Iran-dossier. Les travailleurs iraniens de l’industrie pétrochimique se mettent en grève

Selon diverses sources, les travailleurs iraniens du secteur pétrolier ont initié un mouvement de grève depuis le 19 juin 2021. Les revendications portent sur les retards de salaires, l’augmentation des salaires, les conditions de travail en termes de sécurité et de santé. La National Iranian Oil Company ainsi que la National Iranian Gas Company et les National Iranian Oil Refining and Distribution Company utilisent de nombreux sous-traitants qui durcissent à l’extrême les normes d’exploitation des travailleurs. Selon les mêmes sources, la majorité des grévistes ont des contrats avec ces firmes sous-traitantes qui emploient une très large majorité des travailleurs du secteur. L’ampleur de la mobilisation ouvrière est telle que les principaux responsables politiques, depuis Rohani à Ebrahim Raïssi, tentent de mettre sur pied une négociation pour tenter de canaliser les grèves dans ce secteur qui apparaissent les plus importantes depuis quarante ans, si on les inscrit dans la foulée des luttes d’août 2020.

Nous publions ci-dessous, sur ce mouvement de grèves, un article datant du 24 juin de IndustriALL – structure internationale syndicale créée en 2012, résultat de la fusion de la FIOM (Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie), de l’ICEM (Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de l’énergie, des mines et des industries diverses) et la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et du cuir. (Réd. A l’Encontre)

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Par IndusiALL

Les travailleurs et travailleuses des exploitations pétrolières et gazières ainsi que des usines pétrochimiques se sont mis en grève à South Pars, à Téhéran et dans tout l’Iran dans le cadre d’une action coordonnée appelée «Campagne de grève 1400», en référence à l’année en cours dans le calendrier iranien.

Les syndicats indépendants n’étant pas reconnus par le gouvernement et faisant l’objet de restrictions systématiques, les actions de grève sauvage sont coordonnées par des comités de grève. Les revendications immédiates de la grève sont de meilleurs salaires, une sécurité sociale adéquate et de meilleures conditions de vie. Les comités de grève ont émis une série de revendications salariales claires pour chaque catégorie d’emploi et ont déclaré que le travail reprendrait si les employeurs répondaient à ces revendications.

Cette grève fait écho à une vague d’actions de grève d’un mois menées par plus de 10 000 travailleurs et travailleuses des champs pétroliers et gaziers de South Pars en août de l’année dernière. La grève de 2020 a contraint les employeurs à améliorer les salaires et les conditions de vie.

L’affilié d’IndustriALL Global Union, le Syndicat des métallurgistes et des mécaniciens d’Iran (UMMI), rapporte que la vague actuelle de grève a débuté le 19 juin, les travailleurs et travailleuses se croisant les bras et cessant le travail sur plusieurs sites du sud de l’Iran.

Ces travailleurs et travailleuses sont employés par des entreprises de sous-traitance qui fournissent de la main-d’œuvre pour des projets de développement dans les champs pétroliers et gaziers. Les entreprises sous-traitantes font office de tampon entre les travailleurs et les compagnies pétrolières et gazières et tentent de juguler les revendications en recrutant dans le cadre de contrats à court terme renouvelables. Le cycle de travail est de 20 jours de travail et de 10 jours de repos. Pendant la période de travail de 20 jours, les travailleurs sont logés sur le site dans des dortoirs communs. La plupart sont des techniciens et des ouvriers qualifiés tels que des échafaudeurs, des monteurs, des soudeurs et des électriciens.

Les conditions de vie dans les dortoirs sont mauvaises et peu hygiéniques, la qualité de la nourriture dans les cantines est médiocre et les salaires sont bas. Comme les travailleurs sont employés par des intermédiaires, ils ne peuvent pas négocier de meilleures conditions directement avec les compagnies pétrolières et gazières. Les salaires et les conditions sont fixés par les sous-traitants.

En outre, ces entreprises sous-paient régulièrement les cotisations de sécurité sociale en ne respectant pas les classifications de leurs salariés, ce qui a des répercussions sur leurs pensions, leur chômage et leur couverture maladie.

La grève s’est étendue à tout le pays. Actuellement, des milliers de travailleurs et travailleuses de 22 raffineries et installations dans les centres pétroliers et gaziers, dont Jahan Pars, Gachsaran Petrochemicals, la raffinerie de Téhéran et la raffinerie d’Abadan [dans la province du Khouzistan], sont en grève, ce qui a obligé un certain nombre de projets à suspendre leurs activités.

On s’attend à ce que la grève prenne de l’ampleur au fur et à mesure des phases de versement des salaires intervenant au bout des cycles de travail de 20 jours. Les salariés directs de la Société nationale iranienne du pétrole (SNIP) se joindront à la grève et organiseront des rassemblements de protestation dans tout le pays le 30 juin.

Dans une déclaration publiée sur son site web, l’UMMI s’est adressé aux travailleurs du secteur :

«Les vis sont serrées par nos mains et les tuyaux soudés avec notre sueur. Aucun projet ne peut se poursuivre sans que nous assemblions, soudions ou échafaudions. Faites confiance au pouvoir qui est le vôtre et restez chez vous: voyons si l’échafaudage se dresse tout seul!»

Les sanctions américaines ont stoppé la plupart des exportations de pétrole et de gaz de l’Iran. La monnaie nationale s’est dépréciée et l’inflation concernant l’alimentation est extrêmement élevée. Avant d’entamer la grève, les travailleurs ont manifesté devant le parlement à Téhéran ainsi qu’à Ahvaz, la capitale de la province pétrolière du Khouzistan, pour demander que le ministre du pétrole Bijan Zanganeh réponde à leurs revendications.

Le secrétaire général adjoint d’IndustriALL, Kemal Özkan, a déclaré:

«Une fois de plus, nos camarades iraniens ont fait preuve d’un courage et d’une détermination extraordinaires face à l’oppression. Ils agissent collectivement pour se défendre, améliorer leurs conditions de vie et de travail et exiger que leur patrie se construise pour répondre aux besoins du plus grand nombre. Nous les saluons et sommes solidaires de leur lutte et de leurs justes revendications.»

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Ebrahim Raïssi: un criminel contre l’humanité «décrété» président de la République en Iran

Par Berouse Farahany

Les Iraniens et Iraniennes ont été appelés aux urnes pour élire leur 13e Président de la république parmi les candidats bien filtrés par le «Conseil des Gardiens», chose qui arrive à chaque élection, ce qui d’office ôte la qualité «démocratique» de toutes ces élections.

Jusqu’à présent, le pouvoir laissait toujours un candidat du camp dit «réformateur» en lice, afin de donner un semblant de choix, et en même temps l’utiliser comme bouc émissaire, responsable de tous les maux de la société. Mais cette fois-ci le verrouillage a dépassé toute imagination. Le Guide suprême, détenteur du vrai pouvoir, dans la pratique et selon la Constitution, a décidé d’éliminer tout candidat autre que ceux inféodés au cercle restreint du pouvoir. Il a voulu resserrer les liens autour de lui en éliminant même des gens proches du président sortant Hassan Rohani.

Et c’est dans une indifférence quasi générale et une abstention record impossible à cacher, qu’a été accueillie l’annonce de la victoire d’Ebrahim Raïssi, chef en exercice du pouvoir judiciaire.

Crises multiples en Iran

Ce membre de la «Commission de la mort» responsable des massacres de milliers de prisonniers politiques à l’été 1988 est considéré comme un criminel contre l’humanité par Amnesty International. L’annonce de son élection n’a été suivie d’aucun défilé de ses partisans dans les rues, d’aucune scène de joie ou même du moindre signe d’enthousiasme.

Les raisons de cette situation sont nombreuses. L’Iran est en effet traversé par des crises multiples:

  • Une crise économique sans précédent due à l’application des politiques néolibérales, aggravée par les sanctions des Etats-Unis. Elle est caractérisée par un chômage massif, l’effondrement de la monnaie nationale, une chute vertigineuse de la production (trois années de récession de suite), une inflation à deux voire trois chiffres touchant notamment certains produits de première nécessité, le non-paiement des salaires pendant des mois, une crise boursière, une corruption systémique et à très grande échelle, etc.
  • Une crise écologique qui se manifeste surtout autour de manque d’eau (à la suite des sécheresses successives et en raison d’une politique irrationnelle de construction des barrages), des feux de forêt à répétition, la pollution des rivières…
  • Une vraie crise politique et un divorce presque total entre le pouvoir et le peuple iranien. Elle se traduit par un boycott actif et déclaré, non seulement par des factions ou des militants politiques et des mouvements sociaux, mais aussi une masse de personnes appartenant à différentes couches de la population laborieuse. Pour la première fois depuis de longues années, on a entendu des slogans en faveur du boycott pendant des manifestations de retraité·e·s et des grèves ouvrières, malgré les menaces du pouvoir et du Guide lui-même!
Bouillonnement de luttes sociales

Le régime islamique est en très mauvaise posture. Après deux soulèvements populaires en 2016 et 2018, écrasés brutalement dans le sang, l’Iran bouillonne de luttes sociales. On a enregistré en un an 1915 mouvements, grèves, blocages de sites et d’autres actions organisées à l’échelle nationale par des ouvriers et ouvrières de l’industrie, des enseignant·e·s, les retraité·e·s, des personnels du secteur de la santé pendant la pandémie de Covid-19. Et cela fait plusieurs années que l’Iran est secoué par les manifestations et grèves de salarié·e·s, de retraité·e·s et de chômeurs et chômeuses.

Et ces luttes paient. Les travailleurs ont réussi à obtenir la satisfaction de leurs revendications à plusieurs reprises. Le mouvement le plus important a été la longue lutte victorieuse des travailleurs de la sucrerie de Haft-Tapeh, qui ont obtenu l’annulation de la privatisation de leur usine par des grèves successives, tout en profitant des divisions au sein du pouvoir à ce sujet, dont l’avis favorable d’Ebrahim Raïssi.

Ebrahim Raïssi est conscient de la gravité de la situation et de la base sociale très étroite du régime. Il veut marcher sur deux jambes: d’un côté une poigne de fer, de l’autre quelques gestes sociaux pour négocier avec les Occidentaux et sortir de la crise. Mais la tâche est impossible. La fracture entre le peuple et le pouvoir est abyssale. (Article publié dans l’Anticapitaliste en date du 24 juin 2021)

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