Gaza: «Un tableau qui désespère tous les qualificatifs»

Rafah, 4 mai 2024. Evacuation des blessés et morts dans une maison résidentielle détruite par une bombe.

Par OCHA

Le 3 mai, l’OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs) établissait une note de synthèse sur la situation à Gaza du 29 avril au 3 mai. Elle prend appui sur les relevés, les bilans, les déclarations: de l’OMS, du PNUD, de MSF, du ministère de la Santé de Gaza, du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), de l’Unicef, de Save the Children, de l’International Medical Corps (IMC), de l’Autorité palestinienne de l’eau, du PAM, etc. Derrière les données chiffrées se profilent toutes les facettes de la destruction et de l’étranglement d’un peuple et d’un pays. Un tableau qui désespère tous les qualificatifs. [Rédaction A l’Encontre]

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Les bombardements israéliens aériens, terrestres et maritimes se poursuivent dans une grande partie de la bande de Gaza, entraînant de nouvelles victimes civiles, des déplacements et la destruction d’habitations et d’autres infrastructures civiles.

1.- Lors d’une rencontre avec la presse le 30 avril, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a mis en garde contre les conséquences «dévastatrices» et «graves» d’un éventuel assaut militaire sur Rafah. M. Guterres a également exprimé son inquiétude face aux informations faisant état de la découverte de fosses communes à Gaza, notamment dans les hôpitaux Al Shifa et Nasser, et a demandé l’accès immédiat d’enquêteurs internationaux indépendants disposant d’une expertise médico-légale «afin d’établir les circonstances précises dans lesquelles des centaines de Palestiniens ont perdu la vie et ont été enterrés, ou ré-enterrés».

Le chef de l’ONU a souligné que la situation «s’aggrave de jour en jour», malgré les progrès récents dans l’acheminement de l’aide à Gaza; pour éviter «une famine d’origine humaine qui aurait pu être évitée», il a réitéré son «appel aux autorités israéliennes pour qu’elles autorisent et facilitent un accès sûr, rapide et sans entrave à l’aide humanitaire et aux travailleurs humanitaires, y compris l’UNRWA, dans l’ensemble de la bande de Gaza» [entre autres dans le nord de la bande de Gaza].

2.- Selon le ministère de la Santé de Gaza, 54 Palestiniens ont été tués et 102 blessés entre les après-midi du 1er et du 3 mai, dont 26 tués et 51 blessés au cours des dernières 24 heures. Entre le 7 octobre 2023 et le 3 mai 2024, au moins 34 622 Palestiniens ont été tués à Gaza et 77 867 Palestiniens ont été blessés, selon le ministère de la Santé à Gaza.

Parmi les évènements meurtriers survenus le 30 avril et le 1er mai, on peut citer les suivants: le 30 avril, vers 21h00, trois Palestiniens, dont un enfant, auraient été tués lorsqu’un appartement a été touché dans le camp de réfugiés d’An-Nuseirat. Le 30 avril, vers 22h25, deux enfants palestiniens auraient été tués lorsqu’une maison a été touchée dans le camp de réfugiés d’Ash Shaboura, dans le sud de Rafah. Le 1er mai, vers 21 h 40, six Palestiniens auraient été tués et d’autres blessés lorsqu’une maison a été touchée dans la zone d’Az Zahraa, au sud de la ville de Gaza.

3.- Entre l’après-midi du 1er mai et celle du 3 mai, aucun soldat israélien n’a été tué à Gaza. Au 3 mai, 262 soldats ont été tués et 1605 soldats ont été blessés à Gaza depuis le début de l’opération terrestre, selon l’armée israélienne. En outre, plus de 1200 Israéliens et ressortissants étrangers, dont 33 enfants, ont été tués en Israël, la grande majorité le 7 octobre. Depuis le 3 mai, les autorités israéliennes estiment que 133 Israéliens et ressortissants étrangers sont toujours captifs à Gaza, y compris les victimes dont les corps n’ont pas été révélés.

4.- Le 1er mai, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a indiqué qu’il avait recensé 25 cas de détention de journalistes dans les territoires palestiniens occupés. Outre les informations faisant état de journalistes blessés ou disparus, le CPJ enquête sur l’assassinat de 97 journalistes et professionnels des médias à Gaza depuis le 7 octobre, qualifiant cette période de «la plus meurtrière pour les journalistes» depuis qu’il a commencé à collecter des données en 1992. Selon le Bureau gouvernemental des médias (GMO) à Gaza, 141 journalistes et professionnels des médias palestiniens ont été tués à Gaza, 70 blessés et au moins 20 détenus depuis le début des hostilités.

5.- Le 2 mai, 64 personnes détenues à Gaza ont été libérées par les autorités israéliennes au point de passage de Kerem Shalom, a rapporté l’Autorité palestinienne des frontières et des passages. Selon la même source, une personne est décédée et une autre a été grièvement blessée. Le 1er mai, à l’occasion de la Journée internationale du travail, trois institutions palestiniennes couvrant les affaires des prisonniers ont indiqué dans un communiqué de presse commun que, selon les données du ministère palestinien du Travail, sur les 10 300 travailleurs de Gaza présents en Israël pour travailler le 7 octobre, 3200 ont été libérés au point de passage de Kerem Shalom en novembre 2023, 6441 ont été expulsés vers la Cisjordanie, et 1000 sont toujours portés disparus. Ils ont noté que les autorités israéliennes ont refusé de divulguer des informations sur les travailleurs disparus, se contentant d’annoncer la présence de deux camps de détention militaire près de Beersheba et de Jérusalem. Le 2 mai, le ministère de la Santé de Gaza a annoncé que le chef du service orthopédique du complexe médical de Shifa, le Dr Adnan Al Bursh, qui était détenu par les forces israéliennes depuis décembre 2023, était décédé dans une prison israélienne.

6.- Le 1er mai, Catherine Russell, directrice générale de l’Unicef, a prévenu qu’une opération terrestre à Rafah «ajouterait une catastrophe à la catastrophe», soulignant le «bilan inimaginable» de la guerre pour les enfants, qui représentent 47% de la population de Gaza. Selon l’Unicef, quelque 600 000 enfants sont aujourd’hui entassés à Rafah, la quasi-totalité d’entre eux étant «blessés, malades, mal nourris, traumatisés ou handicapés». Lors de ses trois visites à l’unité de soins intensifs de l’Hôpital européen de Rafah, le porte-parole de l’Unicef, James Elder, a raconté avoir vu plusieurs enfants occuper le même lit, «chacun d’entre eux arrivant après qu’une bombe ait ravagé sa maison, chacun d’entre eux mourant malgré les immenses efforts des médecins». À Al Mawasi, Becky Platt, infirmière pédiatrique, a également souligné la douleur physique et la détresse psychologique qui affectent les enfants blessés à l’unité de santé d’urgence mise en place par Save the Children (SCI); selon Mme Platt, le chemin de la guérison est long et difficile en raison de la pénurie d’analgésiques efficaces, de traitements de rééducation et d’appareils tels que des fauteuils roulants ou des prothèses.

7.- Seuls 12 des 36 hôpitaux de Gaza sont aujourd’hui partiellement opérationnels, dont deux dans le nord de Gaza, trois à Gaza, deux à Deir al Balah, deux à Khan Younès et trois à Rafah. Selon la dernière analyse de l’OMS et du groupe sectoriel Santé, les établissements qui fonctionnent ont des capacités limitées, sont submergés de patients et font face à de graves pénuries de carburant, de médicaments, de fournitures et de personnel. Six hôpitaux de campagne sont également pleinement opérationnels, tous situés au sud de Wadi Gaza, et 70% des centres de soins de santé primaires de Gaza restent inutilisables.

Malgré les difficultés d’accès qui empêchent l’augmentation de l’aide dans le nord de la bande de Gaza, les partenaires du groupe sectoriel Santé font tout leur possible pour fournir des services de santé essentiels et rétablir les services minimums dans les installations endommagées, y compris l’hôpital Nasser.

Le 2 mai, l’International Medical Corps (IMC) a annoncé son intention de créer un deuxième hôpital de campagne, d’une capacité de 42 lits, près de Deir al Balah, afin de développer les services de santé primaire et spécialisée en matière de sexualité, de procréation, de santé maternelle et infantile. L’hôpital de campagne d’IMC à Al Mawasi, dans l’ouest de Rafah, a pris en charge 53 502 personnes depuis sa création en janvier, avec 1400 opérations chirurgicales réalisées au 24 avril. Le 2 mai, le Croissant-Rouge palestinien a également signalé que le premier bébé était né dans la maternité récemment rouverte de l’hôpital Al Amal à Khan Younès.

Des progrès progressifs dans l’accès à la nourriture, à l’eau et aux installations sanitaires ont été récemment observés à Gaza, mais des rapports font état de contraintes persistantes à l’entrée des fournitures médicales.

8.- Le 29 avril, l’Autorité palestinienne de l’eau (PWA) a annoncé la reprise du pompage de l’eau dans la conduite d’Al Muntar «Mekorot» après 200 jours d’arrêt complet et de réparations importantes. Pouvant potentiellement desservir environ 300 000 personnes dans la ville de Gaza, il s’agit de la troisième conduite d’eau israélienne à reprendre ses activités après sa fermeture en octobre 2023. La reprise du pompage de l’eau a jusqu’à présent bénéficié à quatre quartiers de la ville de Gaza, notamment Az Zaitoun, Ad Draraj, As Sabra et At Tuffah, a indiqué la municipalité de Gaza à OCHA le 2 mai. Selon le groupe sectoriel WASH, au 30 avril, la production d’eau à Gaza s’élevait à environ 77 000 mètres cubes par jour, ce qui représente environ 20% de la production totale d’eau de Gaza avant les récentes hostilités.

9.- Le 1er mai, le Programme alimentaire mondial (PAM) a indiqué qu’après des mois d’accès restreint, il construisait une capacité de stockage à Beit Hanoun. Le même jour, un convoi transportant des fournitures humanitaires en provenance de Jordanie, notamment des colis alimentaires, du sucre, du riz, des compléments alimentaires et du lait en poudre, est entré à Gaza par un transfert dos à dos au point de passage d’Erez, après avoir été inspecté par les autorités israéliennes uniquement au pont Allenby. Une fois à l’intérieur de Gaza, les camions locaux transportant l’aide ont été redirigés par des hommes armés vers des locaux de l’ONU non désignés pour le déchargement de l’aide. Tous les camions ont atteint les deux locaux des Nations unies désignés le 3 mai et la distribution est en cours. Se déclarant prêt à augmenter l’aide alimentaire au nord de Gaza, le PAM a souligné que «pour faire reculer six mois de famine, il faut des flux réguliers de vivres [avec] un accès sûr et durable […] au fil du temps».

10.- Le 2 mai, la Coastal Municipalities Water Utility (CMWU) a indiqué qu’elle avait réussi à connecter un générateur électrique de 250 kilovolts, fourni par les autorités égyptiennes, à la station d’épuration des eaux usées de Rafah. Cela a permis de réactiver le système de pompage de la station, empêchant le débordement des eaux usées vers la frontière égyptienne et évitant les risques sanitaires potentiels dans les zones peuplées de centaines de personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI) vivant près de la frontière avec l’Égypte. Dans le même ordre d’idées, la municipalité de Gaza a mis en garde le 2 mai contre le danger potentiel de l’accumulation d’eaux usées dans le bassin de collecte des eaux de pluie du quartier d’Ash Sheikh Radwan, dans le nord de la ville de Gaza, en raison du manque d’électricité, de l’approvisionnement limité en carburant et des dommages subis par les trois principales installations de pompage des eaux usées.

11.- Médecins Sans Frontières (MSF) a rapporté le 1er mai que les possibilités d’acheminer à Gaza des équipements biomédicaux, tels que des concentrateurs d’oxygène, restent très limitées. Les concentrateurs d’oxygène filtrent l’air ambiant pour fournir de l’oxygène purifié aux patients, et sont vitaux pour les enfants malnutris souffrant d’anémie, les nouveau-nés ayant des difficultés respiratoires et les patients blessés ayant subi de graves pertes de sang. Dans l’attente d’une approbation, MSF a également demandé l’envoi d’une série de fournitures médicales, allant des échographes aux défibrillateurs externes, en passant par les générateurs et les solutions intraveineuses de chlorure de sodium, essentielles pour réhydrater les patients et diluer les médicaments.

Selon MSF, ces demandes ont été rejetées à plusieurs reprises par les autorités israéliennes et, lorsqu’elles ont été approuvées, il s’est écoulé en moyenne un mois entre l’arrivée du fret humanitaire en Égypte et son entrée dans la bande de Gaza, les fournitures étant soumises à de multiples processus d’inspection. Si un seul article est rejeté au point de passage de Nitzana, «toute la cargaison est rejetée et renvoyée à Rafah, où le long processus recommence», ajoute MSF. Soulignant le manque de clarté et de cohérence dans ce qui est autorisé à entrer, MSF a noté que les mêmes articles sont parfois approuvés et parfois rejetés. En avril, les autorités israéliennes ont approuvé l’entrée de réfrigérateurs et de congélateurs pour stocker des médicaments sensibles à la température, que MSF avait demandés en novembre et qui devraient maintenant arriver à Gaza en mai.

12.- Entre le 27 avril et le 2 mai, 35% (8 sur 23) des missions d’aide humanitaire dans le nord de Gaza ont été facilitées par les autorités israéliennes, 52% (12) ont été entravées, deux missions ont été refusées et une mission a été annulée. Au cours de la même période, sur les 21 missions d’aide humanitaire dans les zones du sud de Gaza nécessitant une coordination, 66% (14) ont été facilitées par les autorités israéliennes, trois missions ont été entravées et quatre ont été refusées. Les entraves concernent principalement les temps d’attente prolongés avant le départ et les retards aux points de contrôle israéliens sur les routes de Salah Addin et d’Al Rasheed en direction du nord de la bande de Gaza et de retour vers le sud. Le 29 avril, une mission d’aide a dû attendre plus de neuf heures pour se rendre au nord et revenir à Rafah en raison des procédures de sécurité renforcées au poste de contrôle et des combats entre les groupes armés palestiniens et les forces israéliennes à proximité du poste de contrôle.

13.- Le 2 mai, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO) ont publié les résultats de leur deuxième évaluation initiale rapide des conséquences macroéconomiques et sociales de la guerre à Gaza à six mois, avec des projections pour les scénarios à sept, huit et neuf mois. En utilisant divers outils analytiques tels que des images satellites, l’évaluation prévoit que la perte de produit intérieur brut (PIB) pourrait atteindre 29% en 2024 si la guerre se prolonge jusqu’à neuf mois, avec des pertes totales de 7,6 milliards de dollars américains, en hausse par rapport aux 25,8% actuellement estimés par le Bureau central palestinien des statistiques (PCBS).

En outre, le taux de pauvreté dans l’État de Palestine devrait plus que doubler, atteignant 60,7% au neuvième mois et plongeant 1,86 million de personnes supplémentaires dans la pauvreté. Les quatre scénarios indiquent un recul de plus de 20 ans du développement humain à Gaza et de 13 à 16 ans en Cisjordanie, selon l’évaluation. Commentant ces résultats, Rola Dashti, secrétaire exécutive de la CESAO, a déclaré: «Cette évaluation prévoit que Gaza sera rendue totalement dépendante de l’aide extérieure à une échelle jamais vue depuis 1948, car elle sera privée d’une économie fonctionnelle, de tout moyen de production, d’autosuffisance, d’emploi ou de capacité commerciale». Selon l’administrateur du PNUD, Achim Steiner, ces pertes sans précédent «précipiteront une grave crise du développement qui mettra en péril l’avenir des générations futures». (3 mai 2024; traduction rédaction A l’Encontre)

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