Par Yassin al-Haj Saleh
La révolution syrienne a-t-elle triomphé avec la chute du régime d’Assad? Ce à quoi nous assistons depuis décembre 2024 est-il une révolution réussie, même si le chemin a été long et tortueux?
Cette question revêt une importance conceptuelle, car elle exige une compréhension approfondie des près de quatorze années qui se sont écoulées en Syrie entre le début de la révolution et l’effondrement du régime. Elle a également un poids politique, car la réponse déterminera la manière dont les acteurs publics aborderont la réalité actuelle de la Syrie et son avenir après Assad.
Une compréhension détaillée ne devrait pas voir le jour de sitôt: l’histoire de ces quatorze années sera écrite et réécrite pendant des décennies. Néanmoins, le débat politique n’est pas seulement possible, il est nécessaire, afin de clarifier notre réflexion alors que nous traversons un moment charnière sans précédent dans l’histoire de notre génération.
Pour l’auteur de ces lignes, cette question revêt une dimension personnelle. J’ai affirmé à plusieurs reprises que la révolution syrienne avait échoué et que les démocrates syriens devaient fonder leur vision politique sur cette réalité qui donne à réfléchir.
Pour certains, la chute du régime – et l’explosion de joie qui a suivi après des années de mélancolie – semblait me donner tort, et certains de mes amis ont déjà exprimé ce point de vue. Mais je restais sceptique, même si, à l’époque, je n’avais ni les arguments ni l’énergie nécessaires pour défendre ma position.
Ce qui suit est une première tentative dans ce sens.
Il y a des vainqueurs!
Peut-être que le régime d’Assad ne pouvait tomber que de cette manière – aux mains d’une coalition de forces islamistes sunnites, idéologiquement cohérentes, aguerries et favorisées par un contexte régional et international favorable. Cependant, le parcours tortueux des années qui ont suivi la révolution remet en cause toute hypothèse d’une continuité homogène, même minimale, entre mars 2011 et décembre 2024.
Ce qui a commencé comme un conflit syro-syrien, d’abord pacifique puis, jusqu’à la mi-2012, mixte (pacifique et armé), s’est ensuite transformé en une confrontation sunnite-chiite aux enjeux régionaux croissants, impliquant principalement l’Iran et certains Etats du Golfe. Cette phase s’est poursuivie jusqu’à l’accord américano-russe sur les armes chimiques en septembre 2013 [accord entre le secrétaire d’Etat états-unien John Kerry et son homologue russe Sergueï Lavrov sur l’élimination des armes chimiques en Syrie «d’ici 2014»!], qui a marqué le début d’une internationalisation à distance, suivie plus tard par des interventions militaires directes: les Etats-Unis en 2014, la Russie en 2015 et la Turquie en 2016.
Alors que le contrôle échappait progressivement aux révolutionnaires syriens, la révolution a été ensevelie sous un monticule croissant de conflits non révolutionnaires – sectaires et régionaux – et a finalement été requalifiée en «guerre contre le terrorisme», qui a en fait permis de réhabiliter le régime d’Assad.
Les années qui ont suivi 2016 ont été marquées par la misère et la désintégration, loin de toute révolution. Elles ont marqué la défaite de la révolution, la domination des forces sectaires en son sein, l’effondrement complet de l’Armée syrienne libre [ASL, rassemblement de groupes rebelles formé le 29 juillet 2011, qui connaîtra des transformations en 2013] et la subordination de l’opposition politique à la Turquie.
Cette période a également vu l’émergence d’une «entité sunnite» à Idlib, dans un contexte de fragmentation nationale croissante. Les forces dominantes au sein de cette entité n’ont été que partiellement façonnées par des processus internes de radicalisation, de militarisation et de sectarisation – car nourries par l’expérience des communautés sunnites en matière de violence systématique, de massacres et d’utilisation discriminatoire d’armes chimiques et de bombes barils les visant. Cependant, ces forces étaient tout autant le résultat de formes mondialisées et antisociales de nihilisme islamique qui avaient pris racine en Irak des années avant la révolution syrienne.
La faction actuellement au pouvoir (Hayat Tahrir al-Cham-HTC) n’a joué aucun rôle dans les premières phases de la révolution syrienne et n’est pas issue de la société syrienne. Son président de transition est un ancien djihadiste qui a opéré sous plusieurs pseudonymes en Irak, où il a passé ses années de formation à combattre les Américains et le nouveau gouvernement chiite irakien. Pendant des années, ce personnage peu connu a dirigé en Syrie le groupe salafiste djihadiste Jabhat al-Nosra.
Tout comme son groupe, hostile en paroles et en actes à la révolution de 2011, à ses symboles et à sa formation nationale, il était davantage ancré dans un nihilisme sauvage et transnational qui rejette à la fois nos sociétés (organisations sociales) et le monde en général que dans la dynamique du soulèvement syrien, qui a débuté comme une intifada populaire dans le contexte du Printemps arabe. Il appartient plutôt à une minorité élitiste et conspiratrice, encline à la dissidence, dont les idées et le modèle ne peuvent servir de base à une large majorité sociale ou politique, et dont la composition même est en totale contradiction avec le nationalisme, la démocratie, l’histoire de la Syrie et même la notion de société syrienne ou toute forme d’ordre politique moderne.
C’est nihiliste pour cette raison – non pas simplement parce qu’il rejette radicalement le système politique, mais parce qu’il nie les fondements mêmes de l’existence politique collective.
Au fil du temps, Hayat Tahrir al-Cham (HTC) s’est distancié du nihilisme extrême que l’Etat islamique continue d’embrasser. Il a progressivement adopté le langage de la révolution syrienne et cessé de rejeter son drapeau, tout en continuant à opérer depuis une position clairement sunnite suprémaciste.
Aux côtés du HTC, la coalition qui a renversé le régime – «Opération dissuasion de l’agression» [lancée le 27 novembre 2024] – comprenait des factions rebelles et corrompues sans cause officielle et ayant un long passé d’abus, principalement contre les Kurdes d’Afrine [en particulier en janvier 2018], mais aussi contre l’ensemble de la population du nord de la Syrie sous leur contrôle, agissant en fait comme des mandataires de la Turquie.
Dans ce contexte, la chute du régime d’Assad peut-elle encore être considérée comme une victoire pour la révolution, qui renaît de ses cendres, à l’image de ceux qui ont émergé des profondeurs de la prison de Saidnaya [«abattoir humain»] et des services de sécurité d’Assad?
L’effondrement a suscité une joie généralisée et justifiée dans toute la Syrie, alimentée par l’absence de crainte de massacres, de représailles ou de destruction. Cette joie a été encore alimentée par l’espoir que la fin du régime apporterait la paix, la levée des sanctions occidentales et le début de la reprise économique.
Pourtant, beaucoup de ceux qui célèbrent cette victoire ne se sentent pas victorieux. La chute du régime est moins considérée comme une victoire de la révolution de 2011 que comme un triomphe de la soi-disant «entité sunnite».
Ce groupe, qui a enduré des années de massacres, de déplacements et de pauvreté après la révolution, a développé un fort sentiment de victimisation et un vif désir de vengeance, soit des pulsions peu adaptées à la phase post-Assad et plus susceptibles d’alimenter la discrimination, l’extrémisme et l’irrationalité.
Ces pulsions ont explosé en mars dernier sous la forme de violences génocidaires sur la côte, visant de nombreux alaouites pacifiques, à la suite d’une révolte limitée des restes des forces du régime. [Le 6 mars est lancée une offensive d’anciens militaires et miliciens pro-Assad. Les forces de sécurité du régime ripostent et des groupes en leur sein et à la marge répriment brutalement et assassinent des membres des populations civiles.]
On peut affirmer, à juste titre, que le conflit face à Assad n’aurait pas duré ni conduit à la chute du régime s’il n’avait pas été profondément enraciné dans la communauté sunnite. Mais cela n’efface pas le profond glissement du conflit vers une trajectoire sectaire et exclusiviste, qui se concrétise aujourd’hui dans les réalités politiques et institutionnelles…
Mais pas la révolution!
Je propose ces réflexions afin de mieux cerner la question centrale: La révolution de 2011 a-t-elle triomphé avec la chute du régime fin 2024?
Deux réponses toutes faites dominent. La première, principalement exprimée par ceux qui font partie de la soi-disant «entité sunnite» ou ceux qui considèrent la révolution comme un coup d’Etat sunnite plutôt que comme un mouvement de libération nationale, insiste sur le fait que, oui, la révolution a clairement triomphé.
La seconde rejette cette affirmation, qualifiant le résultat de prise de pouvoir armée par les islamistes et affirmant que la Syrie est désormais sous le joug d’extrémistes considérés comme terroristes par l’ONU et les grandes puissances. Qu’elle appelle explicitement ou non au renversement du nouveau régime, c’est là que mène son raisonnement.
Ceux qui partagent ce point de vue ne pleurent peut-être pas la chute d’Assad (certains le font), mais ils ne s’en réjouissent pas non plus. Ce qui suit est une tentative d’aller au-delà de ces deux réponses pour parvenir à une compréhension plus nuancée et moins polarisée de ce que représente réellement la chute d’Assad.
Pour réaffirmer notre position, la chute du régime d’Assad est un événement véritablement monumental. Il ne s’agit pas d’une opinion personnelle. Ce régime était défini par les liens du sang et la corruption jusqu’à son effondrement final, comme en témoignent la prison de Saidnaya et son vaste appareil sécuritaire. Ce régime a régné trop longtemps, a fait couler le sang de son propre peuple, s’est emparé de ses biens, a renforcé le sectarisme et a troqué la souveraineté nationale contre la protection étrangère [iranienne et russe], au détriment du territoire, de la société et des ressources de la Syrie.
En termes un peu désuets, il s’agissait d’un régime non national – un régime de trahison nationale – qui devait être renversé. Peu importe ce qui va suivre, cela ne change rien au fait que la Syrie avait un besoin urgent de tourner cette page sanglante et stagnante de son histoire, si elle voulait avoir une chance de survivre.
L’ampleur de l’événement ne peut être surestimée. Il s’agit d’un bouleversement tectonique qui n’épargne rien de la société, de la pensée ou de l’identité collective. Les alliances et les rivalités ont été redessinées, de nouvelles polarisations apparaissent et les gens sont tiraillés dans toutes les directions avant même d’avoir pu comprendre ce qui se passe, comme s’ils étaient pris dans les répliques d’un tremblement de terre de grande ampleur.
Cette comparaison avec une catastrophe géologique ne vise pas à nier le rôle actif des Syriens et Syriennes. Elle tente plutôt de traduire la force brute de ce qui s’est déroulé et la manière dont cette force façonne l’action des Syriens eux-mêmes, la rendant aussi volatile et instable que le moment présent. Et cela plonge tout le monde dans une crise.
Aujourd’hui, aucun Syrien, en particulier ceux qui sont impliqués dans la vie publique, n’est épargné par cette crise ou insensible à ce changement immense et inattendu de notre monde. Y compris les vainqueurs.
Nous vivons une période de transition, fertile mais désorientante, qui exige une réflexion, même s’il laisse peu de place à autre chose. Nous vivons dans un état de flux, une situation informe et encore malléable dont la configuration finale dépend, au moins en partie, de nous. C’est ce que signifie être dans un état intermédiaire: une période où les choses, les individus et les idées existent dans une transition historique, un chaos où l’ancien monde s’efface chaque jour un peu plus, tandis que le nouveau peine à prendre forme. C’est également l’état de notre analyse: intermédiaire, provisoire et largement expérimentale, luttant pour trouver un langage et trébuchant dans cette lutte, parlant de réalités informes et risquant elle-même de sombrer dans l’incohérence.
L’ampleur de l’événement est une chose, affirmer que la révolution a triomphé en est une autre. Renverser le régime était un objectif central de la révolution syrienne, mais comme moyen d’atteindre des fins plus élevées, et non comme une fin en soi.
La révolution visait à construire une nouvelle Syrie libre, fondée sur l’égalité, la dignité, l’Etat de droit et exempte de sectarisme et de torture. En ce sens, non, la révolution n’a pas triomphé. Et plusieurs mois après la chute d’Assad, rien n’indique que nous nous rapprochons des objectifs qui la définissaient autrefois.
La révolution de 2011 a échoué. Elle s’est effondrée, que ce soit au milieu de l’année 2012, au printemps 2013 ou, de manière plus indulgente, lorsque le régime et ses alliés ont repris le contrôle de l’est d’Alep fin 2016. La chute du régime est d’un tout autre ordre: elle est indéniablement historique, mais elle ne constitue par la victoire de la révolution. Le fossé entre les deux est immense, infranchissable.
Ce qui a perduré de 2011 à décembre 2024, c’est le conflit syrien, une lutte impliquant de nombreuses forces, certaines syriennes, mais la plupart, y compris les plus puissantes, ne l’étaient pas.
Ce conflit a-t-il pris fin avec la chute du régime? C’était l’espoir, d’autant plus que l’écroulement du régime était, dans une large mesure, une victoire syrienne.
Mais certains signes suggèrent le contraire: les massacres d’Alaouites, les actes de vengeance qui se poursuivent, le chaos sécuritaire et la volonté effrénée de la faction dominante de monopoliser le pouvoir indiquent tous que le conflit est toujours bien vivant.
Un autre nihilisme
A la lumière de ce qui précède, l’auteur se rapproche davantage de la deuxième réponse négative à la question «La révolution a-t-elle triomphé?», même s’il ne partage que peu d’autres points de vue avec ses partisans.
Il se distancie en particulier de l’affirmation – souvent implicite dans les discours sur les «terroristes» et les «extrémistes» – selon laquelle le nouvel ordre au pouvoir doit désormais être renversé par tous les moyens nécessaires. Cela reflète une utilisation abusive et troublante de termes tels que «terrorisme» et «extrémisme», dépouillés de leur fondement moral, juridique et conceptuel et réduits à des étiquettes simplistes pour désigner des groupes spécifiques – étiquettes souvent utilisées dans des contextes eux-mêmes extrêmes, voire nihilistes.
Bien défini, le «terrorisme» consiste à prendre pour cible des civils afin d’atteindre des objectifs politiques – une définition qui place ses utilisateurs les plus fréquents, comme les Etats-Unis, Israël et le régime Assad aujourd’hui disparu, parmi les principaux auteurs de ce type d’actes dans le monde.
Ce terme est également facilement détourné à des fins sectaires, implicitement appliqué uniquement aux islamistes sunnites armés. L’«extrémisme» fonctionne de manière similaire: il ne décrit plus le rejet de la négociation, du compromis ou de la coexistence, mais désigne simplement certaines formations idéologiques: islamistes et, auparavant, nationalistes palestiniennes.
Ce n’est pas le langage de la révolution, ni celui de la pensée critique ou de la politique démocratique. Il est éculé, élitiste et autoritaire, imprégné de discrimination et de racisme, et dépourvu de tout potentiel émancipateur. Pire encore, il apparaît souvent dans une rhétorique hostile et pleine de rage, une violence verbale et émotionnelle qui vise non seulement des mouvements politiques ou des idéologies, mais aussi des communautés entières.
Ceux qui s’expriment ainsi n’appellent pas à la révolution, ne travaillent pas à sa réalisation et ne renouvellent pas la lutte démocratique dans un contexte différent.
Dans la mesure où l’on peut y discerner une politique, celle-ci repose sur le potentiel explosif des divisions héritées et sur l’espoir d’un soutien international pour renverser l’ordre actuel.
Il y a quelque chose de profondément nihiliste dans cette attitude, qui ressemble de manière frappante au nihilisme islamique qui a émergé en Syrie en 2012: un rejet furieux de la réalité, indifférent aux conséquences et motivé par une hostilité envers la société elle-même, tout comme le mépris des djihadistes pour l’humanité même de notre société contemporaine.
Une politique enracinée dans cette double hostilité est, par nature, extrémiste. Elle rejette la politique, la négociation et les compromis, rendant impossible la formation d’une majorité sociale ou politique significative autour d’elle.
Anti-extrémisme, pro-politique
La Syrie a besoin d’une phase de transition calme, exempte de violence, de provocations et d’agendas imposés. Ce doit être un moment pour reprendre son souffle, rétablir les services publics, lever les sanctions, permettre le retour à grande échelle des personnes déplacées et faire avancer les efforts pour découvrir le sort des disparus.
Cette transition nécessite également des accords politiques pour les régions aux situations particulières, où Damas offre des concessions significatives, en soutenant des formes de gouvernance locale ou d’«auto-administration» qui préservent l’unité nationale et réduisent l’ingérence étrangère.
Il est préférable de faire des concessions aux communautés locales et ethniques de Syrie – Druzes, Kurdes, Alaouites – plutôt que de mener une politique de force, qui finirait par dépendre du soutien des puissances régionales ou internationales.
La pacification est aujourd’hui la bonne approche, tant sur le plan interne qu’externe. Elle offre les meilleures conditions pour que la société syrienne évolue vers la modération et pour que les acteurs publics se regroupent et se réorientent. La politique de force qui a dévasté la Syrie sous Assad ne lui sera d’aucune utilité aujourd’hui.
Certains pourraient se demander: pourquoi attendre? Pourquoi ne pas affronter les nouveaux dirigeants, comme nous l’avons fait avec les anciens? La réponse réside à la fois dans la prudence et le réalisme. Une telle politique ne bénéficie que d’un faible soutien social, même parmi les communautés sur lesquelles certains comptent. Ni les Kurdes de la Djézireh, ni les Druzes de Souëida, ni même les Alaouites – malgré les massacres – ne cherchent aujourd’hui à faire la révolution ou une révolte armée.
Au contraire, la demande générale est celle d’un système plus pluraliste, plus représentatif et plus décentralisé, véritablement juste et émancipateur, qui soit pour l’instant poursuivi par des moyens politiques.
Cela pourrait-il changer? Une coalition révolutionnaire pourrait-elle émerger des groupes sunnites non arabes et de certains sunnites arabes non conservateurs? Ce n’est que si le pouvoir actuel s’oriente vers l’extrémisme, c’est-à-dire s’il rejette les solutions politiques, qu’une telle trajectoire pourrait commencer à se dessiner. Ou, pour le dire en termes mathématiques: l’extrémisme des dirigeants, multiplié par la durée de leurs politiques extrémistes, pourrait finir par donner naissance à une nouvelle coalition révolutionnaire.
Mais une telle coalition doit être considérée comme une force capable de contrer l’extrémisme, de construire une cause publique commune, de remporter la bataille pour l’hégémonie et de s’orienter vers la modération et l’inclusion, contrairement à la rhétorique exclusiviste et exaltéle si courante aujourd’hui parmi les détracteurs de l’administration actuelle.
En fait, nous assistons à deux types de tendances extrémistes au sein de la structure gouvernementale actuelle. Premièrement, il y a les impulsions extrémistes salafistes ou djihadistes, ou les deux, qui attirent l’attention des médias et génèrent une peur sociale, mais elles ne sont pas les plus dangereuses. Deuxièmement, il y a les tendances extrémistes centralistes, incarnées par la Déclaration constitutionnelle et la formation du gouvernement, qui semblent motivées par le désir de concentrer le pouvoir entre les mains d’un groupe restreint au sommet. Ces tendances centralistes sont moins spectaculaires que l’extrémisme dispersé des salafistes et des djihadistes, mais elles sont plus dangereuses à long terme.
Au lieu de résoudre un problème, un nouveau problème a été créé: la stabilité institutionnelle que la Déclaration constitutionnelle et la formation du gouvernement cherchent à garantir n’est pas viable compte tenu de la fragmentation sociale et géographique du pays. Les efforts en faveur de la stabilité institutionnelle auraient dû suivre la résolution de ces problèmes sociaux et géographiques, et non les précéder.
En agissant ainsi, Ahmed al-Charaa et son équipe ont mis la charrue avant les bœufs. Ils ont taillé sur mesure un costume trop étroit pour la Syrie, qui ne séduit personne – en fait, la bonne chose à faire serait de le rejeter.
Personne ne sait comment ce problème sera résolu. D’une part, il est inconcevable que les Druzes [voir note sur actualités en fin d’article] ou les Kurdes acceptent le cadre institutionnel actuel. D’autre part, une solution imposée par la force semble impossible (et bien sûr indésirable).
La voie la plus appropriée aujourd’hui consiste à engager une restructuration sérieuse et négociée de l’Etat actuel, en particulier de la Déclaration constitutionnelle, du gouvernement et des processus de formation militaire, de manière à surmonter les divisions actuelles, à rompre avec le centralisme étouffant qui a marqué l’histoire de la Syrie et à répondre avec souplesse au pluralisme réel de la société syrienne.
Cela signifie faire deux ou trois pas en arrière, revenir à la situation d’avant mars dernier, afin d’avancer plus fermement. La meilleure approche consiste à faire précéder la formation des institutions publiques par des solutions politiques, et non l’inverse.
La politique implique des négociations, des compromis et des concessions mutuelles, des solutions intermédiaires et des institutions mises en place pour soutenir le consensus émergent.
Mais si la porte de la politique est fermée, alors celle de la révolution s’ouvrira, même si ce n’est qu’après un certain temps. Et personne ne devrait se bercer d’illusions en pensant que cette règle s’applique aux autres mais pas à soi-même. (Article publié sur le site aljumhuriya.net le 30 avril 2025; traduction rédaction A l’Encontre)
Yassin al-Haj Saleh a passé 16 ans, de 1980 à 1996, dans les prisons de la dictature syrienne d’Hafez al-Assad. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la révolution syrienne, la prison, la torture et la violence génocidaire du régime, notamment The Impossible Revolution: Making Sense of the Syrian Tragedy (Hurst, Londres, 2017). Il est cofondateur et membre du comité de rédaction de Al-Jumhuriya.
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Les Druzes et le gouvernement de transition. Et «l’ingérence» israélienne

Depuis le 29 avril 2025 deux localités du sud de Damas, dont la population compte une majorité druze, ont vécu des troubles sécuritaires à tendance sectaire. Suite à la diffusion sur les réseaux sociaux d’un enregistrement audio qui porte atteinte au Prophète, et qui a été attribué à un Druze, des groupes armés extrémistes, externes à la région, ont mené des attaques contre Jaramana et ensuite contre Achrafyat-Sahnaya. Ces attaques ont conduit à des affrontements avec les groupes armés druzes locaux. Les forces de la sécurité générale ont dû intervenir, en coordination avec les dignitaires locaux, pour stopper les affrontements et tenter de ramener l’ordre et le calme. Ces accrochages ont fait des victimes parmi les civils et les membres de la sécurité générale.
Israël a saisi cette occasion pour intervenir à Achrafvat-Sahnaya avec des drones qui ont fait des victimes parmi les citoyens druzes et une victime de la sécurité générale. Cette intervention a été menée au nom de la protection des Druzes! Le vrai but étant d’approfondir la division entre les Syriens pour justifier le renforcement de la présence militaire d’Israël dans le sud de la Syrie.
Le 1er mai 2025, le gouvernement de transition a annoncé qu’un accord a été trouvé avec les habitants de Jaramana pour renforcer la sécurité et remettre les armes à l’Etat. Cet accord comprend la formation d’une commission mixte pour traiter les tensions dans les deux régions.
Le Parti socialiste progressiste druze au Liban s’est associé à cet accord et il a espéré qu’il sera respecté par toutes les parties pour garantir le calme et la stabilité dans cette région.
Quant à la position de la communauté druze en Syrie, elle a été formulée le 1er mai dans un communiqué de ses cheikhs et de ses dignitaires. Ce communiqué met l’accent sur leur refus de la division de la Syrie et sur le fait que Soueida fait partie de la Syrie unifiée. Ils ont également appelé à «réserver la représentation du ministère de l’Intérieur et de la police judiciaire à l’intérieur du gouvernorat de Soueida aux seuls membres du gouvernorat, alors que la sécurisation de la route Soueida-Damas est de la responsabilité de l’Etat». Cet accord est entré en vigueur dès le 2 mai.
Ces développements surviennent dans un contexte de signes croissants concernant les tentatives d’Israël d’exploiter les Druzes pour imposer son intervention en Syrie, à un moment où Damas affirme que toutes les composantes du peuple syrien sont égales en droit.
Dans la nuit 1er au 2 mai une frappe israélienne a ciblé les environs du palais présidentiel à Damas. La nuit suivante, 18 frappes israéliennes ont ciblé Damas, Hama et Daraa! (Traduction FSD)
Sources en arabe:
https://www.alquds.co.uk/??????-??????-??-??????-???-?????-????/
https://www.alquds.co.uk/?????-???-??????-???-???-??-?????-?????/
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