Par Gideon Levy
Les résultats de l’élection de mardi ont prouvé hors de tout doute qu’Israël est un grand centre, avec beaucoup moins de divergences d’opinions qu’on ne pourrait le penser.
Nous sommes tous une seule nation. Ce n’est pas une société polarisée, pas déchirée et pas divisée, comme les gens le déplorent jour et nuit, mais un grand consensus, beaucoup plus large et profond que nous ne le pensions. Et ce n’est pas du tout une bonne nouvelle.
Derrière cette apparente unité se cachent l’uniformité, le vide idéologique et le manque de courage pour adopter des positions claires, sans parler de se battre pour elles. Il n’y a pas de guerre civile qui nous attend, mais plutôt une mélodie désespérée: «Nous sommes tous une seule nation», un requiem pour toute nouvelle idée, chanté par la chorale nationale pour endormir tout changement.
L’extrême droite a été totalement battue. Il n’y avait pas de gauche juive radicale ici en premier lieu – et il nous reste un grand et assourdissant unisson national sur la plupart des questions.
Le centre a encore gagné mardi, et c’est peut-être sa plus grande victoire de tous les temps. Les différences entre les deux blocs sont minuscules, à peine visibles à l’œil nu. Yamina [droite religieuse] a été battue à nouveau et Otzma Yehudit [extrême droite] a été éliminée, comme elle le méritait. La gauche sioniste a été sauvée de justesse, après avoir été bien diluée, le Meretz [parti dit laïc et socialiste lié à la IIe Internationale] sous l’égide d’Ehoud Barak et [de la jeune députée] Stav Shaffir, et le Parti travailliste sous la houlette d’Orli-Levi Abekasis [ex-députée de Israel Beiteinu qui a conduit une liste avec le leader du Labor Amir Peretz]. Tout convergeait vers le milieu.
On pourrait penser qu’il y a un abîme idéologique entre le premier ministre Benyamin Netanyahou et le dirigeant de Kahol Lavan [alliance Bleu et Blanc] Benny Gantz. Nous avons eu deux occasions en or ces derniers jours d’apprendre que ce n’est pas le cas. Netanyahou a proposé l’annexion de parties stratégiques de la Cisjordanie, et Gantz a dit que Netanyahou ne tiendrait pas sa promesse, tandis que lui, Gantz, resterait dans la vallée du Jourdain pour toujours.
Quelle est la différence? Il n’y a pas de différence. Gantz, qui veut un gouvernement «laïc», est allé placer un vœu dans le Mur des lamentations, tout comme Netanyahou. Telle est la nature de la laïcité israélienne.
Les résultats de mardi ont démontré que les Israéliens ne veulent rien de différent, pas l’extrême droite et bien sûr pas l’extrême gauche, seulement le centre. Une partie appelle son milieu «Likoud» et une autre son milieu «Kahol Lavan». Seule la figure de Netanyahou divise les deux camps. Et cela, bien sûr, n’est pas vraiment une différence idéologique.
Il a également été prouvé mardi qu’il n’y a pas beaucoup d’acheteurs pour le racisme flagrant. Les Israéliens veulent du racisme, mais à petites doses, et sous la table, pas à l’avant-plan. Après mardi, il est impossible de prétendre qu’Israël est allé vers la droite. Il n’est certainement pas allé vers la gauche. Il s’est endormi.
Une telle société mérite un gouvernement d’unité nationale, la recette infaillible pour des années plus comateuses. Quand il n’y a pas de radicalisme ni d’innovation de part et d’autre, il n’y a pas d’argument, et quand il n’y a pas d’argument, on ne peut que continuer avec la même chose, la même chose qui a fait d’Israël la société répressive qu’elle est, la société dans le déni, qui se cache de ses vrais problèmes et favorise les trivialités propres à l’évasion de la réalité.
L’élection a prouvé une fois de plus que ceux qui proposent le changement n’ont aucune chance en Israël. Excepté un «référendum» à la hausse ou à la baisse envers Netanyahou, les Israéliens ne veulent pas de changement. Ils sont satisfaits de ce qu’ils ont, et surtout de ce qu’ils fuient. Donnez-leur juste leurs vacances et leurs centres commerciaux.
Le type d’exécutif qui résultera de cette élection est presque insignifiant. Aucun changement réel n’émergera d’une éventuelle coalition. C’est pourquoi l’idée d’un gouvernement d’unité nationale est si populaire en Israël: Il garantit la plus longue sieste de l’après-midi. Après mardi, un gouvernement d’union nationale est sur le point d’être mis en place, garantissant quelques saisons d’hibernation supplémentaires. Que demander de plus aux Israéliens? (Article publié dans Haaretz, le 19 septembre 2019; traduction rédaction A l’Encontre)
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