Dossier. 1) Gaza: une étude révèle des pertes humaines – 100’000 – et une baisse de l’espérance de vie sans précédent

Gaza

Par le Max-Planck-Institut

Les conflits armés et l’instabilité politique ont des répercussions considérables sur la vie des populations. Une récente étude menée par le MPIDR et le CED montre à quel point celles-ci peuvent être dramatiques. Les chercheurs ont développé une approche pour analyser l’impact de la guerre sur la mortalité, en intégrant et en diffusant la grande incertitude qui entoure les données disponibles sur le conflit actuel à Gaza.

Les données déformées et incomplètes provenant des zones de conflit peuvent rendre difficile l’estimation précise de la mortalité. Des estimations fiables, qui intègrent l’incertitude inhérente aux situations de conflit, sont essentielles pour évaluer et communiquer les effets des conflits. Ana C. Gómez-Ugarte, Irena Chen et leurs collègues ont basé leurs estimations sur des données provenant de plusieurs sources publiques, notamment le ministère de la Santé de Gaza (GMoH), le Centre d’information israélien pour les droits de l’homme dans les territoires occupés (B’Tselem), le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), le Groupe interinstitutions des Nations unies pour l’estimation de la mortalité infantile (UN-IGME) et le Bureau central palestinien des statistiques (PCBS).

Prise en compte des erreurs de mesure

«La tension entre les limites des données et la demande d’indicateurs significatifs a été le moteur de cette étude. Nous démontrons que ces défis ne sont pas nécessairement incompatibles», explique Gómez-Ugarte. «Notre objectif est d’estimer l’espérance de vie et les pertes d’espérance de vie causées par le conflit à Gaza en Palestine d’une manière qui tienne compte des données incomplètes ou éparses.»

Dans leur étude méthodologique, l’équipe de recherche présente un modèle qui tient explicitement compte de deux erreurs de mesure particulières lors de l’estimation de la mortalité.

  • L’incertitude concernant le nombre total de décès, qui est probablement sous-estimé par les sources officielles ; et
  • l’incertitude concernant l’âge et le sexe des victimes, qui ne sont pas pris en compte dans le décompte global des décès.
Plus de 100’000 personnes tuées dans la guerre de Gaza

À l’aide d’une approche de modélisation pseudo-bayésienne [calculer et mettre à jour les probabilités après l’obtention de nouvelles données], l’étude a estimé que 78’318 (70’614-87’504) personnes ont été tuées à Gaza entre le 7 octobre 2023 et la fin de 2024, conséquence directe du conflit. Dans une analyse ultérieure menée après la publication, les auteurs ont constaté qu’au 6 octobre 2025, le nombre de décès liés au conflit à Gaza avait probablement dépassé les 100’000.

«En raison de cette mortalité sans précédent, l’espérance de vie à Gaza a chuté de 44% en 2023 et de 47% en 2024 par rapport à ce qu’elle aurait été sans la guerre, ce qui équivaut à des pertes de 34,4 et 36,4 ans, respectivement», explique Ana C. Gómez-Ugarte. L’étude a également révélé que la répartition par âge et par sexe des décès violents à Gaza entre le 7 octobre 2023 et le 31 décembre 2024 ressemblait étroitement aux schémas démographiques observés dans plusieurs génocides documentés par le Groupe interinstitutions des Nations unies pour l’estimation de la mortalité infantile (UN IGME). Le génocide étant un terme juridique très spécifique, certains critères supplémentaires doivent être remplis pour qu’il soit applicable. Ce n’était pas l’objet de cette étude.

Les scientifiques proposent une approche flexible pour estimer la mortalité liée aux conflits. Les progrès réalisés dans le domaine de la modélisation statistique permettent de tenir compte en partie du «brouillard statistique de la guerre» lors de l’estimation des taux de mortalité. «Nos estimations de l’impact de la guerre sur l’espérance de vie à Gaza et en Palestine sont significatives, mais ne représentent probablement qu’une limite inférieure du fardeau réel de la mortalité. Notre analyse se concentre exclusivement sur les décès directs liés au conflit. Les effets indirects de la guerre, qui sont souvent plus importants et plus durables, ne sont pas quantifiés dans nos considérations», explique Ana C. Gómez-Ugarte.

Il est important et nécessaire de mesurer les taux de mortalité dans les situations de conflit. «Cependant, l’urgence ne doit pas être une excuse pour un manque de rigueur méthodologique. Nous encourageons les chercheurs qui travaillent sur la démographie des conflits à intégrer directement les incertitudes dans les estimations de la mortalité à l’aide d’outils statistiques», déclare le chercheur du MPIDR. (Max-Planck-Gesellschaft, 25 novembre; traduction rédaction A l’Encontre)

[L’espérance de vie à la naissance est indiquée au niveau national (en jaune) et régional, en utilisant les distributions par âge du ministère de la Santé (GMoH) pour la bande de Gaza (en rouge) et celles de B’Tselem pour la Cisjordanie (en bleu) pour 2023 et 2024. Les formes (triangle: Cisjordanie, rond: Palestine et carré: bande de Gaza) indiquent l’espérance de vie observée. Les scénarios contrefactuels de l’espérance de vie sans décès liés au conflit entre 2012 et 2024 sont indiqués par les lignes. Pour 2023 et 2024, les formes représentent la valeur moyenne et les intervalles indiquent les intervalles de crédibilité à 95%. © MPIDR]

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2) «MSF dénonce de nouvelles scènes sanglantes à Gaza» (21 novembre 2025)

Médecins Sans Frontières (MSF) dénonce une nouvelle fois les effusions de sang à Gaza, en Palestine, alors que nos équipes continuent de soigner des Palestiniens gravement blessés par les frappes aériennes et les quadricoptères israéliens le 19 novembre, qui ont fait des dizaines de morts et des dizaines d’autres blessés. Depuis mercredi, nos équipes ont soigné des femmes et des enfants présentant des fractures ouvertes et des blessures par balle aux membres et à la tête.

«Vers 11 heures, nous avons entendu des coups de feu provenant de drones. Peu après, nous avons reçu deux blessés», raconte Zaher, infirmier MSF travaillant dans une clinique mobile à Gaza. «La première victime était une femme blessée à la jambe. Un peu plus tard, une fillette de neuf ans est arrivée avec une blessure au visage causée par des tirs provenant des drones.»

Nos équipes médicales travaillant dans des cliniques mobiles à Kamal Adwan, dans la ville de Gaza, ainsi qu’à l’hôpital Al-Shifa, également dans la ville de Gaza, et à l’hôpital Nasser à Khan Younès, ont soigné au moins six patients, dont un adolescent de 15 ans et un homme de 71 ans, blessés par des frappes aériennes et des balles israéliennes. De nombreuses autres personnes ont été soignées par le personnel du ministère de la Santé dans ces établissements, ainsi que par le personnel de l’hôpital Al-Ahli de Gaza, également soutenu par MSF.

«J’ai entendu le bruit d’un missile, puis d’un deuxième, et ensuite j’ai perdu connaissance », raconte Mohammed Malaka, un patient de l’hôpital Al-Shifa. « J’ai ouvert les yeux et j’ai vu mon père allongé sur le sol, ainsi que mes trois frères, couverts de sang et de poussière.»

«J’entendais des gens crier partout… Les tentes étaient réduites en cendres et il y avait des gens allongés par terre partout», raconte-t-il.

Il s’agit de la dernière vague de violence israélienne dans une série d’attaques contre les Palestiniens à Gaza qui ont fait plus de 300 morts et plus de 760 blessés depuis le 11 octobre, selon le ministère de la Santé. Après deux ans de guerre et d’horreurs incessantes, les Palestiniens sont désormais déplacés, épuisés et confrontés à un hiver rigoureux sans produits de première nécessité [1], au milieu des attaques israéliennes intermittentes dans toute la bande de Gaza. Nous continuons à appeler à la protection de tous les civils, du personnel et des structures de santé. (Traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Dans Le Temps du 21 novembre 2025, Laureline Lasserre, la responsable des affaires humanitaires pour Médecins sans frontières, «raconte cet enfer exigu, qu’elle parcourt pour MSF»: «A Gaza, on continue de mourir en masse, mais de causes plus silencieuses que les bombes. Toute guerre tue indirectement aussi par la dégradation de l’accès à l’eau, à la nourriture, à un abri, à des soins. Or à Gaza, ces privations sont systématiques et délibérées. C’est un élément constitutif du génocide dont les Palestiniens sont victimes. Et ils ne peuvent même pas s’échapper.» A la question «On a beaucoup parlé de la faim. L’accès de l’eau est-il aussi un problème?», Laureline Lasserre répond: «Oui, c’est un enjeu majeur. Pour produire de l’eau propre à Gaza, il faut la prendre de la mer et la désaliniser. Or Israël refuse de laisser entrer les générateurs, le fuel et les produits chimiques qui permettraient de le faire. Les jerrycans non plus ne sont pas autorisés. Résultat, lorsque les gens trouvent de l’eau propre, ils la transportent dans des ustensiles sales. Il y a certes des nappes phréatiques, mais elles sont pleines de matière fécale et d’E. coli [bactérie intestinale pathogène, ndlr]. Israël empêchant l’entrée dans Gaza de latrines, les milliers de familles réfugiées dans des tentes n’ont pas d’autre choix que de creuser un trou au sol pour faire leurs besoins. A Gaza aujourd’hui, il y a des égouts ouverts partout. L’odeur est terrible et les pluies, diluviennes en hiver, font déborder les immondices. C’est le troisième hiver dans ces conditions, on le savait et on n’en voit pas la fin. L’enfer, je n’ai pas d’autre mot.» (Réd.)

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3) «L’effondrement de l’économie dans le territoire palestinien occupé»

Ampleur des destructions.

Cnuced, 25 novembre 2025 (Genève, Suisse)

Selon un nouveau rapport de la CNUCED, l’opération militaire qui se prolonge et les restrictions imposées de longue date ont fait plonger l’économie du Territoire palestinien occupé dans la récession la plus grave jamais enregistrée, réduisant à néant des décennies de progrès en matière de développement et aggravant la fragilité budgétaire et sociale.

Dans son rapport intitulé «Évolution de l’économie du Territoire palestinien occupé», la CNUCED a constaté que deux années d’opérations militaires et de restrictions avaient provoqué un effondrement sans précédent de l’économie palestinienne. Cette situation s’inscrit dans un contexte de fragilité économique et institutionnelle systémique et entraîne de graves conséquences sociales et environnementales.

Les dégâts considérables infligés aux infrastructures, aux moyens de production et aux services publics ont réduit à néant des décennies de progrès socioéconomique dans le Territoire palestinien occupé. La crise économique qui en a résulté figure parmi les 10 pires que le monde a connues depuis 1960; la situation à Gaza est unique, puisqu’il s’agit de la crise économique la plus grave jamais enregistrée.

L’effondrement des recettes et la rétention des transferts fiscaux par le Gouvernement israélien ont fortement limité la capacité du Gouvernement palestinien à maintenir les services publics essentiels et à investir dans le redressement. Cette situation intervient à un moment critique, alors que des investissements massifs sont nécessaires pour reconstruire les infrastructures en ruine et faire face à l’aggravation des crises environnementale et socioéconomique. L’intensification du conflit a fait passer l’économie du Territoire palestinien occupé d’un état de déclin prolongé à une phase d’effondrement quasi total et a eu des répercussions profondes dans tous les domaines (économique, social, humanitaire et environnemental). À Gaza, l’ensemble de la population a plongé dans une pauvreté multidimensionnelle. La Cisjordanie quant à elle connaît sa récession la plus grave jamais enregistrée, en raison de l’insécurité accrue, des restrictions de circulation et d’accès et de la perte de possibilités dans tous les secteurs de l’économie.

En 2024, le PIB palestinien est retombé à son niveau de 2010, et le PIB par habitant à celui de 2003. Selon la CNUCED, en moins de deux ans, ce sont ainsi vingt-deux années de développement qui ont été réduites à néant.

Effondrement économique à Gaza

Depuis près de vingt ans, les 2,3 millions de Palestiniens de Gaza sont confrontés à de lourdes contraintes en matière de commerce, de circulation et d’accès aux ressources dans une zone de 365 kilomètres carrés, l’une des plus densément peuplées au monde. Les restrictions à l’entrée de marchandises, d’intrants de production, d’équipements et de biens technologiques, ainsi que les opérations militaires récurrentes, sont à l’origine du démantèlement de la base productive de Gaza et d’une dépendance quasi totale à l’égard de l’aide extérieure.

En 2024, le PIB de Gaza s’est contracté de 83 % par rapport à 2023, après déjà une forte baisse l’année précédente. Sur ces deux années, le recul cumulé a été de 87 %, le PIB s’établissant à 362 millions de dollars. Le PIB par habitant a été ramené à 161 dollars, l’un des plus bas au monde. Il ne représentait plus que 4,6 % du PIB par habitant de la Cisjordanie, alors que leurs montants étaient quasiment égaux en 1994.

La destruction massive des infrastructures, la perte de capacité productive et les déplacements de population ont causé des dommages durables au capital humain. Les perturbations du système éducatif et des services essentiels auront des effets à long terme sur les moyens de subsistance et sur les fondements mêmes de la capacité de résilience de la société.

Les dégâts considérables subis par les logements, les services publics et les infrastructures essentielles ont perturbé l’accès à la nourriture, à l’eau, aux soins de santé et aux services publics, ce qui a engendré une situation d’urgence humanitaire et économique aiguë. L’ampleur des dégâts complique grandement la reprise économique et le rétablissement des conditions de vie de base sans une aide internationale importante.

Même si cette aide était substantielle, il faudrait peut-être des décennies pour que le PIB retrouve ses niveaux d’avant octobre 2023. Pour qu’un relèvement significatif soit possible ? notamment l’accès aux soins de santé, à l’éducation, à l’eau potable et aux infrastructures essentielles ?, la communauté internationale doit garantir la pérennité du cessez-le-feu conclu en octobre 2025, tout en sachant que l’acheminement de l’aide humanitaire est urgent et ne peut attendre.

Forte contraction économique en Cisjordanie

L’expansion des colonies et les restrictions de circulation continuent de morceler la Cisjordanie, de perturber l’économie, le commerce et l’investissement, et de réduire l’accès à la terre, aux ressources et aux marchés. Ces restrictions touchent plus de 3,3 millions de personnes, renchérissent les coûts de transport, allongent les temps de déplacement et perturbent l’accès aux marchés, à l’emploi, à l’éducation et aux services de santé.

Depuis la fin de l’année 2023, les restrictions de déplacement se sont intensifiées, ce qui a encore affecté davantage le commerce et la production. Le PIB s’est contracté de 17 % et le PIB par habitant de 18,8 %, revenant à des niveaux enregistrés pour la dernière fois respectivement en 2014 et 2008.

Pressions budgétaires et contraintes institutionnelles

La situation budgétaire s’est fortement détériorée après octobre 2023, faisant de 2024 l’une des années les plus difficiles pour le Gouvernement palestinien. L’insuffisance des recettes, la rétention des transferts fiscaux, la contraction de l’économie et la diminution de l’aide extérieure ont aggravé la crise. Les pressions budgétaires ont persisté en 2025 et elles mettent à l’épreuve la capacité du Gouvernement à maintenir les services essentiels et la stabilité macroéconomique.

Entre janvier 2019 et avril 2025, le montant cumulatif des prélèvements fiscaux et des recettes retenues a été supérieur à 1,76 milliard, soit 12,8 % du PIB de 2024 et 44 % du montant total des recettes nettes. Combinée à l’effritement de la base d’imposition et à une forte diminution de l’aide reçue des donateurs, cette situation a fortement limité la capacité du Gouvernement palestinien à s’acquitter de ses obligations salariales, à maintenir les services publics essentiels et à fournir des services de base. La CNUCED souligne que pour stabiliser les finances publiques, préserver les capacités institutionnelles et favoriser le relèvement et la reconstruction, la communauté internationale doit en urgence verser une aide financière sur la durée.

70 milliards de dollars pour reconstruire Gaza

Le coût estimé de la reconstruction et du relèvement de Gaza dépasse les 70 milliards de dollars, ce qui souligne l’ampleur des investissements nécessaires pour reconstruire les infrastructures et rétablir les moyens de subsistance.

Dans ce rapport, la CNUCED appelle à une intervention immédiate et énergique de la communauté internationale pour mettre fin à la chute libre de l’économie, résoudre la crise humanitaire et jeter les bases d’une paix et d’un développement durables. Elle appelle également la mise en œuvre d’un plan de redressement d’ensemble pour le Territoire palestinien occupé qui associe une aide internationale coordonnée, le rétablissement des transferts fiscaux et des mesures visant à alléger les contraintes qui pèsent sur le commerce, les déplacements et l’investissement.

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4) «Israël a vidé la moitié de Gaza. Quelle est la prochaine étape?»

Screenshot

Par +972 Magazine

Le 24 novembre, le magazine +972 (israélien et palestinien) mettait en ligne un long entretien avec un analyste et militant de Gaza, Muhammad Shehada. Nous publions ici l’introduction à cet échange, comme premier élément du dossier mis en ligne ce 26 novembre. (Réd. A l’Encontre)

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Six semaines après le cessez-le-feu à Gaza, la majorité de la population de l’enclave continuent de subir les mêmes conditions qui ont marqué les deux dernières années de conflit. Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, les attaques incessantes d’Israël ont tué plus de 340 Palestiniens et blessé plus de 900 autres. La famine, les maladies, la guerre psychologique et les bombardements répétés continuent de marquer le quotidien, désormais aggravé par l’arrivée de l’hiver.

Si Israël a réduit l’intensité de son offensive génocidaire, il ne l’a pas pour autant arrêtée; au contraire, sa tactique est passée d’un bombardement incessant à une stratégie de contrôle plus bureaucratique et à long terme. Au cœur de cette approche se trouve la «ligne jaune», une frontière qui divise Gaza en deux zones distinctes.

Près de 60% de la bande de Gaza reste sous occupation israélienne: il s’agit de la zone orientale ou «verte», en expansion, dans laquelle les forces israéliennes rasent systématiquement toutes les infrastructures restantes. La partie occidentale de la ligne, ou zone «rouge», qui représente environ 40% de la superficie de l’enclave, est celle où se concentre la quasi-totalité de la population gazaouie et où le Hamas exerce encore un certain contrôle.

Bien que présentée comme un signe du retrait éventuel d’Israël, la ligne jaune semble préparer le terrain pour une forme de domination plus profonde et plus permanente qui pourrait permettre une future colonisation israélienne. Et alors que les manœuvres diplomatiques se multiplient et que les acteurs extérieurs se disputent pour remodeler Gaza selon leurs propres intérêts, la situation sur le terrain n’en devient que plus opaque, et l’avenir de la vie civile et de la gouvernance reste profondément incertain. (Traduction rédaction A l’Encontre)

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5) Des groupes israéliens de défense des droits humains déclarent à l’ONU qu’Israël a recouru davantage à la torture pendant la guerre à Gaza

Centre de détention de Sde Teiman. (Credit: Breaking the Silence)

Par Nir Hasson et Matan Golan

Le rapport soumis à l’ONU indique que les détenus ont reçu des soins médicaux alors qu’ils étaient menottés et les yeux bandés, et qu’ils ont été contraints d’utiliser des couches pour faire leurs besoins. Il précise également que les détenus ont été affamés, avec «un régime officiel d’environ 1000 calories par jour».

Depuis le 7 octobre 2023, Israël a intensifié ses violations de la Convention des Nations unies contre la torture, selon un rapport détaillé soumis le mois dernier par des organisations israéliennes de défense des droits humains au Comité des Nations unies contre la torture.

Ce rapport, déposé dans le cadre de l’examen périodique des États parties à la convention par le comité, a été rédigé par le Centre juridique Adalah, le Comité public contre la torture en Israël, Parents Against Child Detention, HaMoked: Centre pour la défense de l’individu et Physicians for Human Rights–Israel.

«Israël a supprimé les garanties existantes et recourt désormais à la torture tout au long du processus de détention – de l’arrestation à l’emprisonnement – en ciblant les Palestiniens sous occupation et les citoyens palestiniens; des hauts fonctionnaires sanctionnent ces abus tandis que les mécanismes judiciaires et administratifs ne réagissent pas», indique le rapport.

Selon ce rapport, Israël justifie la détention des Palestiniens en s’appuyant sur des dispositifs juridiques qui ne sont pas conformes au droit international. Le principal outil utilisé est la qualification des Palestiniens comme «combattants illégaux».

Cette désignation n’est pas reconnue par le droit international, mais elle permet à Israël de détenir des Palestiniens pendant de longues périodes sans procès, tout en leur refusant les droits accordés aux prisonniers de guerre.

Tout au long de la guerre, Israël a détenu plus de 4000 habitants de Gaza en vertu de cette qualification et a de même largement recouru à la détention administrative [c’est-à-dire l’arrestation et la détention d’une  personne par l’autorité militaire, sans inculpation ni jugement, pour une durée inconnue et renouvelable indéfiniment, mesure non applicable aux citoyens juifs]. Avant la guerre, les prisons israéliennes comptaient environ 1100 détenus administratifs palestiniens.

En septembre 2025, ce nombre était passé à 3500. La durée moyenne de la détention administrative a doublé par rapport à la période d’avant-guerre.

Les détenus de Gaza étaient incarcérés dans des centres de détention militaires dans des conditions extrêmement difficiles. «Pendant de longues périodes, les détenus étaient confinés dans des enclos à ciel ouvert, exposés aux intempéries, enchaînés et les yeux bandés 24 heures sur 24, contraints de rester à genoux pendant la majeure partie de la journée et obligés de dormir à même le sol», indique le rapport.

«Ils ont enduré des conditions d’hygiène inadéquates, un manque de soins médicaux et des sévices continus. Ces conditions difficiles persistent», poursuit le rapport.

Le rapport note également que les détenus recevaient des soins médicaux alors qu’ils étaient enchaînés et les yeux bandés, et qu’ils étaient contraints d’utiliser des couches pour faire leurs besoins. Il ajoute que la politique alimentaire dans les centres de détention équivalait à une sous-nutrition, avec «un régime officiel d’environ 1000 calories par jour et à peine 40 grammes de protéines».

Les auteurs concluent que les témoignages «font état d’abus graves à chaque étape, notamment: l’utilisation de matraques; le recours à de l’eau bouillante, provoquant de graves brûlures; les attaques de chiens contre les détenus; l’utilisation d’une «salle disco» recourant à une manipulation sensorielle intense avec une musique douloureusement forte; les viols avec des objets».

Selon ce rapport, les établissements pénitentiaires israéliens ont également eu recours à des politiques de privation alimentaire et d’abus systématiques, notamment «coups de poing, coups de pied, coups de matraque, entraves douloureuses, attaques de chiens, menaces et urination sur les détenus, ainsi que des actes de violence sexuelle et des viols avec des objets».

En conséquence de ces pratiques, le rapport fait état d’au moins 94 décès dans les centres de détention israéliens depuis le début de la guerre, ainsi que de dizaines de cas de dommages irréversibles pour la santé.

Selon le rapport, le nombre de plaintes pour torture pendant les interrogatoires a fortement augmenté, passant de 66 au cours des deux décennies précédant la guerre à 238 au cours des deux dernières années. Le rapport note également le décès de trois détenus pendant les interrogatoires du service de sécurité Shin Bet.

Le Shin Bet ne reconnaît pas l’utilisation de la torture, mais admet employer des «méthodes d’interrogatoire spéciales», qui comprennent la privation de sommeil, l’utilisation de menottes douloureuses, les vibrations, l’exposition au froid, la musique forte, les interrogatoires dans le plus simple appareil et les menaces visant les membres de la famille.

Malgré le nombre important de plaintes et d’abus documentés, le nombre d’enquêtes ouvertes reste négligeable. Sur les 238 plaintes déposées concernant des actes de torture commis par le Shin Bet, les services de sécurité n’ont recommandé l’ouverture d’une enquête que dans deux cas, et même dans ces deux cas, aucune poursuite n’a finalement été prononcée.

Au sein de l’armée israélienne, 58 enquêtes ont été ouvertes contre des soldats pour leur traitement des détenus, dont 44 concernaient des décès de détenus. Seules deux enquêtes sur des abus ont abouti à des poursuites.

L’une d’elles concernait l’affaire largement médiatisée contre les cinq soldats qui servaient au centre de détention de Sde Teiman [situé dans le Néguev]. Dans l’autre affaire, un soldat a été reconnu coupable d’abus et condamné à sept mois de prison.

Au sein du service pénitentiaire israélien, 36 enquêtes ont été ouvertes pour abus sur des détenus, dont six ont abouti à des inculpations. Aucune de ces enquêtes ne concernait des cas de décès ou de violences sexuelles.

Selon le rapport, l’état déplorable du système de détention a été effectivement approuvé par la Cour suprême. Sur les 20 requêtes soumises à la Haute Cour de justice concernant les conditions de détention, 18 ont été rejetées, principalement pour des raisons de procédure ou après que les juges ont accepté sans contestation la position de l’État.

Deux requêtes ont été acceptées, mais seulement après de longs délais. Dans la première, les juges ont ordonné la fermeture du centre de détention de Sde Teiman; dans la seconde, concernant la politique alimentaire, la requête a été partiellement acceptée après 17 mois.

Le rapport indique en outre que les établissements pénitentiaires israéliens utilisent le refus de soins médicaux comme méthode de torture, citant, entre autres exemples, les épidémies de gale qui touchent des milliers de détenus. Il note également que le sort de centaines de détenus de Gaza reste inconnu.

En outre, le rapport indique que les détenus pour raisons de sécurité sont parfois maintenus en isolement total et se voient refuser de rencontrer des avocats, des représentants du Croix-Rouge, des journalistes ou des membres de leur famille.

Il y a environ deux semaines, le Comité des Nations unies contre la torture a tenu une session sur cette question. Des représentants du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Justice et des services pénitentiaires ont comparu devant le comité et ont rejeté les allégations selon lesquelles Israël aurait violé la convention ou le droit international dans son traitement des détenus.

Les représentants israéliens ont décrit les conditions dans les centres de détention et les droits accordés aux détenus, arguant que le bureau du procureur général et le système judiciaire israélien supervisent ce qui se passe dans les prisons et les centres de détention. (Article publié par le quotidien Haaretz le 26 novembre 2025; traduction rédaction A l’Encontre)

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