«Si le Hamas ne réagit pas à l’agression d’Israël, les gens le critiquent et se plaignent de sa passivité. S’il réagit en tirant des roquettes Qassam, les gens craignent que la situation ne dégénère en guerre. Pauvre Hamas et pauvres de Gaza», dit un ami vivant à Gaza, résumant une nuit et un jour (8-9 août 2018) de Qassam et de frappes aériennes.
Il continua: «On ne peut pas pénétrer dans la mer à cause de toutes les eaux usées qui s’y déversent. Tout l’après-midi, les gens se rendent en masse à la plage, le seul endroit où il y a du vent. Ils fuient leurs maisons étouffantes, qui n’ont ni électricité ni air conditionné, et souvent sans eau courante. Hier [mercredi 8 août], les Israéliens ont bombardé le port et tout le monde – les pauvres – s’est enfui et s’est dispersé dans la panique.»
Personne à Gaza n’a dormi cette nuit-là, a-t-il dit au téléphone, et d’autres l’ont répété lors de différentes conversations téléphoniques. Ils avaient tous leurs propres expressions. «Toute la maison a été secouée par les explosions, les meubles ont oscillé et les ustensiles de cuisine ont tremblé», a déclaré une connaissance qui vit dans le nord de la bande de Gaza, où les obus d’Israël ont atterri tout près. Par chance, car ses petits-enfants qui vivent à Gaza lui rendaient visite.
«Les pauvres enfants, ils ont tremblé de peur toute la nuit. Ils étaient effrayés par les bombes israéliennes, par les roquettes Qassam – après tout, je ne peux pas faire la différence entre les différents types d’armes», a-t-il dit.
«Et puis la nouvelle est arrivée que quelqu’un de notre région, Ali Ghandour, a été tué par les bombardements israéliens dans une zone agricole. On dit qu’il appartenait aux brigades Izz ad-Din al-Qassam. Il a laissé derrière lui une femme et cinq enfants. Le problème n’est pas pour ceux qui meurent ou sont tués, mais pour ceux qui survivent. Comment se débrouillera-t-elle seule, comment leurs enfants vivront-ils sans père?»
«Une partie de l’opinion publique soutient et justifie tout ce que fait le Hamas. Certains s’y opposent et ont peur de la guerre. Mais personne ne veut la guerre. Ici, à Deir al-Balah, une jeune mère enceinte a été tuée ; il s’agissait d’Inas et de sa fille Bayan, qui avait un an et demi. Ici, nous n’avons pas d’abris proétgés, de sirènes d’avertissement ou d’Iron Dome» [Dôme d’acier: système de défense aérienne pour abattre les roquettes].
«Le plus grand problème que nous avons, c’est que nous vivons à une époque d’ignorance, en particulier l’ignorance parmi les jeunes. Ils étouffent. Avec l’électricité allumée pendant seulement trois ou quatre heures par jour, ils s’assoient à l’extérieur sans aucun emploi, fumant une cigarette ici et payant un shekel pour une cigarette là. Ils ne pensent pas. Ils ne savent pas comment et quoi penser. Tous ceux qui étaient mieux lotis financièrement sont partis pour la Cisjordanie ou sont partis outre-mer il y a longtemps. Les rues sont maintenant pleines de jeunes hommes marchant sur des béquilles. Ce sont les blessés de la Marche du retour.»
Revivre la guerre de 2014
Et puis, notre interlocuteur en est venu à son analyse politique, avec les voix de ses petites-filles jouant en arrière-plan. «C’est commode pour Israël que le Hamas soit au pouvoir, ils veulent que cela reste ainsi», a-t-il dit.
«Nous sommes une nation misérable, avec tout le monde qui nous maltraite. D’une part Israël, d’autre part le Hamas, avec [le président palestinien Mahmoud] Abbas comme troisième facteur. Si seulement ils ouvraient le poste de contrôle d’Erez [seul passage entre Israël et Gaza] et laissaient les gens travailler et gagner leur vie, tout le monde oublierait le Hamas.» En effet, mon interlocuteur a travaillé en Israël pendant 35 ans.
La voix d’une autre amie a immédiatement trahi le fait qu’elle n’avait pas dormi toute la nuit et qu’elle n’arrivait pas non plus à dormir pendant la journée. «Pendant les bombardements de mercredi soir, j’ai revécu les 55 jours de la guerre de 2014. Ayant appris de l’expérience, nous avons ouvert toutes les fenêtres pour que le verre ne se brise pas à cause des explosions; nous nous sommes éloignés des fenêtres pour que les opérateurs de drones ne décident pas que nous sommes des observateurs du Hamas et fassent tirer des missiles», a-t-elle dit.
«Tellement de gens que nous connaissions ont été tués de cette façon durant les guerres précédentes. Nous avons vérifié qu’aucun enfant curieux n’était allé sur le toit, ou qu’il y avait des pigeons qui avaient besoin d’être nourris, ou une femme en train de faire la lessive. Dans toutes les guerres précédentes et les préludes à la guerre, votre armée a tiré des missiles et tué des femmes et des enfants qui se trouvaient sur les toits.»
«La grande tour résidentielle près de chez nous a été bombardée pendant la dernière guerre. Elle s’est pliée et s’est effondrée devant nos yeux. Toute notre maison était remplie de poussière et de suie. Depuis lors, elle a été reconstruite. Mais hier soir, pendant le bombardement, toute la nuit, je l’ai vu se pencher et s’effondrer à nouveau. Maintenant, nous attendons de voir ce que le gouvernement israélien décide.»
«Nous ne comprenons rien. Les deux camps disent qu’ils ne veulent pas de guerre et les deux camps se bombardent l’un et l’autre comme dans une guerre, invitant à l’escalade. Les Israéliens ont tué la mère enceinte et sa fille. Nous avons appris qu’un missile a été tiré depuis la bande de Gaza sur Be’er Sheva. On entend le Hamas dire qu’ils ne veulent pas la guerre, mais c’est à nos dépens.»
Une source des forces de sécurité palestiniennes a indiqué à Amad, selon un site d’information lié aux partisans de Mohammed Dahlan du Fatah, que la roquette a été tirée par un groupe extrémiste salafiste après que d’autres groupes armés ont annoncé qu’ils cesseraient de répondre à l’agression israélienne.»
Selon le site web, le missile lancé sur Be’er Sheva était une action «suspecte» (laissant entendre que les personnes qui l’ont tiré étaient peut-être des collaborateurs israéliens) «qui contredit la stratégie de défense commune», ses auteurs étant associés à des «éléments non nationaux».
Selon la source, les forces de sécurité du Hamas, aidées par d’autres, tentent de localiser ce groupe suspect. Vrai ou non, c’est le reflet des espoirs des habitants de Gaza – qu’Israël comprenne que le Hamas n’est pas intéressé par une guerre.
«Les roquettes Qassam de mercredi étaient une réponse compréhensible à l’assassinat de deux combattants d’Izz al-Din al-Qassam. Le fait est qu’Israël s’attendait à la réponse et a admis que c’était une erreur de tirer sur eux et de les tuer. Les gens comprennent qu’il doit y avoir une réponse», a déclaré un résident de Rafah [sud de la bande de Gaza], espérant, comme d’autres, une issue positive de la réunion du gouvernement israélien.
C’est la preuve qu’Israël et la «rue» palestinienne, comme il la nommait, ne sont pas intéressés par une guerre. C’est ainsi que tout le monde se convainc que les bombardements et les attaques de missiles vont bientôt cesser, que le cauchemar sera court cette fois-ci.
Il est encore temps pour un mariage
Aux abords du sud de Gaza, dans le quartier de Tel al-Hawa, un mariage a eu lieu mercredi soir. Il a continué dans la rue jusqu’à 23 heures. Il y avait des chansons et de la danse, dit un autre ami. Une autre fête de mariage, réservée aux femmes, a eu lieu dans un hôtel sur la plage.
Le père du jeune marié a insisté pour que tout le monde continue à danser au moins jusqu’à 23 heures, en concluant par les mots: «Nous sommes étranges. Nous avons peur mais n’avons pas peur en même temps. Nous comprenons ce qui se passe, mais nous ne le comprenons pas vraiment. J’ai marché dans les rues et tout semblait normal. Les gens se promenaient, achetant moins en raison des sanctions imposées par Mahmoud Abbas, et parce que les gens épargnent avant les vacances. Mais personne ne s’attend à ce qu’il y ait une guerre. Tout le monde s’attend à ce que cela se termine aujourd’hui. C’est un fait, jusqu’à présent, seulement trois personnes ont été tuées.»
Comparé aux 60 ou 120 personnes tuées quotidiennement par l’armée israélienne dans les campagnes passées, c’est en effet «seulement» trois victimes.
Une jeune professeure d’université qui était rentrée plus tôt que prévu des préparatifs de la nouvelle année scolaire pensait que tout le monde rentrait tôt à la maison et que le trafic était léger. Elle avait l’impression que beaucoup de gens n’étaient pas allés travailler après le bombardement de la nuit.
«Quand les gens sortent, ils restent près de chez eux; personne ne s’aventure au loin», dit-elle. «C’est une situation étrange. D’abord ils disent qu’il y a un répit, puis on est au bord de la guerre. Nous ne comprenons rien.»
Sa nièce de 5 ans a entendu l’explosion d’une bombe près du port et a eu peur. «Ce sont des feux d’artifice», dit le père en essayant de l’apaiser. «Ce n’est pas possible, lui dit-elle, personne n’a peur des feux d’artifice.»
Une guerre à ce moment-là trouverait Gaza plus battue et affaiblie que lors des trois guerres précédentes. En plus de l’appauvrissement, exacerbé cette année par la réduction des salaires des employés de l’Autorité palestinienne, Israël interdit l’entrée de carburant à Gaza depuis le 2 août 2018. Les réserves s’amenuisent puisque le flux s’est également arrêté entre le 16 et le 24 juillet, en réponse aux cerfs-volants incendiaires.
La grave pénurie de carburant menace le fonctionnement des hôpitaux, qui sont plus que remplis par des personnes blessées lors de la Marche du Retour. Les hôpitaux souffrent d’une pénurie de médicaments et de fournitures diverses.
La pénurie de carburant a obligé certaines municipalités à réduire le traitement des eaux usées et l’élimination des déchets. Mercredi, les organisations de santé et les agences de santé publique et de l’eau ont averti que pour assurer le fonctionnement des hôpitaux centraux et des services de santé publique et de l’eau jusqu’à la fin de la semaine, au moins 60’000 litres de carburant, en urgence, doivent être fournis.
«Le carburant est là, en attente de l’approbation des autorités israéliennes pour qu’il puisse être transporté», ont déclaré les organisations dans un communiqué.
En l’absence d’un approvisionnement régulier et adéquat en électricité, ce combustible d’urgence ira aux générateurs des hôpitaux et à l’exploitation des installations de traitement de l’eau et des eaux usées. Si cet approvisionnement d’urgence n’est pas assuré immédiatement, 1,2 million de personnes seront menacées par le débordement des eaux usées autour des 41 stations de pompage d’eaux usées disséminées à Gaza. (Article publié dans le quotidien Haaretz, en date du 10 août 2018; traduction A l’Encontre)
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