Par Karel Kovanda
Nous poursuivons ici la publication de divers documents et analyses ayant trait aux évolutions qui marquèrent les années précédant 1968 en Tchécoslovaquie et celles qui se sont précipitées et polarisées en 1968-1969.
Au même titre qu’au cours de tels développements socio-historiques analogues surgissent des examens portant sur les initiatives et décisions propres aux forces qui constituèrent l’ossature du régime «établi» en 1948.
Conjointement, parmi des secteurs de l’intelligentsia – pour reprendre un terme utilisé par les «acteurs» du pays – prend forme un débat portant sur les forces sociales et politiques, et aussi leurs alliances possibles, qui pourraient jouer un rôle prépondérant dans un changement effectif du régime social, politique et économique en place. Ces controverses non seulement seront aiguillonnées par les conflits politiques et sociaux dont la configuration se fait plus nette au cours du temps, mais aussi par la dimension publique des débats et la place que prennent des nouvelles structures, multiples, bien que parfois considérées comme marginales.
Sous les termes «dimensions publiques» se regroupent la publication croissante d’articles dans les diverses revues et quotidiens, ainsi que les réunions d’associations professionnelles comme étudiantes. Certaines organisations se constituent, de facto, donc sans «approbation légale». Nous en citerons quelques-unes: le Conseil académique des étudiants de Prague, une sorte de «parlement étudiant»; le Club de la pensée critique au sein de l’Union des écrivains; le «K 231» qui se donnait comme fonction de représenter les milliers de personnes emprisonnées après 1948, selon les «exigences» de la «loi de défense de la République» qui portait le numéro 231. La première réunion du «K 231», qui rassembla un nombre fort important de personnes, tout début avril 1968, fut saluée par une lettre d’Eduard Goldstücker (voir sur ce site «Kafka comme dénotateur»). Elle fut lue devant l’assemblée, fort émue. En avril 1968 se forma aussi le KAN – acronyme tchèque du Club des Engagés sans parti – dont le but proclamé était d’assurer aux citoyens membres d’aucun parti une participation à la vie politique publique et de collaborer à la construction «d’un nouveau système politique – jusqu’ici jamais réalisé dans l’histoire – le socialisme démocratique». S’affirmait donc la volonté d’établir un véritable pluralisme politique. Le premier débat public organisé par le KAN se tint le 18 avril 1968 et sa charte fut lue lors d’une réunion des étudiants, le 3 mai. Elle se tenait devant la statue symbolique du réformateur Jan Hus (brûlé vif à Constance en 1415) dont la devise connue était: «…cherche la vérité, écoute la vérité, apprends la vérité, défends la vérité jusqu’à la mort, car la vérité te sauvera…»
Les rapports des étudiants, de l’intelligentsia et de différentes fractions des «réformistes» avec les travailleurs occupèrent une place de plus en plus centrale dès avril 1968. Ivan Sviták, le 28 avril, prononça un discours lors d’une assemblée du KAN, que nous reproduirons sur ce site par la suite. Il fut publié dans le journal syndical Práce (Travail) le 19 mai. Il y affirmait, entre autres: «Le mouvement syndical doit défendre les intérêts des producteurs contre les appareils, les manipulateurs, les techniciens et les managers, parce que le changement de la propriété sociale ne garantit pas que sous une propriété socialisée des moyens de production les travailleurs ne seront pas exploités autant que par le passé, si ce n’est plus.»
Karel Kovanda, dans le texte présenté ci-dessous, fournit son analyse des diverses approches qui émergèrent dans le cours des conflits multifaces qui marquèrent ces années en Tchécoslovaquie. Mettre à disposition des lectrices et lecteurs francophones ces documents – élaborés par des animateurs ancrés dans l’histoire du pays – peut leur permettre de s’approprier une histoire qui fait, souvent, l’économie des enjeux de «cette révolution interrompue» et donc la simplifie, ce qui en efface les «leçons». (Charles-André Udry)
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L’approche habituelle du printemps de Prague se concentre sur la lutte entre les forces de l’Ancien régime de Novotny (la bureaucratie et les conservateurs) et les forces nouvelles (les réformateurs, les libéraux et les progressistes). Bien qu’à un niveau de politique pratique la simple distinction entre «progressistes» et «conservateurs» puisse effectivement être utile, elle est trop superficielle à d’autres fins. Sur certaines questions importantes, des différences cruciales sont apparues au sein du camp progressiste, des différences résultant des prédilections philosophiques des participants lorsque ce n’est pas de leurs positions de classe.
Il y avait ceux qui plaidaient pour des réformes bien contrôlées, guidées, de la vie économique et politique du pays, des réformes dont ils espéraient, au moins implicitement, qu’elles soient conduites depuis en haut. A l’intérieur comme à l’extérieur du Parti communiste tchécoslovaque (PCT), il s’agissait des technocrates dans le domaine économique et des libéraux en politique. Il y avait aussi ceux qui considéraient qu’une participation populaire de masse était une condition essentielle pour engager un changement du système allant au-delà de la cosmétique. Ces derniers étaient les démocrates radicaux.
Evolution des «camps» en présence
Ces deux groupes appartenaient, sur le plan politique, au camp «progressiste». Les deux groupes étaient plongés dans une lutte contre les vieilles forces conservatrices. En réalité, les différences entre les deux groupes avant 1968 doivent être amplifiées, avec l’avantage du recul, pour les rendre clairement visibles.
Mais à mesure que les forces conservatrices perdaient du terrain politiquement, en particulier en 1968, les différences au sein du camp progressiste devinrent plus prononcées. Elles s’approfondirent au cours de l’année et se développèrent, plus encore, après l’invasion au mois d’août de cette année. L’invasion démontra en réalité l’impossibilité fondamentale de l’alternative libéralo-technocratique. Au moment critique, le choix devint clair: l’absorption dans une bureaucratie internationale [dans ce cas, illustrée au plan militaire par les forces du Pacte de Varsovie] ou une démocratie populaire radicale impliquant une implication massive [de la population].
Les positions libérales et technocratiques, représentant une sorte de «voie médiane», s’évanouirent progressivement et ceux qui les défendaient rejoignirent l’un ou l’autre camp. En définitive, à partir de l’été 1969, la boucle fut bouclée pour ceux qui étaient restés libéraux et technocrates: ils s’associèrent à la bureaucratie victorieuse, leur ennemi de jadis, contre les tenants de la démocratie radicale, leur alliée d’hier.
Différents segments de la population étaient impliqués dans le camp démocratique radical. Il s’agissait d’un secteur dont le développement fut rapide en lien avec la participation massive dans le domaine politique. Il englobait des fractions de l’intelligentsia, du mouvement étudiant ainsi que de larges portions de la classe laborieuse et du mouvement ouvrier tel que le ROH [Revolu?ní odborové hnutí, Mouvement syndical révolutionnaire, les rapports institués de subordination à la direction PCT furent, dès mars 1968, l’objet de critiques de plus en plus sévères telles que le révèlent les articles du quotidien Práce en tchèque et Práca en slovaque]. Ce processus dans ces structures s’accentua, en particulier à partir de la fin de 1968. Se sont joints à ces initiatives de nombreux techniciens et des cadres intermédiaires de la gestion des entreprises. La question principale sur laquelle les positions de ce groupe divergeaient le plus clairement des positions libérales et technocratiques était celle portant sur introduction de la démocratie dans l’industrie, dans la production, un domaine jusqu’ici éloigné des luttes politiques [1].
Au début des années 1960, l’économie tchécoslovaque s’enlisait. En 1962-63, elle marqua une période de stagnation et même de récession, avec un déclin du PIB sans parallèle avec aucun pays européen. Ce recul économique marquait la culmination des problèmes chroniques et récurrents engendrés par l’importation sans nuance du modèle soviétique de gestion économique. La crise encouragea la recherche d’alternatives possibles à ce système, souvent qualifié d’économie planifiée. Une réforme économique intégrale fut finalement proposée, une réforme qui est généralement associée avec le nom d’Ota Sik.
Réformes économiques et «participation des travailleurs»
Il ne s’agit pas ici de discuter des propositions de réforme dans le détail, ce qui a d’ailleurs été fait ailleurs [2]. Il suffit de remarquer que l’un des principaux motifs de celle-ci était d’accroître le rôle du marché tout en réduisant l’influence du rigide plan central. Les mécanismes de marché étaient vus comme le seul moyen de maintenir un développement économique s’auto-régulant. Indépendamment de ses limitations (qui ne furent jamais réellement sujets à un débat sérieux), on s’attendait à ce qu’ils soient bien supérieurs à l’économie planifiée, pour le moins dans un pays ayant les conditions et le statut économique de la Tchécoslovaquie.
Le défaut de base de l’économie planifiée résidait dans les décisions peu informées et arbitraires prises par les bureaucraties économiques et politiques centrales. Par conséquent, une entreprise recevait des objectifs de production (accompagné d’une série d’autres indicateurs) établis dans le plan élaboré au «centre», c’est-à-dire au sein de la Commission d’Etat à la planification ainsi qu’au ministère de l’économie. La réforme, toutefois, proposait que l’entreprise prenne ses décisions sur la base de son analyse du marché. Le plan central ne devait désormais jouer qu’un rôle de guide, l’entreprise à même d’agir, libérée de toute intervention politique arbitraire.
Accroître l’autonomie de l’entreprise et définir ses succès en fonction de sa capacité à remplir les besoins du marché (plutôt que dans sa capacité à atteindre les objectifs planifiés) conduirait à une meilleure responsabilisation des directions, leur revenu dépendant dans une large mesure des performances de l’entreprise. En fait, les incitations matérielles devaient agir à tous les niveaux: même le travailleur de l’atelier serait économiquement lié non seulement à son emploi, mais aussi aux performances générales de l’entreprise, cependant, bien entendu, à un degré bien moindre.
Pourtant, lorsque les propositions de réforme furent initialement discutées sur le fait que l’entreprise «prendrait des décisions», «chercherait son meilleur avantage», etc., la question de savoir qui réaliserait une telle activité, ainsi que devant qui les managers seraient tenus responsables, restait obscure. Dans les ébauches préliminaires, la question des réformes portait sur les politiques économiques à l’échelle nationale, y compris sur les règles générales présidant aux rapports entre l’Etat et les firmes individuelles. Les problèmes internes aux entreprises, tels que la distribution du pouvoir et l’autorité en leur sein, furent initialement contournés.
Il en alla de même en ce qui concerne la question de la participation des travailleurs à la gestion [des entreprises]. La «participation» existait, mais sur le papier seulement. Au fil des ans, le concept avait dégénéré sous des formes devenues impossibles à reconnaître et, en réalité, elle donnait aux travailleurs (représentés par un mouvement ouvrier très éloigné, le ROH) pratiquement aucune voix dans les affaires des entreprises. En 1965, alors que l’on commençait à mettre les réformes en application, un expert observait honnêtement que la participation consistait essentiellement dans le «maintien volontaire et enthousiaste de la discipline au travail» [3]. Ou, ainsi que l’établit plus tard un document du ROH: «l’une des principales formes de la participation ouvrière à la gestion […] est l’effort du travail individuel» [4].
Les réformateurs économiques n’étaient toutefois pas très intéressés par cette question. Dragoslav Slejska, un sociologue industriel tchécoslovaque de premier plan, nota en 1965 que le modèle centraliste de l’économie existant pouvait être transformé de deux manières distinctes. Il baptisa les deux alternatives respectivement de «managériale» et «collectiviste». Le modèle managérial, d’après Slejška, pourrait «mieux résoudre certains problèmes difficiles de discipline au travail, d’égalitarisme, de compétences, d’entreprise, etc. […] Il exacerbera cependant les problèmes des […] rapports démocratiques parmi les personnes impliquées dans la production, des intérêts du producteur vis-à-vis des intérêts des opérations menées par l’usine, de différentiation de statut et il découragera également le développement d’une attitude consciencieuse vis-à-vis du travail et de la propriété sociale. En un mot: aliénation» [5].
Alors que les généralisations peuvent manquer de précision, un point toutefois est clair: la conception des réformes économiques était «managériale» plutôt que «collectiviste». D’une manière générale, les réformateurs économiques (à une ou deux exceptions notables) ne se préoccupaient pas du rôle des travailleurs comme des agents actifs dans l’organisation de la production. Ils discutaient de la participation des travailleurs en des termes traditionnels, lorsqu’ils le faisaient.
Dans le meilleur des cas, ils avaient seulement des idées vagues et indéterminées sur les changements nécessaires. Des sentiments contradictoires étaient à l’œuvre: d’un côté, les travailleurs avaient le droit – si ce n’est dans la pratique, au moins sur le papier – de participer, une certaine valeur symbolique était donc en jeu. De l’autre, le rôle «modeste» du ROH avait pour effet qu’il soit perçu uniquement comme une autorité politique externe supplémentaire, interférant dans les prérogatives de gestion des entreprises; par conséquent quelque chose que les réformateurs économiques étaient prêts à supprimer.
D’autres ont accordé une plus grande attention au rôle des travailleurs, en particulier des sociologues comme Slejška, des politologues et des juristes. Les chercheurs en sciences sociales soulignaient, déjà en 1964, que dans le contexte des réformes économiques proposées, les décisions des directions d’entreprise affecteraient tous les employés dans la mesure où leurs revenus reposeront sur les performances d’ensemble des entreprises. En conséquence, «les travailleurs devraient naturellement insister pour que l’entreprise soit dirigée uniquement par des personnes bien qualifiées qui puissent garantir la prospérité de l’entreprise et une bonne paie ainsi que de bonnes conditions de travail pour les travailleurs» [6].
Plusieurs sources ont stimulé cette ligne de pensée: parmi d’autres, la critique de la forme dégénérée prise dans le pays par la participation ouvrière; une reconnaissance de la gestion plus efficace de l’industrie au cours des premières années d’après-guerre avec un degré considérable de démocratie dans les entreprises, ainsi que le modèle yougoslave d’autogestion, même s’il était officiellement désapprouvé.
Bien que les propositions spécifiques développées à partir de ces questions soient désormais d’un intérêt uniquement historique, le point principal demeure, c’est-à-dire que dès le début de la mise en place des réformes économiques, plusieurs opinions tentèrent de faire en sorte qu’elles soient plus sensibles aux travailleurs. Il s’agit là de préoccupations qui annoncent la démocratie radicale de la fin des années 1960.
Qui veillera sur la gestion des entreprises?
La mise en œuvre des réformes économiques progressa par à-coups. En 1965 plusieurs centaines d’entreprises commencèrent suivirent les nouvelles directives, l’ensemble de l’économie nationale se dirigeant vers le nouveau mode en 1966. Le processus fut difficile et traîna en longueur. Les économistes, qui avaient élaboré les réformes, développèrent un ensemble cohérent de propositions qui avait été accepté avec de grandes réticences par les responsables politiques et les bureaucrates. Ces derniers tentèrent d’affaiblir les effets des réformes, là où c’était possible, au moyen de divers compromis. Ota Šik se désespéra une fois que lorsque les réformes furent finalement acceptées, elles ne contenaient qu’environ un quart de ses propositions originales! [7]
Fin 1967, après deux ans de mise en application graduelle et sélective des réformes, plusieurs progrès furent réalisés. Le plan central avait perdu son omnipotence. Les prix n’étaient graduellement plus contrôlés et la fiscalité des entreprises était désormais uniforme. Les subsides d’Etat furent réduits ou supprimés, ce qui obligea plusieurs entreprises mal gérées à fermer. Enfin, des incursions dans le commerce extérieur commencèrent [par rapport aux relations univoques imposées dans le cadre du COMECON – Conseil d’assistance économique mutuelle ( !)].
Tous ces changements portaient toutefois sur des questions de macroéconomie. Une réforme d’ensemble du fonctionnement interne des entreprises restait nécessaire. Il s’agissait là d’un chemin inexploré, avec peu d’indications. Parmi les questions attendant une réponse: le statut d’une entreprise dans une économie de marché réformée; les principes de gestion des entreprises; les problèmes de propriété; l’intégration au sein des entreprises, etc.
Au milieu de l’année 1966, une équipe spéciale d’experts en gestion, soutenue par la Commission d’Etat pour la gestion et l’organisation (SKRO), en désaccord considérable avec les économistes qui avaient élaboré le reste des réformes, fut chargée de se pencher sur ces problèmes ainsi que celui de l’extension des principes des réformes économiques aux firmes individuelles. Les conclusions de l’équipe furent toutefois inacceptables pour la direction du pays avant 1968: supposer que le PCT (KSC) puisse endosser les détails d’un plan permettant aux entreprises autonomes de prendre des décisions par elles-mêmes revenait à ce que le parti cède une grande portion de pouvoir économique.
Le document du SKRO dut attendre une atmosphère plus propice. Il ne fut discuté publiquement qu’en 1968 [8], une fois que des changements politiques fondamentaux déblayèrent la voie pour la mise en œuvre des réformes économiques. L’importance du document du SKRO, jusqu’ici virtuellement ignoré par toutes les personnes qui étudient la période, réside dans le fait que, pour la première fois, il présentait une proposition détaillée du rôle des travailleurs dans la gestion des entreprises.
La question de savoir qui devait veiller à la gestion des firmes autonomes – pour autant qu’une personne le fasse, car certains affirmaient que les managers étaient ceux qui savaient le mieux – occupe une place centrale dans le document du SKRO. Au cours du printemps 1968, il était généralement accepté que, en raison des résultats économiques lugubres, les bureaucraties de l’Etat et du parti central durent abandonner ce qui leur restait de contrôle de la gestion économique. La question restait ouverte de savoir envers qui seraient responsables les gérants des nouvelles entreprises autonomes.
En principe, les directions d’entreprises sont censées être responsables envers les propriétaires. L’économie planifiée reconnut effectivement que toute propriété était aux mains de l’Etat. Les discussions portant sur les réformes conduisirent à une distinction entre les idées de propriété d’État et de propriété sociale – c’est-à-dire de propriété par l’ensemble de la société. Mais la société – à l’instar de l’État – est indivisible et il est difficile de transférer directement le concept de propriété sociale vers un organe devant lequel les directions d’entreprises seraient responsables.
Il existait plusieurs façons de traiter de cette question. Par exemple, une proposition émergea – théoriquement très intéressante – visant à créer un organe national élu qui centraliserait à nouveau les responsabilités économiques, une sorte de «parlement économique». Au final, c’est toutefois la conception d’une responsabilité économique décentralisée qui reçut l’assentiment général.
Dans cette veine, le document du SKRO proposait un organe agissant dans l’entreprise elle-même, comme une sorte de «législatif économique» qui serait distinct de la direction, «l’exécutif économique». Ce rôle législatif serait exécuté par des conseils. Cependant, établir le concept général de conseils en tant qu’organe décisionnel et l’accomplissement de cette fonction étaient deux choses assez différentes.
Deux questions se détachaient nettement: les pouvoirs du conseil et sa composition. Au début 1968, ces questions constituaient une ligne de clivage entre les approches technocratiques et démocratiques. L’autorité des conseils serait-elle seulement symbolique ou seront-ils impliqués dans les décisions fondamentales? Seront-ils composés principalement d’une collection d’experts et de bureaucrates, avec une représentation ouvrière seulement minoritaire, ou les travailleurs y joueront-ils un rôle dominant par leur composition? Ces questions portaient sur la détermination de quel serait le centre du pouvoir économique, du degré par lequel ce pouvoir serait retiré des mains de la bureaucratie et s’il allait à une nouvelle élite de gestionnaires ou aux travailleurs. (Cet article a été publié dans la revue Telos, summer 1976, traduction A l’Encontre; intertitres de la rédaction; la suite de cette analyse sera publiée sur le site alencontre.org, le samedi 25 août 2018)
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Karel Kovanda a quitté la Tchécoslovaquie en 1970. Il passa un doctorat en sciences politiques au MIT, en 1975. Au moment où il a écrit cet article pur Telos, il se déclarait sans emploi, vivant en Californie. Le 20 mars 1975, il écrivait un article dans le New-York Review of Books dans lequel il indiquait les premiers signes d’un changement, entre autres dans le mouvement étudiant, dès 1963. De retour dans son pays, en 1990, il fit une carrière diplomatique. (Réd. A l’Encontre)
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[1] Le terme de «démocrates radicaux» est habituellement utilisé pour se référer aux intellectuels qui cherchaient à établir une liaison étroite avec les masses populaires au cours d’une révolution différente, celle de 1848. L’utilisation de ce même terme dans ce texte suggère une authentique continuité historique avec toutes les traditions radicales tchèques. Une telle suggestion a originellement été formulée par Karel Bartošek dans son article peu lu, «Národ sebekritiky: sloby, nebo ?iny?» (Auto-critique nationale: en paroles ou en actes?), Reportérn°19 (1968), p. 7-8
[2] Par exemple, Galia Golan, The Czechoslovak Reform Movement (Cambridge, 1971), p. 59-93 ou Aldrich Kyn, «The Rise and Fall of Economic Reform in Czechoslovakia», American Economic Review n° 60 (mai 1970), p. 300-306. [En janvier 1969, était publié en italien l’ouvrage d’Ota Sik, La verità sull’economia cecoslovacca, Ed. Etas Kompass ; et en français, La Vérité sur l’économie tchécoslovaque, Fayard, 1969. Ce livre réunissait les conférences données à la télévision par Ota Sik. Empêtré dans les sables de la bureaucratie dominante, O. Sik va se rallier, en juin 1968, à l’essor du mouvement autogestionnaire, certes hétérogène. Réd.]
[3] Jirí Kovárik, in Právnick n° 6 (1964), p. 549.
[4] Ibid., p. 554.
[5] Právnick n° 7 (1965), p. 637.
[6] Právnick n° 6 (1964), p. 552
[7] Cité in Vladimír V. Kusín, Intellectual Origins of Prague Spring (Cambridge, 1971), p. 97
[8] Hospodárské noviny, n° 16 et 17 (16 et 26 avril 1968), suppléments.
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