Par Alejandro Torrú
Jaime Pastor a été l’un des initiateurs de Podemos [voir à ce propos les articles publiés sur ce site en date du 30 juin et du 16 septembre] lors de sa création. C’est l’un de ceux qui vit la «fenêtre d’opportunité» qui existait dans le système espagnol des partis politiques. Celle-ci se caractérisait par la crise de légitimité ouverte par le 15M [15 mai 2011, début de l’occupation de la Puerta del Sol à Madrid par le mouvement des indigné·e·s] et la crise économique, le renoncement du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) à mettre en avant des alternatives à l’austérité et les difficultés que rencontrait Izquierda Unida à gagner les électeurs désenchantés du PP (Parti polaire au pouvoir) et du PSOE. Désormais, à l’instar d’Izquierda Anticapitalista, il se trouve en second rang du parti. De fait, c’est l’un des signataires de l’article polémique intitulé Jorge Vestrynge, persona non grata en Podemos [1].
La structure organisationnelle proposée lundi 22 septembre 2015 par l’équipe de Pablo Iglesias [la figure publique emblématique de Podemos] est, de l’avis de Jaime Pastor, «semi-présidentialiste», «attribue un pouvoir excessif au secrétaire général» et «reproduit un schéma centraliste pour ce qui est du territoire.» Cependant, tout ne mérite pas des critiques. Pastor reconnaît «son accord avec le “préambule”», les indications sur le financement et il signale que c’est un modèle d’organisation «plus ouverte aux citoyens et citoyennes» que les autres formations politiques.
L’utilisation de l’adjectif «semi-présidentialiste» par Pastor repose sur la méthode d’élection du secrétaire général et du Conseil Citoyen. Le fait que les deux soient élus lors de différentes élections par l’Assemblée citoyenne génère une «double légitimité» qui est «explicite pour ce qui relève des compétences de l’un et de l’autre.» «En outre, ceci peut engendrer des problèmes de cohabitation entre le secrétaire général et le Conseil Citoyen», ajoute Pastor, illustrant son propos avec l’exemple du gouvernement français.
En ce qui concerne la personnalité du secrétaire général, Pastor considère qu’il dispose «de compétences excessives», en particulier celle qui lui permet «de convoquer des assemblées à n’importe quel niveau territorial» [dans le cadre de l’Etat espagnol, avec ses structures propres aux communautés autonomes] lorsqu’il le juge nécessaire. Le fondateur d’Izquierda Anticapitalista estime également «critiquable» que l’on insiste sur le fait de disposer d’une seule personne comme responsable suprême du parti. «Il y a eu plusieurs propositions, comme celle de Echenique [l’un des cinq eurodéputés de Podemos], qui parlent de la multiplication des porte-parole, mais il semble que la représentation publique collégiale soit refusée et que l’option choisie soit celle d’un modèle semi-présidentialiste. C’est ce qui me semble le plus préoccupant», averti Pastor, qui considère que le choix du terme de secrétaire général est aussi une erreur. «En particulier si l’on souhaite donner une image nouvelle de la politique», affirme-t-il.
Un modèle centraliste
La possibilité que le secrétaire général puisse convoquer des assemblées à n’importe quel niveau territorial, conjuguée à la faible représentation des communautés autonomes au sein du Conseil Citoyen (17 sur les 81 membres: il y a 17 communautés autonomes au sein de l’Etat espagnol) et la soumission des décisions des territoires à la stratégie au niveau de l’Etat espagnol sont les raisons que Pastor mentionne pour qualifier le modèle proposé par Pablo Iglesias de «centraliste».
«Il s’agit d’un modèle incompréhensible pour un pays comme le nôtre. Qu’il y ait 17 membres provenant des territoires dans le Conseil Citoyen et 63 élu·e·s hors de cette réalité territoriale [élus «généraux»] n’est pas un modèle fédéraliste, ni un modèle démocratiquement participatif. Il s’agit d’un modèle plébiscitaire du haut vers le bas et centraliste», critique le professeur de sciences politiques.
Le rôle excessif des techniciens, des «experts»
Pastor signale également que l’on donne «un rôle excessif au savoir expert par rapport au savoir populaire» et il regrette que l’on n’introduise pas la technique du tirage au sort. Comme exemple, Pastor se plaint que 50% des membres de la Commission de contrôle [devant assurer l’application des statuts et les exigences diverses et/ou conduites politico-organisationnelles des membres] doivent être juristes (entre les titulaires et les suppléants) et pour ce qui est des décisions, un minimum de 2 membres sur 5. «Le projet contenait quelque mention au sujet du tirage au sort, qui est une technique qui se doit d’être intégrée mais finalement il a été choisi de donner plus de poids aux juristes. Je pense que cela pouvait être des membres du parti qui peuvent consulter un juriste en cas de doute.» Selon lui, un autre problème serait que les propositions des Cercles doivent être avalisées par des experts en la matière. Il s’interroge: «qui peut décider si quelqu’un est un expert?»
Enfin, l’initiateur de Podemos regrette le faible rôle réservé aux Cercles [2] au même titre que le manque des mécanismes de collaboration entre Cercles – ce qui faciliterait la définition de la proportion (pourcentage) de membres nécessaire pour émettre des propositions, des débats et une révocation [d’un·e élu·e] – qui n’ont pas été introduits dans la structure organisationnelle. Il conclut: «Il y a une excessive réduction de leurs compétences et leur régulation.» (Traduction A l’Encontre; article publié le 23 septembre sur le site internet Cuatropoder)
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[1] https://www.diagonalperiodico.net/la-plaza/22303-jorge-verstrynge-persona-non-grata-podemos.html
Jorge Verstrynge est un professeur de sciences politiques à l’Université de Madrid. Ancien membre de l’Alianza Popular – formation qui s’est fondue dans le PP, elle était dirigée par Manuel Fraga, ancien ministre du tourisme sous Franco dans les années 1960 et à plusieurs reprises à la tête de la Communauté autonome de Galicie – adopte des positions souverainistes et nationalistes très marquées. Il a déclaré, par exemple, que Marine Le Pen ne faisait pas partie de l’extrême droite, qu’elle était simplement souverainiste. Admirateur des régimes autoritaires et de Chavez, il considère qu’une planification (au sens d’un contrôle) de l’économie est nécessaire ou pour le moins un fort protectionnisme. Il s’exprime également contre l’immigration. Il a participé ces derniers mois à des actions contre les expulsions de logement. Il a été – en dehors de tout processus de décision démocratique – nommé «collaborateur non élu» de Podemos et mis en avant dans le quartier très populaire de Carabanchel, à Madrid. (Réd. A l’Encontre)
[2] Podemos est composé des centaines de cercles – près de 1000 – sur l’ensemble du territoire de l’Etat espagnols, organisés sur une base de quartier ou de localité; s’y ajoutent des cercles à l’étranger ainsi que des cercles «spécialisés». (Réd. A l’Encontre)
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