Iran. «Les bassidjis utilisés par le pouvoir comme rempart contre les manifestations»

L’ayatollah Ali Khamenei s’adresse aux bassidjis le 26 novembre 2022 à Téhéran.

Par Benoit Faucon

Lorsque Mohammed Zareh Mowaydi, membre des Gardiens de la révolution, a été tué en affrontant des manifestant·e·s iraniens le mois dernier, l’armée a diffusé des images de son corps, avec un clerc qui brandissait la main droite du mort – marquée par des années de travail comme agriculteur. «Montrez la paume de vos mains», a crié le religieux, s’adressant aux participants aux protestations. «Vous, qui prétendez libérer notre peuple, vos paumes sont-elles aussi couvertes de callosités?»

Zareh Mowaydi faisait partie des milliers de fervents partisans de la République islamique sur lesquels le gouvernement compte pour mettre fin à un mouvement de protestation qui dure depuis plus de trois mois. Qu’il s’agisse du Corps des gardiens de la révolution islamique (GRI), ou de milices moins officielles, ces loyalistes ont réprimé les manifestant·e·s dans les rues, défendu les valeurs de la République islamique et, dans certains cas, sont morts pour elles.

Environ un Iranien sur cinq dit soutenir le système actuel, selon des sondages réalisés dans le pays par le Group for Analyzing and Measuring Attitudes in Iran, une fondation de recherche à but non lucratif des Pays-Bas. Le gouvernement donne à cette minorité – souvent issue de milieux économiquement modestes et socialement conservateurs – des avantages, des emplois et des armes, ce qui en fait une force pour le maintien du statu quo.

«Il existe une mince couche mais solide qui est profondément loyale», a déclaré Sanam Vakil, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut royal des affaires internationales de Grande-Bretagne, ou Chatham House. Sans ces partisans, dit-elle, «le régime se disloquerait. Les irréductibles n’ont nulle part où aller. C’est pourquoi le régime est toujours assuré et aux commandes.»

Aujourd’hui, leur loyauté est mise à l’épreuve, alors qu’ils tentent de relever le défi le plus difficile à relever pour la République islamique depuis plus de dix ans. Au moins 62 partisans du gouvernement ont été tués dans les manifestations, ainsi que 502 manifestant·e·s, selon l’agence de presse Human Rights Activists News Agency, qui documente les violations des droits de l’homme en Iran.

Les manifestations ont commencé en septembre après la mort de Mahsa (Jina) Amini, 22 ans, en garde à vue pour avoir prétendument enfreint le code vestimentaire féminin en Iran. Elles présentaient initialement des demandes de suppression du foulard obligatoire puis ont lancé des appels au renversement du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, et du système de gouvernance islamique.

La permanence des protestations a surpris les observateurs extérieurs, bien que les gouvernements occidentaux et du Moyen-Orient aient estimé que les manifestations ne représentent pas encore une menace de renversement du pouvoir à Téhéran.

Le groupe le plus visible qui s’oppose aux manifestants est le Basij, une force volontaire de 700 000 personnes constituée, lors de la révolution de 1979, comme une milice de jeunes et devenue depuis une institution qui imprègne la société iranienne. Le Basij est une structure qui défend de manière intransigeante la République islamique, un système politique à dominante religieuse et dont le chef d’Etat incontesté est Ali Khamenei. Le Basij prône le maintien d’un code vestimentaire féminin strict, soutient les opérations militaires régionales de l’Iran comme moyen de défendre les sites musulmans sacrés et il s’oppose à toute normalisation des relations avec les Etats-Unis et Israël.

Parmi les autres groupes, citons le Corps des gardiens de la révolution (GRI), une armée de 210 000 hommes chargée de protéger le gouvernement contre les troubles intérieurs et les attaques étrangères.

Le pouvoir iranien prépare les jeunes issus de familles conservatrices à rejoindre le Basij, en les formant aux principes religieux et aux opinions anti-occidentales dans des camps d’entraînement pour enfants et des clubs de quartier, a déclaré Saeid Golkar, un expert travaillant sur les services de sécurité iraniens qui enseigne à l’Université du Tennessee à Chattanooga. Les jeunes loyalistes obtiennent la priorité dans les meilleures universités iraniennes, ce qui leur permet de briguer des postes gouvernementaux de premier plan et des emplois bien rémunérés dans des entreprises contrôlées par les factions de la ligne dure, selon Saeid Golkar.

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Les membres du Basij ont constitué une grande partie des troupes de choc envoyées pour réprimer les manifestations à Téhéran, dans la ville de Shiraz, dans le sud de l’Iran, ainsi que dans les provinces du Sistan-Baloutchistan et du Kurdistan, où la violence a pris une tournure militarisée, selon les médias d’Etat iraniens.

Ils jouent un rôle déterminant dans la garde des bâtiments gouvernementaux importants. Et alors que la police des mœurs du pays a été reléguée au second plan suite au mouvement d’indignation suscité par la mort de Masha Amini, les bassidjis ont contribué à faire respecter les lois relatives aux codes vestimentaires et aux comportements en public, souvent de manière violente.

Les bassidjis ont été particulièrement visibles lors des escarmouches sur les campus universitaires iraniens. Lors de récentes manifestations à l’Université de technologie Sharif de Téhéran, Mohammad Reza Ziyai, un étudiant chef du Basij, était responsable d’une campagne contre les étudiant·e·s qui manifestaient pour mettre fin à la République islamique. Mohammad Ziyai et son groupe de 50 personnes ont ouvertement discuté de la manière de punir les manifestant·e·s, qui réclamaient la mort du dirigeant du pays. Il a déclaré qu’il était l’étudiant qui avait déclaré dans une vidéo publiée en octobre: «S’ils lancent des slogans contre Khamenei, nous nous opposerons à eux.» Par la suite, des officiers en civil brandissant des matraques et des armes à feu ont pris d’assaut l’université.

Les groupes de défense des droits humains ont dénoncé les bassidjis, le Corps des gardiens de la révolution islamique et d’autres groupes loyalistes pour leur recours à la violence contre les manifestant·e·s. Amnesty International a déclaré avoir recueilli des informations sur leur utilisation de balles réelles, de grenaille pour la chasse aux oiseaux, de billes d’acier, de gaz lacrymogène et de canons à eau [voir à ce sujet l’article publié sur ce site le 10 décembre 2022]. Les Etats-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont sanctionné les dirigeants des bassidji pour leur recours à la violence lors de la répression des manifestations.

Alors que des acteurs [par exemple, l’actrice internationalement connue Taraneh Alidoosti a été arrêtée en décembre pour avoir condamné l’exécution de Mohsen Shekari sur les réseaux sociaux], des athlètes et des membres de professions libérales ont apporté leur soutien au mouvement de protestation, le gouvernement a présenté ses partisans les plus loyaux comme des modèles pour la nation. Le mois dernier, Ali Khamenei a fait l’éloge des bassidjis et a exprimé son admiration pour ceux qui ont perdu la vie dans la lutte contre les manifestations, qu’il a qualifiées d’émeutes. «Ils ont sacrifié leur vie pour protéger la population des émeutiers», a-t-il déclaré dans un discours télévisé largement interprété comme un discours d’encouragement pour les bassidjis.

Les manifestant·e·s ont pris pour cible les bassidjis, symbole de la République islamique, en incendiant leurs bureaux et en les affrontant dans les rues. La plupart des manifestants qui ont été condamnés à mort ont été reconnus coupables d’avoir tué des bassidjis. Parmi les condamnés figure le manifestant Majidreza Rahnavard, qui a été exécuté plus tôt en décembre pour la mort de deux bassidjis.

Les membres des bassidjis sont souvent transférés dans le Corps des gardiens de la révolution pour des rôles plus formels de répression. Tel a été le parcours de Mohammed Zareh Mowaydi. Il a grandi dans une ferme d’un village près de Shiraz, a rejoint les bassidjis, a suivi une formation d’imam, puis a rejoint la Force Al-Qods du GRI, une unité d’élite déployée à l’étranger. Mohammed Zareh Mowaydi, 37 ans, a combattu avec la Force Al-Qods pour défendre le gouvernement de Bachar al-Assad en Syrie, survivant aux combats avec l’Etat islamique et d’autres groupes extrémistes et rebelles, selon les médias d’Etat iraniens.

Il devait rejoindre son poste de tireur d’élite en Syrie en décembre, après sa mission de protestation, a déclaré sa tante à l’agence de presse conservatrice Fars. Mais le 15 novembre, il a été frappé à la tête par un cocktail Molotov lors d’une manifestation à Shiraz et a succombé à ses blessures. «Il était prêt à sacrifier sa vie», a déclaré son frère Abdur Rahim à l’agence de presse militaire iranienne, Defa Press. «Au final, son souhait a été exaucé.» (Article publié dans le Wall Street Journal, le 27 décembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)

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