser sa santé. Les témoignages, innombrables, comme les enquêtes statistiques l’attestent: les conditions de travail pénibles et usantes sont la règle pour un grand nombre de salarié·e·s. C’est en particulier le cas dans des secteurs d’activité comme les soins, la logistique, le commerce, la restauration ou encore la construction. Pas la moindre mesure n’est prise par le patronat, ni n’est imposée par le Conseil fédéral, pour améliorer ces conditions de travail. Au contraire, au nom de la «compétitivité», c’est la «liberté d’exploiter» qui triomphe [1]. Quant à la volonté annoncée par le Conseil fédéral de «rendre la retraite anticipée moins attractive», c’est-à-dire de l’associer à une perte de rente plus grande, elle touchera en premier lieu les hommes et les femmes exposées aux conditions de travail les plus pénibles et qui, le plus souvent, touchent les salaires les plus bas. Alors que ce sont justement elles et eux qui devraient pouvoir partir à la retraite plus vite.

Mais la difficulté pour nombre de personnes ayant passé la cinquantaine, c’est aussi tout simplement de … conserver leur emploi. Malgré les dénégations des milieux patronaux et les propos lénifiants des autorités, la mise à la porte des salarié·e·s âgé·e·s et considérés comme «coûtant cher» est une réalité quotidienne et cela se traduit pour ces personnes par de grandes difficultés à retrouver un emploi avec un revenu équivalent. Selon les données du seco, 21% des chômeurs de 50 à 64 ans recensés en avril 2025 étaient au chômage depuis plus d’un an ; c’est une proportion deux fois plus élevée que pour les chômeurs de moins de 50 ans (10%). A cet âge, de longues périodes de chômage, voire l’impossibilité de retrouver un emploi, ont un impact désastreux sur le revenu dont on peut espérer disposer à la retraite, en particulier sur les rentes du 2e pilier. Qu’à cela ne tienne: pour le Conseil fédéral, la protection contre les licenciements des seniors est un non-sujet.

Sortir de l’impasse

L’annonce du Conseil fédéral est le début d’un processus. Des «lignes directrices» suivront à l’automne 2025, La consultation durera jusqu’à début 2026. Puis viendront des propositions législatives concrètes, qui déboucheront sur le débat parlementaire… et d’éventuelles votations.

Durant toute cette période, le débat sur l’avenir des retraites va-t-il rester enfermé dans l’impasse construite par le Conseil fédéral? Où va-t-il s’en échapper et mettre sur la table les questions en rapport avec les besoins de la population laborieuse en matière de retraite? Dans son communiqué dénonçant le fait que « le Conseil fédéral envisage une nouvelle attaque contre les rentes AVS », l’Union syndicale suisse (USS) constate que «les problèmes concrets des travailleuses et travailleurs sont purement et simplement ignorés». Traduire ce constat, incontestable, en des revendications répondant à ces « problèmes concrets » et en des mobilisations d’une majorité des salarié·e·s et des salarié·e·s retraité·e·s, voilà le défi pour les mouvements et les organisations se proposant de les représenter et de les impliquer activement dans la défense de leurs droits. (20 mai 2025)

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[1] Dans un contexte de concurrence interimpérialiste accrue et de stagnation de la productivité – certes avec des différences selon les économies capitalistes – la pression d’accroître la plus-value absolue au travers de la prolongation du temps de travail effectif, journalier ou hebdomadaire ou mensuel et sur la durée de la vie active est devenu une des priorités de la politique patronale, en dehors de l’affaiblissement des organisations syndicales sur le lieu de travail, tout cela sous la formule helvétique du «partenariat social», alors que les droits syndicaux concrets sont des plus minces et encore affaiblis. (Réd.)

1 Commentaire

  1. Enfin un article clair, explicite , mettant en avant les seules préoccupations de nos politiciens, à savoir comment nous faire travailler le plus longtemps possible, ne voulant pas reconnaitre que pour bon nombre de professions, c’est juste inhumain. Demander à une infirmière, un maçon, une vendeuse, une coiffeuse, une serveuse (….) de travailler encore plus longtemps est inadmissible et pourrait s’apparenter, surtout dans les conditions professionnelles actuelles à « non assistance à personne en danger » !
    Continuons à nous battre contre tout démantèlement de l’AVS, à nous mobiliser fortement pour renforcer notre premier pilier, et à oeuvrer pour des conditions de vie humaines et dignes pour toutes les personnes à la retraite Trop de retraité-e-s ne touchent que l’AVS et n’arrivent tout simplement pas à vivre : dans un pays aussi riche que la suisse, c’est profondément inadmissible !

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