Israël. Cinquante ans (1967), cinquante ans de mensonges

Moshe Dayan et Ariel Sharon, en 1967

Par Gideon Levy

Cela a commencé avec la question comment nommer la «West Bank» (la Cisjordanie) et Gaza. Sur la Radio d’Israël, il fut décidé d’utiliser le terme «territoires temporairement occupés». C’était le mensonge N° 1.

Acceptons l’idée que l’occupation est justifiée. Disons aussi qu’Israël n’a pas le choix. Décidons même de ne pas la qualifier d’occupation. Affirmons qu’elle a été reconnue par le droit international et que le monde l’a applaudie. Prétendons que les Palestiniens sont reconnaissants de sa présence. Reste cependant un petit problème qui continue à flotter sur le sujet: tout ceci repose totalement sur des mensonges.

Du début jusqu’à la fin, sans cesse repoussée, c’est un véritable tissu de mensonges. Il n’y a pas un mot de vérité qui y soit attaché. Sans ces mensonges, tout ce récit se serait décomposé depuis longtemps. Sans ces mensonges, il est peu probable que cela eût pu jamais exister. Ces mensonges, dont la droite est fière de certains d’entre eux («pour le bien de la Terre d’Israël, il est acceptable de mentir»), suffisent à faire reculer d’horreur toute personne honnête. On n’a pas besoin de ces autres horreurs pour en être convaincu.

• Cela a commencé avec la question de savoir comment qualifier les territoires. Sur la radio israélienne, on a décidé d’utiliser le terme «territoires temporairement occupés». C’était le mensonge N° 1, impliquant que l’occupation était temporaire et qu’Israël avait l’intention d’évacuer ces territoires, qu’il ne s’agissait que d’un élément de négociation dans la recherche de la paix. C’est probablement le plus gros mensonge et certainement le plus décisif. C’est celui qui a permis de célébrer son jubilé.

La vérité, c’est qu’Israël n’a jamais eu l’intention de mettre fin à l’occupation. Son supposé caractère temporaire n’a servi qu’à tromper le monde grâce à sa vertu dormitive.

• Le deuxième mensonge majeur résidait dans l’argument selon lequel l’occupation sert les intérêts sécuritaires d’Israël, qu’il s’agit d’une mesure d’autodéfense utilisée par une nation démunie, sans défenses, cernée par des ennemis.

• Le troisième mensonge fut le «processus de paix», qui n’a jamais véritablement pris forme et qui, de toute façon, n’a été envisagé que pour allouer encore plus de temps à l’occupation. Ce mensonge pouvait reposer sur plusieurs appuis. Le monde en a été complice, se mentant continuellement à lui-même. Il y a eu des discussions, le déploiement de cartes (toutes similaires), des conférences de paix ont été organisées avec de nombreux cycles de négociations et des «sommets», avec des délégués qui multipliaient des allers-retours, et surtout un verbiage vide.

Tout cela reposait sur un mensonge, l’hypothèse invalide qu’Israël eût un jour l’intention de mettre fin à l’occupation.

• Le quatrième mensonge, évidemment, est l’entreprise de colonisation. Ce projet est né et a grandi dans un mensonge. Aucune colonie n’a été établie honnêtement, depuis la nuit passée au Park Hôtel d’Hébron [occupation du Park Hôtel, le 4 avril 1968, par le Gush Emunim – formation intégriste acteur d’une politique de colonisation – prétextant vouloir passer Pessah (Pâques) à Hébron, avant d’en faire, de suite, une ville en voie d’occupation], en passant par les «camps de travail», les «camps de protection», les «fouilles archéologiques», les «réserves naturelles», les «espaces verts», les «zones protégées lors des opérations militaires», les «terrains devant être cadastrés» [dans la foulée du système de la colonisation anglaise], les avant-postes et autres expansions – toutes ces inventions furent mises en place en un clin d’œil ou sur la base d’un hochement de tête [donc avec la dimension, souvent, de reconnaissance post-factum], et ont culminé dans le plus gros mensonge de ce contexte, celui des «terres d’Etat», mensonge qui ne peut être comparé qu’à celui des «absents présents» palestiniens d’Israël.

• Les colons ont menti et les politiques ont fait de même, l’armée et l’Administration civile dans les territoires ont menti – ils ont tous menti au monde et à eux-mêmes. De la protection d’un pylône d’antennes est née une méga colonie et d’un «week-end» dans cet hôtel d’Hébron est né le pire de l’ensemble de ces «acquisitions». Les membres du cabinet ministériel qui ont ratifié, les membres de la Knesset [parlement] qui ont opiné du chef et cligné de l’œil, les officiers qui ont signé et les journalistes qui ont blanchi le propos, tous connaissaient la vérité.

Les Américains qui ont «condamné» et les Européens qui ont «été furieux», l’Assemblée générale de l’ONU qui «a fait appel» et le Conseil de sécurité qui «a décidé», aucun d’entre eux n’a jamais eu la moindre intention d’y donner suite avec quelque action que ce soit. Le monde se ment aussi à lui-même. Cette façon de faire arrange tout le monde.

• Cela facilite aussi l’émission sans fin de mensonges quotidiens qui camouflent les crimes commis par les Forces de défense israéliennes, la Police des frontières, le Shin Bet, l’Administration des prisons et l’Administration civile – la totalité de l’appareil de l’occupation. Cela favorise aussi l’utilisation d’un langage aseptisé, le langage de l’occupant tant aimé des médias, le même langage que celui utilisé pour décrire leurs excuses et leurs auto-justifications. Il n’y a pas en Israël de stérilisation du langage comparable à celui qui décrit l’occupation et il n’y a pas d’autre large coalition qui la diffuse et la soutienne avec autant de dévotion.

• La seule démocratie du Moyen-Orient qui utilise une tyrannie militaire brutale et «l’armée la plus morale du monde» qui tue plus de 500 enfants et 250 femmes en un seul été – quelqu’un peut-il concevoir un mensonge plus gros que celui-là? Quelqu’un peut-il imaginer une plus grande auto-illusion que celle qui prévaut en Israël et qui dit que tout ceci nous a été imposé, que nous ne le voulions pas, que ce sont les Arabes qu’il faut blâmer? Et encore, nous n’avons pas mentionné le mensonge des deux Etats et le mensonge comme quoi Israël recherche la paix, les mensonges sur la Nakba de 1948 et la «pureté» de nos armes dans cette guerre, le mensonge à propos du monde entier qui serait contre nous et le mensonge comme quoi les deux côtés sont à blâmer.

• Depuis les paroles de Golda Meir [1898-1978, premier ministre de 1969 à 1974, «la grande mère d’Israël» pour la presse israélienne et la «Dame de fer», ainsi nommée, bien avant Mme Thatcher]: «nous ne pardonnerons jamais aux Arabes d’obliger nos enfants à les tuer» à «une nation ne peut pas être un occupant sur sa propre terre», les mensonges succèdent aux mensonges. Cela ne s’est pas arrêté jusqu’à aujourd’hui. Cinquante ans d’occupation, cinquante nuances de mensonges. Et maintenant? Encore cinquante ans de plus? (Article publié dans le quotidien israélien Haaretz, le 1er juin 2017; traduction A l’Encontre)

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