Par le Norwegian Refugee Council
Les 55 organisations soussignées, actives en Israël et dans les territoires palestiniens occupés (TPO), appellent la communauté internationale à prendre des mesures urgentes contre les nouvelles règles d’enregistrement des ONG internationales imposées par Israël.
Fondées sur des critères vagues, généraux, politisés et indéterminés, ces règles semblent conçues pour exercer un contrôle sur les opérations humanitaires indépendantes, de développement et de consolidation de la paix, pour réduire au silence les actions de sensibilisation fondées sur le droit international humanitaire et les droits humains, et renforcer encore le contrôle israélien ainsi que l’annexion de facto des territoires palestiniens occupés.
Depuis plus d’un an et demi, les organisations humanitaires ont continué à fonctionner malgré des contraintes sans précédent. En 2024, elles ont fourni des services essentiels à des millions de personnes dans l’ensemble des territoires palestiniens occupés, allant de l’aide alimentaire et de l’approvisionnement en eau à la mise en place de cliniques mobiles, en passant par l’aide juridique et l’éducation. Les nouvelles règles d’enregistrement menacent désormais de mettre fin à ce travail. Ces mesures vont au-delà d’une politique habituelle. Elles marquent une grave escalade des restrictions imposées à l’espace humanitaire et civique et risquent de créer un dangereux précédent.
En vertu des nouvelles dispositions, les ONG internationales déjà enregistrées en Israël risquent d’être radiées, tandis que les nouvelles demandes d’enregistrement risquent d’être rejetées sur la base d’allégations arbitraires et politisées, telles que la «délégitimation d’Israël» ou l’expression d’un soutien à la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat israélien pour ses violations du droit international. Parmi les autres motifs d’exclusion figurent le soutien public à un boycott d’Israël au cours des sept dernières années (par le personnel, un partenaire, un membre du conseil d’administration ou un fondateur) ou le non-respect d’exigences exhaustives en matière de rapports d’activité. En présentant la défense des droits humains et l’aide humanitaire comme une menace pour l’Etat, les autorités israéliennes peuvent exclure des organisations simplement parce qu’elles dénoncent les conditions qu’elles constatent sur le terrain, obligeant les ONG internationales à choisir entre fournir une aide et promouvoir le respect des protections dues aux personnes touchées.
Les ONG internationales sont en outre tenues de communiquer à Israël la liste complète de leur personnel et d’autres informations sensibles sur leurs collaborateurs et collaboratrices et leurs familles lors de leur demande d’enregistrement. Dans un contexte où les travailleurs et travailleuses humanitaires et les professionnels de santé sont régulièrement victimes de harcèlement, de détentions et d’attaques directes, cela soulève de graves préoccupations en matière de protection.
Ces nouvelles règles s’inscrivent dans le cadre d’une répression plus large et à long terme de l’espace humanitaire et civique, marquée par une surveillance et des attaques accrues, ainsi que par une série de mesures qui restreignent l’accès humanitaire, compromettent la sécurité du personnel et sapent les principes fondamentaux de l’action humanitaire. Elles ne sont pas isolées, mais s’inscrivent dans un schéma plus large qui comprend:
- Le blocage ou le retard de l’aide par des restrictions bureaucratiques arbitraires, des obstacles logistiques et des blocus complets, privant les Palestiniens de fournitures essentielles à leur survie.
- Le meurtre de plus de 400 travailleurs humanitaires à Gaza, les blessures et la détention infligées à d’innombrables autres personnes, et les attaques répétées contre des locaux, des installations ou des convois humanitaires signalés et notifiés.
- L’adoption d’une législation visant à restreindre les opérations de l’UNRWA, le plus grand fournisseur de services essentiels aux Palestiniens.
- L’adoption d’une législation visant à imposer une taxe pouvant atteindre 80% sur les fonds étrangers versés aux ONG israéliennes, tout en leur interdisant de saisir la justice israélienne, y compris les organisations qui travaillent en partenariat avec les ONG internationales pour fournir une assistance et assurer la protection des populations confrontées à des déplacements, des destructions ou des violences commises par des colons.
- La suspension des visas de travail pour le personnel international et la révocation des permis permettant aux Palestiniens résidant en Cisjordanie d’accéder à Jérusalem, perturbant gravement les opérations. [En mars 2024, Philippe Lazzarini, le patron de l’UNRWA, s’est vu interdire d’entrer à Gaza – réd.]
Et maintenant, ces mesures subordonnent l’enregistrement des ONG internationales à leur alignement politique et idéologique, portant ainsi atteinte à la neutralité, à l’impartialité et à l’indépendance des acteurs humanitaires.
En vertu du droit international humanitaire, les puissances occupantes sont tenues de faciliter l’aide humanitaire impartiale et d’assurer le bien-être de la population protégée. Toute tentative visant à subordonner l’accès humanitaire à l’allégeance politique ou à pénaliser les organisations pour avoir rempli leur mandat risque de contrevenir à ce cadre. La Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné à Israël de permettre la livraison sans entrave de l’aide humanitaire à Gaza dans trois ordonnances provisoires juridiquement contraignantes rendues en 2024. Or, ces nouvelles règles prises par le gouvernement israélien élargissent et institutionnalisent les obstacles existants à l’aide.
Nous appelons les Etats, les donateurs et la communauté internationale à:
- Utiliser tous les moyens possibles pour protéger les opérations humanitaires contre les mesures qui compromettent leur neutralité, leur indépendance et leur accès, notamment les exigences relatives à la liste du personnel, le contrôle politique et les clauses de révocation vagues.
- Prendre des mesures politiques et diplomatiques concrètes, au-delà des déclarations de préoccupation, pour garantir un accès humanitaire sans entrave et empêcher l’érosion de la fourniture d’aide fondée sur des principes.
- Soutenir les ONG internationales et les organisations de la société civile palestinienne et israélienne par une assistance juridique, un soutien diplomatique et un financement flexible afin d’atténuer les risques juridiques, financiers et réputationnels. Les donateurs doivent défendre le travail humanitaire et les droits humains fondés sur des principes.
Les 55 organisations soussignées soulignent que leur implication dans le processus d’enregistrement visant à préserver les opérations humanitaires essentielles ne doit pas être interprétée comme un soutien à ces mesures.
Ces 55 organisations restent déterminées à fournir une aide humanitaire, ainsi que des services et des activités de développement et de consolidation de la paix qui soient indépendants, impartiaux et fondés sur les besoins, en pleine conformité avec le droit international et les principes humanitaires qui en découlent. Les ONG internationales sont prêtes à coopérer de bonne foi avec les autorités israéliennes sur les procédures administratives, mais ne peuvent accepter des mesures qui pénalisent le travail humanitaire fondé sur des principes ou qui exposent le personnel à des représailles. Ces mesures non seulement compromettent l’aide dans les territoires palestiniens occupés, mais créent également un dangereux précédent pour les opérations humanitaires à l’échelle mondiale. (Publié le 7 mai 2025 sur le site du Norwegian Refugee Council; traduction rédaction A l’Encontre)
Cliquez ici pour obtenir la liste des 55 ONG signataires
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L’armée israélienne prépare sa «base de distribution» à Gaza

Par Nir Hasson
Les organisations humanitaires à Gaza rejettent le plan de l’armée, affirmant qu’il mettra en danger la sécurité de la population. Le Washington Post (5 mai) a rapporté qu’Israël autorisera 60 camions d’aide humanitaire à entrer quotidiennement dans Gaza et que les habitants pourront se procurer de la nourriture et des produits ménagers dans six centres.
L’armée israélienne a récemment commencé à construire un site de distribution de nourriture dans le sud de Gaza, malgré les objections des organisations humanitaires sur le terrain qui affirment que ce projet ne tient pas compte des besoins humanitaires de la population. Des photos satellites obtenues par Haaretz montrent que l’armée a déjà dégagé un site de 80 dunams (8 hectares) dans la partie ouest de Rafah.
Les Forces de défense israéliennes (FDI) ont présenté à l’ONU et aux organisations humanitaires opérant à Gaza leurs plans pour distribuer l’aide sur ce site.
Les organisations ont rejeté la proposition israélienne, refusant de coopérer. Elles affirment que ce plan ne permettra pas une distribution équitable de la nourriture et des biens, ni de protéger les personnes les plus démunies, ni d’assurer la survie de la population.
Les déclarations faites ces dernières semaines par des officiers de l’armée israélienne laissent entendre que celle-ci prévoit d’expulser des centaines de milliers de Gazaouis qui vivent actuellement dans des tentes dans la région d’al-Mawasi, au nord de Rafah. Depuis la reprise de l’offensive en mars, lorsque l’armée israélienne a cessé de désigner des zones humanitaires à Gaza, elle a frappé al-Mawasi, précédemment définie comme une zone sûre, à des dizaines de reprises.
Selon cette proposition [de «distribution»], les habitants passeraient vers le sud par des points de contrôle de l’armée pour rejoindre une nouvelle zone humanitaire située entre le corridor de Philadelphie et le corridor de Morag récemment créé, qui inclura Rafah. L’armée s’appuierait sur des organisations humanitaires pour distribuer de la nourriture et des fournitures aux Gazaouis déplacés, tandis que des entrepreneurs privés états-uniens assureraient la sécurité [voir l’article publié sur ce site le 6 mai 2025] [1].
Un article publié lundi 5 mai par le Washington Post détaille certaines caractéristiques du plan israélien pour la nouvelle «zone humanitaire». Selon le Washington Post, le gouvernement prévoit d’autoriser l’entrée quotidienne d’environ 60 camions d’aide à Gaza, ce qui représente un dixième du volume autorisé dans le cadre du récent cessez-le-feu.
Les camions livreraient l’aide à six centres de distribution, chacun desservant environ 5000 à 6000 familles. Le Washington Post a cité un travailleur humanitaire international qui a déclaré que chaque foyer aurait un représentant chargé de collecter un «colis de nourriture et d’articles d’hygiène de 18 kg toutes les deux semaines». Une autre source a contredit le travailleur humanitaire, indiquant que les distributions auraient lieu chaque semaine.
Le Washington Post a rapporté que cette méthode de distribution de l’aide visait à empêcher le commerce de denrées alimentaires, citant des responsables israéliens qui affirmaient que «le Hamas a récolté des centaines de millions de dollars au cours des 18 derniers mois en détournant et en revendant l’aide destinée aux civils». Le Washington Postprécise qu’aucune preuve n’a été présentée à l’appui de cette affirmation, qui est contestée tant par les responsables états-uniens que par les organisations humanitaires.
Selon ce rapport, le nouveau plan sera en partie financé par une organisation à but non lucratif enregistrée en Suisse, appelée Gaza Humanitarian Foundation [constituée à Genève le 31 janvier 2025, basée à Genève, enregistrée sur la Feuille officielle du commerce suisse, connue du Département fédéral de l’Intérieur] [2]. Les sources de financement de cette fondation n’ont pas été précisées. Ce modèle sera d’abord appliqué dans le sud de Gaza, mais devrait ensuite être étendu aux régions du centre et du nord du territoire.
Une version plus extrême de ce plan a été présentée dans un article publié il y a deux semaines par le colonel (à la retraite) Gabi Siboni et le brigadier général (à la retraite) Erez Weiner au Jerusalem Institute for Strategy and Security. Weiner a récemment été démis de ses fonctions de commandant en chef de la région sud de l’armée israélienne.
Leur proposition prévoit une «administration militaire temporaire et partielle» dans la nouvelle zone humanitaire, qui faciliterait la distribution de l’aide humanitaire, menée par des groupes humanitaires et supervisée par l’armée israélienne. La distribution serait «gérée et contrôlée par des sociétés de sécurité étrangères», d’une manière qui «a déjà fait ses preuves ailleurs dans la bande de Gaza».
Gabi Siboni et Erez Weiner affirment que le traitement des civils gazaouis de cette manière «permettrait à l’armée israélienne de concentrer ses opérations offensives dans les zones de Gaza qui ont été évacuées et dont les habitants ont été transférés vers la nouvelle enclave». Dans leur proposition, la zone humanitaire «servirait également de camp de transit pour faciliter l’émigration des habitants de Gaza vers des pays tiers disposés à les accueillir».
Mardi 7 mai, l’Humanitarian Country Team (HTC), une organisation qui chapeaute les groupes humanitaires opérant dans les territoires palestiniens, a annoncé son rejet du plan israélien visant à reprendre l’approvisionnement alimentaire de Gaza. Cette organisation comprend des agences des Nations unies ainsi que des ONG locales et internationales.
«La conception du plan qui nous a été présenté signifie qu’une grande partie de Gaza, y compris les personnes les moins mobiles et les plus vulnérables, continuera à être privée de ravitaillement», a affirmé la HCT dans son communiqué.
L’organisation affirme que ce plan vise à renforcer le contrôle sur l’aide vitale dans le cadre de la stratégie militaire d’Israël. L’HCT juge ce plan dangereux, estimant qu’il «pousse les civils à se rendre dans des zones militarisées pour récupérer des rations, mettant ainsi en danger des vies, y compris celles des travailleurs humanitaires, tout en renforçant les déplacements forcés».
Selon l’HCT, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, et le sous-secrétaire général aux affaires humanitaires et coordinateur des secours d’urgence, Tom Fletcher [voir son intervention du 13 mai traduite ci-dessous], «ne participeront à aucun programme qui ne respecte pas les principes humanitaires mondiaux d’humanité, d’impartialité, d’indépendance et de neutralité».
La dite zone humanitaire devrait être établie près de Rafah, qui a été presque entièrement vidée de tous ses habitants au cours des deux derniers mois à la suite d’ordres d’évacuation émis par l’armée et d’opérations terrestres et aériennes intensives de l’armée israélienne. La plupart des habitant·e·s de la ville ont été déplacés, pour la troisième fois depuis le début de la guerre, vers Al-Mawasi, au nord de la ville. Ces dernières semaines, plusieurs officiers ont évoqué la nécessité d’évacuer les habitants d’Al-Mawasi afin de débusquer les combattants du Hamas qui, selon l’armée, s’y cachent.
En avril, l’entreprise privée américaine SRS (Safe Reach Solutions) [3], qui assurait la sécurité du couloir de Netzarim pendant le cessez-le-feu, a contacté les organisations humanitaires opérant à Gaza afin de coopérer avec elles avant la reprise de l’acheminement de l’aide. Les brochures envoyées par SRS à ces organisations indiquent que l’aide entrera par la «porte 96» dans le centre de Gaza, et non par le passage de Keren Shalom, qui, jusqu’à présent, acheminait la majeure partie de l’aide entrant à Gaza.
Les brochures indiquent que l’aide sera fournie à des individus ou à des familles dans un centre de distribution que la société sécurisera. SRS a précisé qu’elle était en pourparlers avec l’armée israélienne au sujet d’un modèle qui empêcherait la livraison de grandes quantités d’aide aux entrepôts des organisations à l’intérieur de Gaza. Les organisations humanitaires ne seraient donc pas en mesure de gérer elles-mêmes la distribution.
Les organisations humanitaires ont rejeté cette proposition, arguant pour des raisons similaires qu’elle ne tient pas compte du réseau de distribution efficace qu’elles ont déjà mis en place et qu’elle empêcherait l’aide d’atteindre l’ensemble de la population. (Article publié le 7 mai 2025 par Haaretz; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Luis Lema, dans Le Temps du 6 mai, écrit: «Selon les indications israéliennes, la fondation [genevoise Gaza Humanitarian Foundation] devrait prendre en charge, au moins en partie, cette “sécurisation” de l’aide, en payant semble-t-il le salaire des mercenaires.» (Réd.)
[2] Luis Lema, dans l’article cité, indique: «A Genève, l’avocat David Kohler, qui est l’un des [trois] membres de la fondation (domiciliée à la même adresse que son étude), refuse d’expliquer ses origines ou ses objectifs précis. Ses deux autres membres sont un avocat américain [Loik Samuel Marcel Henderson], domicilié en Virginie, ainsi qu’un financier arménien, David Papazian, ancien directeur du Fonds des intérêts de l’Etat arménien. Aucun d’eux n’a de compétences avérées dans le domaine de l’humanitaire.» (Réd.)
[3] Selon le site Lignes de défense de Philippe Chapleau: «Une des sociétés américaines qui fait partie du projet est Safe Reach Solutions (SRS), une société de planification stratégique et logistique créée en 2025 (!) et dont le site web ne donne aucune indication sur l’endroit où elle est enregistrée et installée. Pas plus qu’il ne dévoile qui l’a créée et qui la dirige. SRS aurait élaboré le plan opérationnel du check point installé dans la bande de Gaza.» (Réd.)
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«Mettre fin à ces atrocités à Gaza»
Par Tom Fletcher, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence
[Selon divers médias, depuis l’aube de ce 14 mai, 84 Palestiniens ont été tués par des bombardements israéliens, parmi eux au moins 50 l’ont été dans le seul nord de la bande de Gaza. Et, comme toujours, le nombre de blessés, de disparus sous les décombres, n’est pas recensé ou ne peut l’être. Ainsi, MEE rapporte de 14 mai qu’«une série de frappes aériennes simultanées a pilonné quatre zones résidentielles du nord de Gaza, concentrées dans diverses parties du camp de réfugiés de Jabalia et de ses environs. De nombreux enfants et femmes ont été vus déchiquetés dans des vidéos postées à la suite de la frappe. L’une de ces vidéos montre des secouristes plaçant trois nourrissons à la tête défoncées dans un compartiment mortuaire de l’hôpital. D’autres images prises à l’intérieur de l’hôpital indonésien montrent des corps empilés sur le sol.» Parmi eux, au moins 22 enfants et 15 femmes. Ces bombardements suivent ceux qui ont visé l’Hôpital européen le mardi 13 mai, à Khan Younès dans le sud de la bande de Gaza. Et les clichés indiquent que des bombes puissantes anti-bunkers ont été utilisées.
Le gouvernement israélien et son armée s’efforcent d’écarter ou d’éliminer le maximum de témoins, qu’ils soient humanitaires ou journalistes. Camoufler et silencier sont le propre des politiques génocidaires. Ainsi, le 13 mai, «une frappe de drone israélien a tué le journaliste palestinien Hassan Islayeh alors qu’il recevait des soins à l’hôpital Nasser de Khan Younès. Islayeh, éminent reporter de terrain et directeur de l’agence de presse Alam24, se remettait de blessures subies lors d’une précédente frappe aérienne israélienne le mois dernier qui avait visé une tente de presse près du même hôpital.»
En fait, une prison à ciel ouvert, déjà largement détruite, est bombardée quotidiennement.
Or l’immunité de ceux qui conduisent cette politique génocidaire est de facto maintenue, assurée, par les tenants d’un dit «ordre international». Dans ce sens, les questions posées dans son intervention devant le Conseil de sécurité de l’ONU le 13 mai par Tom Fletcher ont valeur d’une imputation de la complicité qui se déguise en «nous avons fait ce que nous pouvions». – Rédaction A l’Encontre]
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New York, 13 mai 2025 – Tel que prononcé
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
C’est avec une profonde gravité que je vous informe à nouveau sur ce sujet.
Avant de commencer, je vous invite à réfléchir un instant à ce que nous dirons aux générations futures sur les mesures que nous avons prises pour mettre fin aux atrocités de ce XXIe siècle dont nous sommes quotidiennement témoins à Gaza.
C’est une question qui nous sera posée, parfois avec incrédulité, parfois avec colère, mais sans cesse présente, pour le reste de notre vie.
Nous prétendrons sûrement tous avoir été contre. Peut-être dirons-nous que nous avons publié une déclaration? Ou que nous avons cru que les pressions privées pourraient fonctionner, malgré tant de preuves du contraire?
Ou prétendrons-nous que nous pensions qu’une offensive militaire plus brutale avait plus de chances de ramener les otages chez eux que les négociations qui ont permis à tant d’entre eux de rentrer?
Certains se souviendront peut-être que dans un monde transactionnel nous avions d’autres priorités.
Ou peut-être utiliserons-nous ces mots vides de sens: «Nous avons fait tout ce que nous pouvions.»
Monsieur le Président
Permettez-moi de commencer par ce que nous constatons et ce que ce Conseil nous a chargé de rapporter.
Israël impose délibérément et sans vergogne des conditions inhumaines aux civils dans le territoire palestinien occupé.
Depuis plus de dix semaines, rien n’entre à Gaza: ni nourriture, ni médicaments, ni eau, ni tentes.
Des centaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes ont, une fois de plus, été déplacés de force et confinés dans des espaces de plus en plus restreints, 70% du territoire de Gaza se trouvant soit dans des zones militarisées par Israël, soit sous le coup d’ordres d’évacuation.
Comme l’expliquera mon collègue de la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture), chacun des 2,1 millions de Palestiniens de la bande de Gaza est menacé par la famine. Un sur cinq est menacé de mort par la faim.
Et ce, malgré le fait que vous ayez financé la nourriture qui pourrait les sauver.
Les quelques hôpitaux qui ont miraculeusement survécu aux bombardements sont débordés. Les médecins qui ont miraculeusement survécu aux attaques de drones et aux tirs de snipers ne parviennent pas à faire face aux traumatismes et à la propagation des maladies.
Aujourd’hui encore, l’hôpital européen de Gaza à Khan Younès a été bombardé, faisant encore plus de victimes civiles.
Je peux vous dire, pour avoir visité ce qui reste du système médical de Gaza, que la mort à cette échelle a un bruit et une odeur qui ne vous quittent plus. Comme l’a décrit un membre du personnel hospitalier, «les enfants hurlent tandis que nous retirons les tissus brûlés de leur peau…».
Et pourtant, nous entendons dire que «nous avons fait tout ce que nous pouvions».
Monsieur le Président,
Notre réponse en tant qu’humanitaires est de demander une seule chose au Conseil: laissez-nous travailler!
L’ONU et nos partenaires sont désespérés de reprendre l’aide humanitaire à grande échelle dans toute la bande de Gaza, conformément aux principes fondamentaux d’humanité, d’impartialité, d’indépendance et de neutralité.
Nous avons un plan. Nous avons montré que nous étions capables d’agir, avec des dizaines de milliers de camions qui ont pu atteindre les civils pendant le cessez-le-feu. Nous avons des vivres et des fournitures médicales vitales prêtes, dès maintenant, à la frontière.
Nous pouvons sauver des centaines de milliers de survivants. Nous disposons de mécanismes rigoureux pour garantir que notre aide parvienne aux civils et non au Hamas.
Mais Israël nous refuse l’accès, faisant passer l’objectif de dépeupler Gaza avant la vie des civils. Il est déjà suffisamment grave que le blocus se poursuive. Comment réagissez-vous lorsque des ministres israéliens s’en vantent?
Ou lorsque les attaques contre les humanitaires et les violations des privilèges et immunités accordées des Nations unies se poursuivent, parallèlement aux restrictions imposées aux organisations internationales et non gouvernementales?
Monsieur le Président,
Ce Conseil a adopté des résolutions qui exigent de toutes les parties au conflit qu’elles respectent le droit international humanitaire et la protection des civils, y compris le personnel humanitaire.
Je rappelle qu’Israël a également des obligations claires en vertu du droit international humanitaire.
Il doit traiter les civils avec humanité, dans le respect de leur dignité humaine inhérente. Il ne doit pas transférer, expulser ou déplacer de force la population civile d’un territoire occupé.
En tant que puissance occupante, il doit accepter de l’aider et de faciliter cette aide.
Ainsi, pour ceux qui prétendent encore avoir des doutes, le mode de distribution conçu par Israël n’est pas la solution. Il exclut pratiquement de nombreuses personnes, notamment les personnes handicapées, les femmes, les enfants, les personnes âgées et les blessés.
Il provoque de nouveaux déplacements. Il expose des milliers de personnes à des dangers. Il crée un précédent inacceptable pour l’acheminement de l’aide, non seulement dans les territoires palestiniens occupés, mais dans le monde entier.
Il limite l’aide à une seule partie de Gaza, laissant d’autres besoins urgents insatisfaits. Il subordonne l’aide à des objectifs politiques et militaires. Il fait de la famine un moyen de négociation.
C’est un spectacle cynique. Une diversion délibérée. Un paravent pour masquer de nouvelles violences et de nouveaux déplacements.
Si tout cela a encore de l’importance, ne vous en faites pas complices.
Monsieur le Président,
Pour que les choses soient claires, nous avons essayé. L’ONU s’est réunie à 12 reprises, et encore ce matin, avec les autorités israéliennes pour discuter de cette modalité proposée. Nous voulions trouver un moyen de la rendre possible.
Nous avons expliqué à plusieurs reprises les conditions minimales de notre participation, fondées sur des principes fondamentaux établis de longue date: une aide basée sur des évaluations indépendantes des besoins, une exigence fondamentale éprouvée à l’échelle mondiale et réclamée par les donateurs, ainsi que la capacité de fournir l’aide à tous ceux qui en ont besoin, où qu’ils se trouvent.
Le Secrétaire général a exposé le droit international applicable dans ses observations présentées à la Cour internationale de Justice (CIJ).
Et vos résolutions ont fermement condamné la famine des civils comme méthode de guerre et le refus illégal de l’acheminement de l’aide humanitaire.
La résolution 2417 demande au Conseil d’accorder toute son attention à l’insécurité alimentaire généralisée causée par le conflit.
Monsieur le Président,
Il n’y a pas que Gaza. Des violences effroyables s’intensifient également en Cisjordanie, où la situation est la pire depuis des décennies.
Recours à des armes lourdes, méthodes militaires de guerre, usage excessif de la force, déplacements forcés, démolitions et restrictions de mouvement. Expansion illégale et continue des colonies.
Communautés entières détruites, camps de réfugiés vidés de leurs habitants.
Expansion des colonies et poursuite de la violence des colons à un niveau alarmant, parfois avec le soutien des forces israéliennes.
Récemment, des colons ont enlevé une fillette de 13 ans et son frère de 3 ans. Ils ont été retrouvés attachés à un arbre. Allons-nous également leur dire que «nous avons fait tout ce que nous pouvions»?
Monsieur le Président,
Je crains qu’il n’y ait ici un problème plus vaste.
Au cours des 19 derniers mois, des journalistes, des membres de la société civile et des particuliers palestiniens ont retransmis en direct leur calvaire au monde entier. Beaucoup ont été pris pour cible et tués pour leur témoignage.
Et pendant tout ce temps, les travailleurs humanitaires internationaux ont été la seule présence civile internationale à Gaza, observant et rapportant l’horreur qui se déroulait sous leurs yeux. Nous sommes vos yeux et vos oreilles.
Et soyez assurés que nous ressentons le poids de cette responsabilité, à votre égard, à l’égard des communautés que nous servons et à l’égard du monde entier.
C’est pourquoi nous avons informé ce Conseil en détail des nombreux préjudices causés aux civils dont nous sommes témoins chaque jour: morts, blessés, destructions, famine, maladies, tortures et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, déplacements répétés à grande échelle.
Nous avons décrit l’obstruction délibérée faite aux opérations humanitaires et le démantèlement systématique de la vie palestinienne et de ce qui la soutient à Gaza.
Vous disposez donc de ces informations. Et maintenant, la CIJ examine si un génocide est en cours à Gaza. Elle évaluera les témoignages que nous avons partagés. Mais il sera trop tard. Consciente de l’urgence, la CIJ a indiqué des mesures provisoires claires qui doivent être mises en œuvre dès maintenant, mais elles ne l’ont pas été.
Les précédents examens de la conduite de l’ONU dans des cas de violations à grande échelle du droit international humanitaire et des droits humains – rapports sur le Myanmar, 2019; le Sri Lanka, 2012; Srebrenica et le Rwanda, tous deux en 1999 – ont mis en évidence notre incapacité collective à dénoncer l’ampleur des violations au moment où elles étaient commises.
Alors, pour ceux qui ont été tués et ceux dont la voix est réduite au silence: de quelles autres preuves avez-vous besoin? Allez-vous agir – de manière décisive – pour prévenir le génocide et garantir le respect du droit international humanitaire?
Ou allez-vous plutôt dire que «nous avons fait tout ce que nous pouvions»?
Monsieur le Président,
Cette dégradation du droit international est corrosive et contagieuse. Elle sape des décennies de progrès en matière de règles visant à protéger les civils contre l’inhumanité et contre ceux qui, parmi nous, agissent avec violence et en toute impunité.
L’humanité, le droit et la raison doivent prévaloir.
Ce Conseil doit prévaloir. Exigez que cela cesse. Cessez de lui porter atteinte. Insistez sur la responsabilité.
Aux autorités israéliennes: cessez de tuer et de blesser des civils. Levez ce blocus brutal. Laissez les humanitaires sauver des vies.
Au Hamas et aux autres groupes armés palestiniens: libérez immédiatement et sans condition tous les otages. Cessez de mettre en danger des civils lors d’opérations militaires.
Et pour ceux qui ne survivront pas à ce que nous craignons voir arriver – et qui est déjà visible –, ce ne sera aucune consolation de savoir que les générations futures nous demanderont des comptes dans cette salle. Mais elles le feront.
Et si nous n’avons pas sérieusement fait «tout ce que nous pouvions», alors nous devons craindre ce jugement.
Je vous remercie.
(Publié sur le site de l’OCHA – Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, le 13 mai 2025; traduction rédaction A l’Encontre)
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