Par Olivier Chartrain
C’est une victoire partielle, mais une victoire importante: vendredi 10 août, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendu une partie de sa liberté à Cédric Herrou, l’agriculteur de la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes) devenu un symbole de l’aide citoyenne aux migrant·e·s. Il subissait depuis le 23 juillet 2017 un contrôle judiciaire particulièrement contraignant, après avoir été arrêté en gare de Cannes en compagnie d’un groupe de 150 réfugiés qu’il accompagnait en train vers Marseille, où ils devaient faire enregistrer leur demande d’asile.
Cédric Herrou avait déjà déposé fin 2017 une demande, rejetée, de levée de cette mesure. Cette fois son avocat, Me Bruno Rebstock, a précisé qu’il avait pu s’appuyer sur la décision du Conseil constitutionnel qui a consacré le «principe de fraternité» dans une décision du 6 juillet. A l’origine de cet arrêt, Cédric Herrou et d’autres citoyens sanctionnés pour les mêmes raisons, soutenus par une douzaine d’associations, dont la Ligue des droits de l’homme, attaquaient le Code du séjour des étrangers. Celui-ci punit de cinq ans d’emprisonnement «le fait d’aider directement ou indirectement un étranger à entrer, circuler ou séjourner irrégulièrement en France». Le Conseil constitutionnel avait estimé que «tout acte d’aide apportée dans un but humanitaire» ne pouvait pas faire l’objet de poursuites.
«On criminalise les personnes qui aident les migrants»
Concrètement, Cédric Herrou reste contraint de pointer à la gendarmerie tous les quinze jours. En revanche il peut à nouveau fréquenter les gares et prendre le train, ce qui lui était interdit. Surtout, il récupère son passeport et le droit de sortie du territoire qui va avec, mais sous conditions restrictives puisqu’il doit en informer le juge. Restriction dans la restriction, il ne peut se rendre en Italie que pour motifs professionnels. C’est que, dans cette région frontalière et montagneuse, un passage de l’autre côté de la frontière est parfois le plus court chemin pour que ce producteur d’olives (biologiques) et de volailles puisse aller livrer ses produits de Breil-sur-Roya à Nice… C’est un de ces détours, en janvier dernier, qui lui avait valu d’être brièvement interpellé.
Celui qui avait été élu «Azuréen de l’année» 2016 par les lecteurs du quotidien régional Nice-Matin s’est déclaré «soulagé personnellement»: «Ma vie sera plus simple et cela signifie aussi que l’on ne me considère pas comme un délinquant ou quelqu’un de dangereux.» Mais il n’a pas manqué de dénoncer que, avec des mesures comme celle dont il a fait l’objet, «on criminalise les personnes qui aident les migrants alors que nous sommes de simples citoyens qui réagissent aux défaillances des Etats sur le sujet» des réfugiés.
Réaction similaire du président de la Ligue des droits de l’homme, Malik Salemkour, pour qui Cédric Herrou «n’est toujours pas un citoyen libre. Il reste un citoyen sous surveillance, considéré comme un délinquant alors que, ce qu’il a fait, c’est un acte militant. Cela dit, il faut tout de même retenir cette décision comme une reconnaissance du principe de fraternité et une conséquence de la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet». Mais Malik Salemkour insiste sur la «politique irresponsable, inefficace et dangereuse» qui conduit à sanctionner les citoyens solidaires de la Roya: «On est face aux conséquences du refus de la France et de l’Union européenne d’assumer leurs responsabilités dans l’accueil des réfugiés, alors que l’arrivée de ces derniers résulte de notre politique extérieure, en Libye, en Afghanistan, en Syrie… Au passage, cette irresponsabilité de la France et de l’UE n’est pas non plus pour rien dans l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en Italie.»
Reste que Cédric Herrou vit toujours sous la surveillance constante des forces de l’ordre, même s’il n’y a plus une quarantaine de gendarmes mobiles présents en permanence autour de son exploitation, comme ce fut le cas pendant un mois et demi cette année. Il a d’ailleurs fait part de son intention de porter plainte contre cette présence, constat d’huissier à l’appui. Le principe de fraternité est à peine né qu’il faut déjà se battre pour le défendre. (Article publié dans le quotidien L’Humanité daté du 13 août 2018)
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