Syrie. Le pouvoir états-unien passe d’une politique de facto à une politique explicite

Par Benjamin Barthe

Silence radio, pour l’instant, à Damas. Mais il ne fait aucun doute que le repositionnement américain sur la question du sort de Bachar Al-Assad a été accueilli comme une victoire dans les couloirs du pouvoir syrien. Jeudi 30 mars, dans deux interventions successives qui lèvent un coin de voile sur les intentions de l’administration Trump concernant le conflit syrien, le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, et l’ambassadrice aux Nations unies, Nikki Haley, se sont officiellement désengagés du débat sur le traitement à réserver au dictateur syrien.

En visite en Turquie, M. Tillerson a tout d’abord assuré que «le sort du président Assad, à long terme, sera décidé par le peuple syrien». Mme Haley a enfoncé le clou un peu plus tard, depuis New York, en déclarant qu’«il faut choisir ses batailles». «Quand vous regardez la situation, il faut changer nos priorités, et notre priorité n’est plus de rester assis là, à nous concentrer pour faire partir Assad», a-t-elle ajouté.

En d’autres termes: les Etats-Unis s’accommodent désormais officiellement d’un maintien au pouvoir du chef de l’Etat syrien – que Mme Haley s’est contentée de qualifier de «gênant», passant outre les dizaines de milliers de morts qui lui sont imputés. Washington se rallie au vocabulaire employé par la Russie, l’un des principaux alliés de M. Assad, décrypte Joseph Bahout, spécialiste du conflit syrien à la Fondation Carnegie. A tout le moins, la nouvelle équipe rompt avec le langage en vigueur jusqu’alors dans les sphères du pouvoir américain.

En août 2011, cinq mois après le début du soulèvement syrien, qui était encore alors en grande partie pacifique et populaire, le président Barack Obama avait fait du départ du maître de Damas le préalable à la résolution de la crise. «Pour le bien du peuple syrien, il est temps que le président Assad s’en aille», avait-il affirmé.

Mais la résilience inattendue du régime – favorisée par le refus de Washington de sanctionner militairement l’utilisation d’armes chimiques contre les banlieues rebelles de Damas, en août 2013 – a entraîné un glissement progressif de la position américaine. La montée en puissance des formations islamistes, puis djihadistes, au sein de l’insurrection anti-Assad, qui s’est militarisée à partir de l’automne 2011, a aussi contribué à cette évolution.

«Sale type»

L’administration américaine a d’abord estimé que la brutalité employée par ses forces empêchait M. Assad d’incarner une solution politique d’avenir pour la Syrie, jugeant ainsi son départ inéluctable à terme. Elle a campé sur cette conviction en dépit des interventions iranienne, puis russe, à l’automne 2015, qui ont progressivement raffermi le régime.

Puis, en septembre 2015, les Etats-Unis ont apporté une inflexion à leur position. Le chef de la diplomatie, John Kerry, a indiqué que M. Assad devrait partir mais que le calendrier de son départ devrait être décidé par la négociation.

Lors de son avant-dernière conférence de presse, en décembre 2016, quelques jours avant la chute de la partie orientale d’Alep, Barack Obama avait assuré que Bachar Al-Assad «ne pourra pas gagner sa légitimité à coups de massacres». Cette condamnation morale a aujourd’hui disparu des éléments de langage de la nouvelle équipe en place à Washington.

Pendant la campagne présidentielle, M. Trump avait copieusement critiqué la double opposition américaine, à la fois à l’organisation Etat islamique (EI) et au régime de Bachar Al-Assad, la jugeant improductive. Dans un entretien au New York Times, en juillet 2016, il avait qualifié le président syrien de «sale type «qui «a fait des choses horribles». Mais il avait ajouté vouloir donner la priorité au combat contre les djihadistes. En février, le président syrien avait envoyé un message à son attention en défendant son décret anti-immigration, bloqué par la justice, qui pénalisait particulièrement les réfugiés et les migrants syriens.

Le recentrage de la diplomatie américaine vient percuter de plein fouet les laborieux pourparlers de paix en cours à Genève sous l’égide de l’ONU. En renonçant à peser sur M. Assad, contrairement aux souhaits de l’opposition, Washington accentue l’asymétrie de ces discussions, le régime disposant quant à lui du soutien quasi indéfectible de Moscou et de Téhéran.

Chausse-trappes

Le fait que l’envoyé spécial américain pour la Syrie, Michael Ratney, ne soit arrivé à Genève que jeudi 30 mars, une semaine après le début de ce cycle de négociations, témoigne de la désaffection croissante des Etats-Unis à l’égard de ce processus censé définir les termes de l’après-Assad. C’est un nouveau coup dur pour la diplomatie française, qui, même si elle n’appelle plus au départ immédiat du président syrien, continue à affirmer qu’il ne peut pas incarner l’avenir de son pays.

«L’opposition n’acceptera jamais que Bachar Al-Assad ait un rôle, à aucun moment (…). Notre position ne va pas changer», a réagi, depuis Genève, Monzer Makhous, l’un des porte-parole du Haut Comité des négociations (HCN), qui rassemble plusieurs formations anti-régime. Aux yeux de nombreux opposants, cependant, les propos de M. Tillerson et de Mme Haley ne font qu’officialiser une politique de fait.

Depuis le revirement de l’été 2013 et le renoncement de Barack Obama à faire respecter la fameuse «ligne rouge «qu’il avait lui-même tracée concernant l’usage d’armes chimiques, les Etats-Unis ont marqué à plusieurs reprises leur refus de tout renversement par la force du dictateur syrien. [En fait, assurer un armement anti-aérien et anti-chars aux rebelles syriens aurait été impératif dès le second semestre 2011, voilà ce qui aurait été nécessaire pour appuyer un soulèvement démocratique contre une dictature, dont les traits barbares n’ont fait que se confirmer; les déplacements de populations actuels, sous contrôle militaire russe, font partie d’opérations de nettoyage et de transferts de populations correspondant aux intérêts du clan Assad et, y compris, de ses «projets de reconstruction» – Réd.]

S’ils ont autorisé leurs alliés arabes à fournir des armes aux groupes rebelles, ils ont toujours veillé à ce que celles-ci ne leur confèrent pas d’avantage décisif. La CIA a notamment interdit la livraison aux insurgés de missiles sol-air susceptibles d’entraver les bombardements aériens du régime et de l’armée russe, en arguant du risque que de telles armes tombent entre les mains de groupes djihadistes.

L’abandon définitif de tout préalable concernant Bachar Al-Assad ne met pas la nouvelle administration à l’abri de toutes les chausse-trappes du conflit syrien. Washington dit envisager une coopération avec Moscou tout en affichant sa volonté de contenir Téhéran, alors que la Russie et l’Iran sont étroitement associés en Syrie. (Article publié dans le quotidien Le Monde daté du 1er avril 2017, p. 3, écrit avec la collaboration de Gilles Paris; titre de la rédaction A l’Encontre)

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