Par Piotr Smolar
Sa jambe droite repose sur quatre coussins empilés. Elle a été trouée de balles. Wasin, 27 ans, ne sait pas encore s’il remarchera. Le jeune homme va bientôt sortir de l’hôpital de Ramallah. Membre de la garde présidentielle, il est l’une des victimes des règlements de comptes entre l’Autorité palestinienne et les islamistes du Hamas. Ces affrontements avaient repris cet été en arrière-plan de la guerre contre Israël, qui a coûté la vie à près de 2100 personnes dans la bande de Gaza.
La prudence qui a accueilli, jeudi 25 septembre, l’annonce au Caire d’un accord entre les deux parties n’est donc guère étonnante. Le Fatah et le Hamas ont décidé de redonner une chance au gouvernement d’union, entré en fonction début juin sans avoir le temps d’exister. Un accord conclu à la veille de l’intervention du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à la tribune des Nations Unies.
Une réconciliation virtuelle
Mais la réconciliation demeure virtuelle. Sept années de luttes fratricides ne peuvent être balayées par une conjonction ponctuelle d’intérêts. L’histoire de Wasin l’illustre bien. Il est né à Gaza. Depuis des années, il touchait un salaire sans rien faire. Membre des services dépendant du Fatah, il était suspect aux yeux du Hamas. Au point, cet été, d’être interdit de combat contre Israël. « Les types du Hamas nous ont dit qu’on n’avait pas le droit de quitter notre domicile, se souvient-il. Ils nous ont prévenus qu’ils nous surveillaient. »
Début août, alors que la guerre fait rage, Wasin raccompagne un ami. Trois hommes masqués surgissent et ouvrent le feu. « Ils ont visé nos jambes. Mon ami a été transféré à Amman, avec 22 balles dans le corps. » Selon Wasin, « les types du Hamas étaient très remontés contre Ramallah, à cause de la coordination sécuritaire avec Israël. Pour le Hamas, la définition d’un collabo est simple : il suffit d’appeler Ramallah au téléphone ».
Aucun relevé précis de morts ou de blessés ne peut être avancé à Gaza, parmi des individus assimilés à l’Autorité palestinienne. En réponse, en Cisjordanie, des dizaines de militants du Hamas ont été arrêtées, sans explication. Pour nous parler, Ayman Abu Iram, 27 ans, doit s’éloigner de l’épicerie où il travaille, dans un petit village au sud de Ramallah. Les hommes de la Sécurité préventive l’y ont interpellé, le 6 septembre. Pendant 40 heures, il a été interrogé sur sa participation aux manifestations de l’été, en solidarité avec le Hamas. Cette fois, dit-il, les policiers « n’ont pas cogné ».
Ancien président du conseil étudiant de l’université de Birzeit, le jeune homme a eu une scolarité heurtée. Deux ans dans les prisons israéliennes, plusieurs mois entre les mains des services palestiniens, pour la même accusation : activités prosélytes au profit de l’organisation islamique. L’université est l’un des lieux de la rivalité entre Fatah et Hamas.
Défis de la reconstruction
En mai, le Bloc islamique, apparenté Hamas, a obtenu 20 sièges sur 51, contre 23 pour la liste favorable à l’Autorité. Dans un hall, on tombe sur un stand de papeterie dédié à la cause. On y trouve des porte-clés avec des mini-roquettes et des visages de combattants masqués. « Une centaine de nos sympathisants ont reçu une convocation de la Sécurité préventive, assure Ayman Abu Iram. Nous ne conduisons aucune activité illégale et pourtant, on nous harcèle. »
De part et d’autre, on prétend adopter une approche constructive. 80 kilomètres séparent la bande de Gaza de Ramallah. Mais que la distance paraît grande, idéologiquement. L’Autorité palestinienne reproche au Hamas de confisquer les leviers du pouvoir. « Il y a 27 sous-secrétaires de ministres qui dirigent la bande de Gaza, et le gouvernement d’unité nationale ne peut rien faire sur le terrain », disait Mahmoud Abbas, début septembre.
La conférence des donateurs pour Gaza, prévue le 12 octobre au Caire, est un rendez-vous important. Les deux parties ont donc choisi d’y présenter un front commun, en attendant les négociations indirectes avec les Israéliens, fin octobre, en vue d’un cessez-le-feu durable. Affaibli militairement mais sorti de la guerre plus populaire que jamais, Le Hamas est confronté aux défis de la reconstruction. Elle exige de l’organisation et de l’argent.
A cela s’ajoute la question des salaires non payés des 27 000 employés du secteur public (plus environ 18 000 policiers), sous l’autorité du Hamas. L’Autorité palestinienne se dit prête à prendre ses responsabilités. Mais l’équation est complexe. Elle sait que les Etats-Unis et l’Union européenne, sans même parler d’Israël, refusent d’envisager tout versement de fonds au Hamas, classé organisation terroriste. (Pour information, Le Monde, 28-29 septembre, p. 5)
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