Egypte. Le prêt du FMI et l’effritement de la classe moyenne

2014-635417189654408080-440_resizedPar Omar Cheniti
(directeur exécutif du Groupe d’investissement Multiples)

Après la terrible vague de pressions sur la livre égyptienne (LE) au cours des dernières semaines, le taux de change de la livre par rapport au dollar sur le marché parallèle s’est mis à accaparer l’intérêt de l’opinion publique. La Banque centrale devait donc trouver une solution rapide pour stopper l’hémorragie [1]. De nombreux indices annonçaient l’existence de négociations avec le Fonds monétaire international (FMI).

Le premier de ces indices était le programme économique du gouvernement indéniablement calqué sur les exigences du FMI. Pourtant, le gouvernement et la Banque centrale niaient catégoriquement de telles négociations. Du jour au lendemain, les Egyptiens ont découvert avec surprise la présence en Egypte d’une délégation du FMI, chaleureusement accueillie par les autorités officielles qui affirmaient qu’un accord avec le Fonds aurait pour résultat, non seulement d’accorder un prêt important à l’Egypte, mais serait également un gage de confiance dans l’économie égyptienne qui allait contribuer à sa stabilité, inspirer confiance aux marchés et par conséquent faire affluer les investissements étrangers et ouvrir au gouvernement la porte des emprunts extérieurs. A peine deux semaines après le début de la visite de la délégation du FMI, les responsables égyptiens, puis ceux du FMI ont déclaré être parvenus à un accord de principe sur l’octroi à l’Egypte d’un prêt de 12 milliards dollars sur trois ans, visant à soutenir le programme économique du gouvernement, 9 autres milliards devant être fournis par d’autres sources de financement.

Il est difficile de se procurer le programme complet du gouvernement, mais le budget de l’Etat et les déclarations du gouvernement indiquent que ce programme vise à contrôler le déficit budgétaire et restaurer la confiance dans l’économie égyptienne en général et dans la livre égyptienne en particulier, et ce, selon quatre axes:

  1. La hausse des prix de l’énergie et des services publics ainsi que l’adoption et l’application d’une loi sur la Fonction publique permettant de réduire la proportion des salaires dans les dépenses publiques.
  2. La création d’une Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour augmenter les recettes fiscales.
  3. L’adoption d’un taux de change souple reflétant la valeur réelle de la livre égyptienne, ce qui impliquera, une fois de plus, une dévaluation importante de la livre.
  4. L’augmentation des recettes de l’Etat par la vente d’actifs immobiliers inexploités et la privatisation d’entreprises publiques rentables par leur mise en vente sur le marché financier.

Ces quatre axes visent à augmenter les recettes de l’Etat en réduisant rapidement les dépenses publiques pour contribuer à réduire le déficit budgétaire à un niveau viable, améliorer le climat économique et stabiliser le taux de change, ce qui devrait augmenter l’afflux de devises vers l’économie égyptienne. Mais ces mesures provoqueront une vague inflationniste plus grande que les vagues précédentes. Notons que les prix augmentent fortement depuis quelque temps, au point où le taux d’inflation a, au cours des derniers mois, frisé les 15%, ce qui signifie que la hausse ressentie par la population lors de l’achat du panier de produits et services nécessaires est encore plus importante en raison des différences entre les modes de calcul des prix.

Signalons que ces hausses importantes ont été enregistrées avant la mise en place par le gouvernement du programme économique exigé pour la conclusion de l’accord avec le FMI. Une fois l’accord conclu, on ne pourra pas échapper à la mise en place d’un programme de réforme économique comprenant des mesures délicates comme: supprimer les subventions, augmenter les prix des services publics, exiger plus d’impôts et dévaluer la livre, ce qui ne manquera pas de provoquer une grande vague inflationniste incluant la plupart des produits et services disponibles sur le marché. De même que cette vague provoquera mécaniquement une hausse continue des prix plus importante que toutes les autres vagues des trois décennies précédentes, en raison de l’effet cumulatif de toutes ces mesures réunies. La prochaine vague de hausses de prix aura donc un coût social et politique. Chaque vague de hausse de prix emporte avec elle une partie du pouvoir d’achat de nombreux individus et familles. Avec la puissante vague attendue, cette perte sera énorme pour la population à bas revenus et la classe moyenne.

Les personnes à hauts revenus ont naturellement des excédents financiers leur permettant d’encaisser le choc de ces hausses. De même qu’une partie non négligeable de leur fortune est en dollars ou en biens immobiliers, ce qui préserve sa valeur. A contrario, la situation de la population à bas revenus va empirer et cette catégorie va grossir, les statistiques officielles ayant indiqué que 1,5 million de familles étaient passées en dessous du seuil de pauvreté au cours de la seule année 2015. De même qu’avec l’ampleur de cette classe et une hausse effrénée des prix dépassant de plusieurs fois la hausse des salaires, cette catégorie va passer avec le temps de la pauvreté à la misère. Cette catégorie n’ayant pas la possibilité d’augmenter légalement ses revenus à la hauteur des prix et n’ayant pas d’épargne sur laquelle compter, une partie de ses membres aura recours aux associations caritatives pour subvenir à ses besoins tandis que d’autres tomberont dans l’illégalité. Quant à la catégorie des jeunes, elle aura recours à l’émigration, principalement illégale.

Le programme de réforme économique sur lequel le gouvernement et le FMI sont tombés d’accord prévoit, certes, de renforcer le dispositif de garanties sociales en augmentant certaines subventions aux produits alimentaires et les programmes d’aides en espèces. La prise en considération de la dimension sociale du programme et l’insistance du FMI sur son importance sont des indications très positives et le signe d’un récent intérêt du Fonds pour cette question, qui tranche avec son attitude traditionnelle. Mais ceci n’effacera pas pour autant les effets négatifs des réformes.

Quant à la classe moyenne, qui a toujours été la garante de la sécurité économique et sociale du pays étant donné sa préférence pour la stabilité par rapport au changement même en cas de difficultés, elle verra son pouvoir d’achat s’effriter rapidement, ce qui va aboutir à sa paupérisation et au glissement chaque année d’une partie non négligeable d’entre elle en dessous du seuil de pauvreté pour rejoindre la catégorie des bas revenus comme on l’a vu l’année passée. Cette catégorie compte sur un revenu fixe qu’il n’est pas aisé d’augmenter. Avec l’effritement de son pouvoir d’achat, elle rencontrera des difficultés, d’autant plus grandes qu’elle ne pourra pas bénéficier des services des associations caritatives qui croulent sous les demandes des plus bas revenus. Ce changement pourrait pousser les jeunes de cette catégorie à protester, voire à se révolter contre cette mauvaise situation.

Mais il serait peut-être sage de la part des membres de cette catégorie de réduire drastiquement leurs dépenses au cours de la prochaine étape et de les réserver à ce qui est indispensable pour pouvoir traverser cette étape critique qui risque de durer encore quelques années avant que la réforme économique ne porte ses fruits, si les conditions politiques et sécuritaires locales le permettent et si l’économie mondiale se redresse et que son amélioration produit des effets positifs sur les pays émergents, y compris l’Egypte. (Article publié dans le quotidien Al-Shourouk le 19 août 2016. Traduction Hany Hanna)

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[1] Au début de la présidence Sissi en juin 2014, le taux de change officiel du dollar était de 7,15 LE. Il est actuellement de 8,88. Sur le marché parallèle des devises, il se vend actuellement à 12,75 LE. Cet article écrit par un acteur du système capitaliste montre avec clarté les contre-réformes qui sont mises en mouvement.

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