Questions à poser à propos de la libération de Palestiniens en «échange» de celle d’otages détenus par le Hamas

24 novembre 2023, des officiers de sécurité israéliens gardent l’entrée de la prison d’Ofer: des prisonniers palestiniens arrivent d’une autre prison, suite à l’accord concernant les otages et les prisonniers.

Par Orly Noy

Tôt dans la journée du 22 novembre, Israël et le Hamas ont finalisé les détails d’un accord visant à interrompre les hostilités («trêve», «pause humanitaire») dans la bande de Gaza, près de sept semaines après le début de la guerre. L’accord prévoit un cessez-le-feu de quatre jours et l’échange de 50 otages israéliens contre 150 «prisonniers de sécurité» palestiniens [la catégorie «security prisoners» dérive d’une décision administrative de l’Israel Prison Service-IPS], avec la possibilité de procéder à d’autres échanges par la suite. Ce sont des modalités que le Hamas aurait proposées à Israël il y a plusieurs semaines, lors des premières phases de la guerre, mais le Premier ministre Benyamin Netanyahou a préféré lancer un assaut total sur la bande de Gaza assiégée, tuant plus de 14 000 Palestiniens, avant d’envisager un accord, même au détriment de la sécurité et de la situation de santé des otages israéliens.

Israël a publié les noms de 300 prisonniers palestiniens qu’il envisage de libérer dans le cadre de l’accord ou après la libération d’autres otages israéliens, afin de permettre des recours juridiques devant les tribunaux israéliens contre la libération de prisonniers spécifiques. Tous les otages et prisonniers à échanger à ce stade sont des femmes et des mineurs. Néanmoins, de nombreux membres de la droite israélienne, et peut-être le grand public [1], estiment que le gouvernement fait une concession importante en libérant de dangereux «terroristes» pour le bien des quelques otages.

En consultant la liste des prisonniers palestiniens dont la libération est prévue, la première chose qui frappe est leur âge. La grande majorité d’entre eux – 287 – sont âgés de 18 ans ou moins, dont cinq n’ont que 14 ans, ce qui soulève la question suivante: comment un garçon de 14 ans peut-il devenir un «prisonnier de sécurité»?

La liste comprend des membres présumés de factions politiques palestiniennes telles que le Hamas, le Fatah, le Djihad islamique et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), ainsi que de nombreuses personnes qui ne sont affiliées à aucun groupe. Aucun n’a été condamné pour meurtre. Certains ont été condamnés pour tentative de meurtre, tandis que la majorité a été accusée d’infractions moins graves, y compris un grand nombre de personnes arrêtées pour avoir jeté des pierres. L’un d’entre eux, un jeune de 17 ans, est derrière les barreaux depuis deux ans pour avoir jeté des pierres sur un véhicule de la police israélienne à Jérusalem – la même ville où les colons juifs peuvent se livrer à des opérations contre les Palestiniens qui se terminent rarement par des enquêtes, et encore moins par des arrestations.

Cette liste est surtout un témoignage saisissant de l’importance de la détention et de l’emprisonnement pour la politique d’occupation et le contrôle des Palestiniens par Israël. Selon les données du groupe israélien de défense des droits de l’homme HaMoked (Center for Defense of the Invidual), en novembre 2023, Israël détenait 6809 «prisonniers de sécurité». Parmi eux, 2313 purgent une peine de prison; 2321 n’ont pas encore été condamnés par un tribunal; 2070 sont en détention administrative (emprisonnés indéfiniment sans procès ni procédure régulière); et 105 sont des «combattants illégaux» – («unlawful combatants» – Incarceration of Unlawful Combatants Law, 5762-2002 [2]) – qui ont été arrêtés lors des attaques du Hamas du 7 octobre dans le sud d’Israël [3].

La quasi-totalité des 300 Palestiniens dont la libération est envisagée sont des prisonniers relativement récents, arrêtés au cours de l’année ou des deux dernières années. Les exceptions sont 10 femmes de Jérusalem et de Cisjordanie qui ont été emprisonnées depuis 2015-17, la plupart d’entre elles étant accusées d’avoir tenté ou commis des attaques à l’arme blanche contre les Forces de sécurité israéliennes – certaines de ces attaques se sont terminées sans aucun dommage, tandis que d’autres ont causé des blessures de mineures à modérées.

Tout cela, rappelons-le, est supervisé par le même système judiciaire qui, parmi d’innombrables autres exemples, a décidé de classer l’affaire contre un colon israélien qui avait poignardé à mort un jeune Palestinien en mai 2022 parce qu’«il n’était pas possible d’exclure la version [du suspect] selon laquelle il avait agi en état de légitime défense» (voir l’article de Ziv Stah sur +972, 5 septembre 2022). C’est ce même système qui, en juillet de cette année, a acquitté un policier israélien qui avait abattu Iyad al-Hallaq, un Palestinien autiste; cela malgré des témoignages précis et des preuves vidéo prouvant qu’il n’était pas armé et qu’il ne représentait aucune menace d’aucune sorte (voir «Chronicle of an acquittal foretord» de Sebastian Ben Daniel paru dans +972 le 21 juillet 2023).

En outre, les «prisonniers de sécurité» palestiniens sont jugés par un système judiciaire militaire distinct qui se prévaut d’un taux de condamnation de 95 à 99%. L’indulgence, aux yeux du régime d’apartheid israélien, est un droit réservé aux seuls Juifs.

Alors que les Juifs qui se livrent à des manifestations violentes, attaquent et même tuent des Palestiniens sont à l’abri de toute poursuite, la liste des prisonniers nous rappelle que les Palestiniens peuvent être arrêtés en masse sur la seule base de leur «intention» de commettre un acte violent. L’une des personnes figurant sur la liste, une femme de 45 ans originaire de Jérusalem, est en prison depuis plus de deux ans parce qu’elle a été surprise dans la Vieille-Ville avec un couteau à la main et qu’elle a déclaré qu’elle avait l’intention de commettre un attentat. Pendant ce temps, le ministre kahaniste [référence au rabbin raciste Meir Kahane] de la Sécurité nationale d’Israël [Ben-Gvir] exhorte les Juifs à s’armer tout en distribuant des armes comme des bonbons. En outre, de nombreux Israéliens de droite écrivent d’innombrables messages, en public et en privé, annonçant avec jubilation leur intention de «tuer autant d’Arabes que possible».

Parfois, l’«intention» ne figure même pas sur la liste des chefs d’accusation des Palestiniens prisonniers. Un jeune homme de 18 ans de Jérusalem a été «arrêté avec d’autres parce qu’il a crié “Allahou Akbar”». Une jeune femme de 18 ans de Cisjordanie a été emprisonnée pendant des mois pour «provocation sur Instagram». En revanche, parmi la population israélienne, les appels explicites au génocide sont considérés comme un moyen légitime de soutenir le moral national, tandis que les Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne peuvent être arrêtés pour avoir posté quelque chose d’aussi simple qu’une photo de shakshuka [spécialité culinaire de la cuisine maghrébine] à côté du drapeau palestinien.

Parmi les actes d’accusation énumérés, seuls quelques-uns sont en rapport avec l’utilisation d’armes et avec des tirs sur les forces israéliennes (et même dans ces cas énumérés, il n’y a pas eu de morts). La grande majorité des incidents concernent des jets de pierres ou de cocktails Molotov, des tirs de feux d’artifice et des «troubles à l’ordre public». Cela valait-il la peine de laisser des otages israéliens, des femmes et des enfants, souffrir à Gaza pendant quelques semaines de plus pour continuer à emprisonner un jeune homme qui a osé crier «Dieu est grand»?

Bien sûr, cette liste est composée de prisonniers «soft», qui ne susciteront pas autant d’opposition de la part de l’opinion publique, alors que des prisonniers palestiniens accusés de crimes bien plus graves et mortels restent dans les prisons israéliennes. Mais les 300 noms qu’Israël a pu rassembler – presque tous jeunes, arrêtés au cours des deux dernières années et purgeant une peine pour une forme ou une autre de résistance populaire – susciter une certaine réflexion chez les Israéliens.

Après tout, il existe un lien évident entre la répression brutale de toute expression de l’opposition palestinienne et le renforcement des groupes armés [en Cisjordanie, comme résultat entre autres des offensives conjointes des colons et des militaires] qui considèrent la violence comme le seul moyen de défier sérieusement leurs occupants. Mais il faudrait pour cela que l’opinion publique israélienne comprenne enfin que, tant que l’oppression se poursuivra, la résistance se poursuivra inévitablement. (Article publié sur le site israélien +972, le 23 novembre 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre. Une version de cet article a été publiée en hébreu le 22 novembre sur le site Local Call)

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[1] Selon ce que rapporte l’article de Raphaëlle Rérolle dans Le Monde daté du 24 novembre, le professeur Uriel Abulof ­– université de Tel-Aviv et enseignant à Cornell University – estime qu’«entre un quart et un tiers de la population serait hostile aux négociations avec le Hamas».

De plus, le ministre de la Sécurité nationale Ben-Gvir multiplie des déclarations selon lesquelles «ce compromis [tractations avec le Hamas] entraînera le pays sur “la voie d’un désastre”». (Réd.)

[2] Selon la définition de Hamoked: «Le combattant illégal – une catégorie qui n’existe pas en droit international – est défini dans le droit israélien comme “une personne qui a participé directement ou indirectement à des actes hostiles contre l’Etat d’Israël ou qui est membre d’une force perpétrant des actes hostiles contre l’Etat d’Israël, lorsque les conditions prescrites à l’article 4 de la troisième Convention de Genève du 12 août 1949 concernant les prisonniers de guerre et accordant le statut de prisonnier de guerre en droit international humanitaire, ne s’appliquent pas à eux”». (Réd.)

[3] Dans un document publié le 8 novembre 2023 – intitulé «Israël et territoires palestiniens occupés. Des détenu·e·s palestiniens sont soumis à des actes de torture et des traitements dégradants, sur fond de multiplication des arrestations arbitraires» – Amnesty International écrit: «Depuis le 7 octobre, les forces israéliennes ont placé plus de 2200 hommes et femmes palestiniens en détention, d’après la Société des prisonniers palestiniens. D’après l’organisation israélienne de défense des droits humains HaMocked, entre le 1er octobre et le 1er novembre, le nombre total de Palestiniens et Palestiniennes maintenus en détention administrative sans inculpation ni procès est passé de 1319 à 2070 […].

«Au cours du dernier mois, nous avons constaté une augmentation considérable du recours par Israël à la détention administrative, une détention sans inculpation ni procès qui peut être reconduite indéfiniment, et dont l’utilisation était déjà à son niveau le plus haut de ces 20 dernières années avant l’intensification des hostilités du 7 octobre. La détention administrative est l’un des outils clés employés par Israël pour appliquer son système d’apartheid contre la population palestinienne. Des témoignages et des enregistrements vidéo révèlent également plusieurs cas de torture et d’autres mauvais traitements infligés par les forces israéliennes, notamment des coups violents et des humiliations délibérées auxquels ont été soumis des Palestiniens et Palestiniennes détenus dans des conditions déplorables», a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

«Les exécutions sommaires et les prises d’otages dont le Hamas et d’autres groupes armés se sont rendus responsables le 7 octobre sont des crimes de guerre et doivent être condamnés, mais les autorités israéliennes ne peuvent utiliser ces attaques pour justifier leurs propres attaques illégales et les sanctions collectives imposées aux civil·e·s dans la bande de Gaza assiégée, ainsi que la torture, la détention arbitraire et les autres atteintes aux droits humains infligées à des détenu·e·s palestiniens. L’interdiction de la torture ne souffre aucune suspension ou dérogation, même, et surtout, dans des périodes comme celle que nous traversons.»

Ce document mérite une lecture complète sur le site d’Amnesty International. (Réd.)

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Prisonniers et otages libérés

Selon le fil d’actualité du quotidien français Libération du vendredi 24 novembre, 18h17: «Dans un communiqué publié ce vendredi soir, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères du Qatar, Majed al-Ansari, met en avant le rôle de son pays dans la libération des 13 premiers otages du Hamas, qui «ont retrouvé leurs familles en Israël».Dans le cadre de cet accord, «négocié par le Qatar, l’Egypte et les Etats-Unis», «nous avons maintenu des lignes de communication directes avec les deux parties et la Croix-Rouge internationale tout au long du processus», écrit le porte-parole, qui remercie «toutes les parties pour leur coopération» et espère «créer une dynamique dans les heures et les jours à venir afin de prolonger cette pause [dans la guerre] au-delà de la période initiale de quatre jours».

18h13: «Le Qatar annonce la libération de 39 femmes et enfants détenus dans les prisons israéliennes. Le porte-parole du ministère des affaires étrangères du Qatar, Majed al-Ansari, a confirmé sur X (anciennement Twitter) la libération de 39 femmes et enfants retenus dans des prisons israéliennes. Cette annonce s’inscrit dans le cadre de l’accord entre Israël et le Hamas, et fait suite à la libération de 24 otages par le mouvement islamiste.

18h06: Les 13 otages libérés de Gaza sont «en territoire israélien», selon Tsahal. Les otages libérés par le Hamas sont arrivés ce vendredi soir «en territoire israélien», a annoncé l’armée israélienne, disant «saluer leur retour chez eux»dans le cadre d’un accord avec le mouvement islamiste palestinien. «Les forces spéciales de l’armée et les services de renseignement israéliens sont actuellement avec les otages libérés» qui ont «subi de premiers examens médicaux en territoire israélien», a fait savoir Tsahal.» (Réd.)

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