Par 35 personnalités israéliennes, académiciens et artistes
En date du 20 novembre 2018, Ofer Aderet du quotidien Haaretz portait à la connaissance de ses lecteurs et lectrices la prise de position – sous forme de lettre ouverte – de 35 éminents Israéliens, «dont des spécialistes de l’histoire juive et des lauréats du Prix Israël». Il indiquait que cette lettre était publiée le mardi 20 novembre dans les médias autrichiens, appelant à faire la distinction entre la critique légitime d’Israël, «aussi dure soit-elle», et l’antisémitisme. Cette lettre ouverte a été publiée avant un rassemblement international à Vienne – qui s’est tenu le 21 novembre 2018 – sur l’antisémitisme et l’antisionisme en Europe. Selon Haaretz: «L’événement de cette semaine “L’Europe au-delà de l’antisémitisme et de l’antisionisme: Protéger la vie juive en Europe”, se tient sous les auspices du chancelier autrichien Sebastian Kurz. Son homologue israélien, Benyamin Netanyahou, devait y participer, mais il est resté en Israël pour faire face à la crise dans son gouvernement de coalition.»
Ci-dessous vous trouverez la traduction de cette lettre ouverte fort importante. (Réd. A l’Encontre)
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«Dans le cadre de sa présidence de l’Union européenne (UE), le gouvernement autrichien organise une conférence de haut niveau le 21 novembre prochain sous le titre «l’Europe au-delà de l’antisémitisme et de l’antisionisme: assurer la sécurité de la vie juive en Europe».
Nous partageons entièrement et soutenons le combat intransigeant de l’UE contre l’antisémitisme. La montée de l’antisémitisme nous préoccupe. Ainsi que nous l’avons appris de l’histoire, cette dernière a souvent signalé des désastres à venir pour l’ensemble de l’humanité. La montée de l’antisémitisme constitue une menace réelle et doit être un motif d’inquiétude majeur de la politique européenne contemporaine.
Toutefois, l’UE défend également les droits humains et doit les protéger avec la même force qu’elle combat l’antisémitisme. La lutte contre l’antisémitisme ne doit pas être instrumentalisée afin de réprimer les critiques légitimes dirigées contre l’occupation par Israël [des territoires palestiniens] ainsi que des graves violations des droits humains des Palestiniens.
Le premier ministre israélien Netanyahou devait s’exprimer lors de la conférence organisée en Autriche, avant qu’il n’annule sa venue pour pouvoir stabiliser son gouvernement. Il a œuvré avec force à ce que la critique de l’Etat d’Israël soit perçue comme de l’antisémitisme.
Ce qui provoque notre grande préoccupation est de voir que cet amalgame figure également dans l’annonce officielle de la conférence organisée par le gouvernement autrichien. On y lit: «très souvent, l’antisémitisme s’exprime par le truchement d’une critique exagérée et disproportionnée de l’Etat d’Israël».
Ces propos font écho à la définition de l’antisémitisme de l’International Holocauste Remembrance Alliance (IHRA). Plusieurs exemples d’antisémitisme actuel associés à cette définition portent sur des critiques dures d’Israël. Le résultat est que cette définition peut dangereusement être instrumentalisée afin de procurer à Israël une immunité face aux critiques qui s’élèvent contre ses violations graves et répandues des droits humains et du droit international (des critiques qui sont vues comme étant légitimes lorsqu’elles sont dirigées contre d’autres pays). Ceci a un effet dissuasif pour ce qui a trait à toute critique d’Israël.
En outre, l’annonce de la conférence identifie l’antisionisme à l’antisémitisme. Cependant, le sionisme, à l’instar d’autres mouvements modernes juifs du XXe siècle, fit l’objet d’une forte opposition de nombreux Juifs, ainsi que de non-Juifs qui n’étaient pas pour autant antisémites. De nombreuses victimes de l’Holocauste étaient opposées au sionisme. De plus, de nombreux antisémites apportèrent leur soutien au sionisme. Identifier l’antisionisme à de l’antisémitisme ne fait pas sens et est inapproprié.
Nous ne devons pas oublier, non plus, que l’Etat d’Israël est une puissance occupante depuis plus de 50 ans. Des millions de Palestiniens sous occupation sont privés des droits les plus élémentaires, de liberté et de dignité. Alors que l’occupation israélienne se transforme désormais en annexion, il est essentiel, plus que jamais, que l’Europe rejette les tentatives visant à restreindre la liberté d’expression ainsi qu’à faire taire les critiques dirigées contre Israël au motif erroné qu’il s’agit là d’antisémitisme.
L’Europe doit agir de la sorte également pour une autre raison: la crédibilité et l’efficacité de sa lutte contre l’antisémitisme. Etendre cette lutte à une protection de l’Etat d’Israël face à toute critique nourrit l’idée fausse d’un trait d’égalité entre Juifs et Israël – ces derniers devenant alors responsables des actions entreprises par Israël.
En tant qu’intellectuels israéliens, dont la majorité d’entre nous enseignons et menons des recherches en histoire juive, nous disons à l’Europe:
Combattons sans repos l’antisémitisme afin de protéger la vie juive en Europe, ainsi que pour lui permettre de s’épanouir. Faites-le en maintenant une distinction claire entre la critique de l’Etat d’Israël, aussi dure qu’elle soit, et antisémitisme. Ne mélangez pas antisionisme et antisémitisme. Préservez également la liberté d’expression de ceux qui s’opposent à l’occupation israélienne et exigent qu’il y soit mis un terme.» (Traduction A l’Encontre)
Signataires
Moshe Zimmerman, an emeritus professor at Hebrew University and a former director of the university’s Koebner Center for German History; Moshe Zukermann, emeritus professor of history and philosophy of science at Tel Aviv University; Zeev Sternhell, a Hebrew University emeritus professor in political science and a current Haaretz columnist; Israel Prize laureate (2008); Dani Karavan; sculptor, Israel Prize laureate (1977), creator of the Memorial to Sinti and Roma Victims of National Socialism in Berlin (2012) and the Way of Human Rights at Germanisches Nationalmuseum in Nuremberg (1989-93); Alex Levac, Israel Prize laureate (2005); Michal Naaman, artiste, Israel Prize recipient (2005); Gadi Algazi, a history professor at Tel Aviv University; Eva Illouz, a professor of Sociology at the Hebrew University in Jerusalem and former President of Bezalel Academy of Art and Design; Gideon Freudenthal, a professor in the Cohn Institute for the History and Philosophy of Science and Ideas at Tel Aviv University; Rachel Elior, an Israeli professor of Jewish philosophy at the Hebrew University of Jerusalem; Anat Matar, philosophy professor at Tel Aviv University; Yael Barda, a professor of Sociology at the Hebrew University in Jerusalem; Miki Kratsman, a former chairman of the photography department at the Bezalel Academy of Arts and Design; Jose Brunner, an emeritus professor at Tel Aviv University and a former director of the Minerva Institute for German History; Alon Confino, a professor of Holocaust Studies at the University of Massachusetts at Amherst; David Tartakover, Israel Prize laureate (2002), graphic designer; Arie M. Dubnov, Chair of Israel Studies at George Washington University; David Enoch, history, philosophy and Judaic Studies professor at Israel’s Open University; Amos Goldberg, Jewish History and Contemporary Jewry professor at the Hebrew University of Jerusalem; David Harel, Weizmann Institute of Science; Israel Prize laureate (2004) and vice-president of the Israel Academy of Sciences and Humanities; Hannan Hever, comparative literature and Judaic Studies professor at Yale University; Hannah Kasher, professor emerita in Jewish Thought at Bar-Ilan University; Michael Keren, emeritus professor of economics at Hebrew University of Jerusalem; Yehoshua Kolodny, professor emeritus in the Institute of Earth Sciences at Hebrew University of Jerusalem, Israel Prize recipient (2010); Nitzan Lebovic, professor of Holocaust studies at Lehigh University; Idith Zertal, Hebrew University of Jerusalem, author of Israel’s Holocaust and the Politics of Nationhood; Dmitry Shumsky, Department of Jewish History and Contemporary Jewry, former Director Bernard Cherrick Center for the Study of the Zionism, the Yishuv and the State of Israel, Hebrew University of Jerusalem; David Shulman Israel Prize laureate 2061), professor emeritus of Asian studies at Hebrew University of Jerusalem, ; Ishay Rosen-Zvi, Jewish philosophy professor at Tel Aviv University; Dalia Ofer, professor emerita in Jewry and Holocaust Studies at Hebrew University of Jerusalem; Paul Mendes-Flohr, professor emeritus for Jewish thoughts at the Hebrew University; Jacob Metzer, former president of Israel’s Open University; Yehuda Judd Ne’eman, Faculty of Arts, Tel Aviv University; Israel Prize recipient (2009).
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