Egypte. «La raison d’existence de Tamarrod n’existe plus»

La mobilisation du 30 juin 2013
La mobilisation du 30 juin 2013

Par May Atta

Le mouvement Tamarrod (Rébellion) est la cible de nombreuses critiques en raison des déclarations de l’un de ses dirigeants, Mohamad Abdel-Aziz, favorable au maintien dans la nouvelle Constitution de l’article permettant le jugement des civils devant les tribunaux militaires.

Des informations ont circulé sur des démissions massives au sein du mouvement «qui a dévié de ses principes fondamentaux», démissions que le mouvement a officiellement niées.

Tamarrod, un mouvement de contestation créé en avril 2013, rassemblait des jeunes de divers horizons politiques dans l’objectif d’organiser une élection présidentielle anticipée. Pour y parvenir, Tamarrod avait lancé une campagne visant 15 millions de signatures (ce sont 22 millions qui ont été réunies) pour retirer la confiance au président aujourd’hui destitué, Mohamad Morsi.

Mais aujourd’hui, beaucoup de  militant·e·s remettent en question la crédibilité de ce mouvement qui a incité des millions d’Egyptiens à sortir dans la rue le 30 juin 2013 appelant à la démission du président issu des Frères musulmans. Les déclarations de divers de ses membres connus et leur position favorable à l’investiture du ministre de la Défense Abdel-Fattah Al-Sissi pour la présidentielle prévue en 2014, en ont fait un mouvement «à la solde» de l’armée, selon ses détracteurs.

Des activistes ont rassemblé les déclarations faites en 2012 par un autre cadre du mouvement, Mahmoud Badr, où il s’opposait à la comparution de civils devant la justice militaire, pour montrer que les dirigeants de Tamarrod sont « revenus sur leurs positions ».

Le sujet au cœur de la polémique est l’article 174 du projet de Constitution en cours d’amendement. Il stipule qu’«il est interdit de traduire un civil devant la justice militaire, sauf en cas de crimes représentant une agression directe contre les forces armées». L’article est une reproduction exacte de l’article 198 de la Constitution adoptée sous le régime du président Morsi.

Mohamad Abdel-Aziz, auteur des déclarations controversées et qui représente Tamarrod au comité des 50 (élaborant le projet de Constitution), explique qu’au sein de celui-ci, plusieurs avis s’opposent. «Certains membres sont pour l’annulation pure et simple de cet article, alors que d’autres veulent le maintenir tout en précisant les dispositions cautionnant la comparution des civils devant un tribunal militaire», reconnaît Abdel-Aziz, qui se range en faveur de la deuxième option.

«J’ai expliqué que l’article, tel qu’il a été adopté dans la Constitution de 2012, était flou, et qu’il fallait préciser les cas qui justifient le recours à la justice militaire. Pour moi, il faut les limiter à l’attaque des installations et des équipements militaires et l’agression des personnels militaires en service», explique-t-il. Selon lui, «les circonstances actuelles ne permettent pas la suppression de cet article».

La récolte des 22 millions de signatures
La récolte des 22 millions de signatures

Al-Sissi président

Quant à l’investiture éventuelle d’Al-Sissi à la présidentielle, Abdel-Aziz n’a pas nié l’intention de «son mouvement» de soutenir une telle démarche. Il n’estime pas qu’une telle position pourrait éroder la popularité de Tamarrod. «Bien au contraire, notre mouvement gagne en popularité parce qu’il a toujours exprimé la volonté et les demandes des Egyptiens», estime-t-il.

Ahmad Maher, cadre d’un plus ancien mouvement de contestation, Le Mouvement du 6 avril, refuse de commenter les propos des dirigeants de Tamarrod. «Tout ce que je sais, c’est que nous avons trop souffert de l’ingérence de l’armée dans la vie politique. Ce n’est pas à travers de tels articles qu’on arrivera à en finir avec l’hégémonie des militaires».

Durant les mois de transition militaire qui ont suivi la chute du régime de Hosni Moubarak en février 2011, près de 12’000 Egyptiens, dont des mineurs, ont été détenus et traduits devant les tribunaux militaires, notamment pour avoir participé à des manifestations proclamant la remise du pouvoir à une autorité civile. Ce qui a conduit un nombre d’avocats et de militants dans le domaine des droits de l’homme à former le mouvement «Non aux procès militaires de civils».

Des représentants de ce mouvement se sont réunis cette semaine avec des membres du comité des 50, ce qui a donné un espoir quant à la suppression de l’article en question, même si les débats sont toujours en cours.

«Les témoignages de personnes civiles ayant comparu devant les tribunaux militaires, ainsi que notre propre expérience, nous montrent les défaillances de cette justice. Je suis surprise de la position du mouvement Tamarrod relative à ce sujet», affirme Mona Seif, du mouvement Non aux procès militaires.

«Il faut réaliser que les combats ne sont pas menés par un mouvement quel qu’il soit. Un mouvement peut mobiliser, comme ce fut le cas pour Tamarrod, mais au bout du compte, c’est le peuple qui est le vrai leader de sa révolution, c’est lui qui se trouve sur le terrain», pense Khaled Abdel-Hamid, membre du tout nouveau «Voie de la révolution», un mouvement qui se distingue à la fois des militaires et des Frères musulmans. «Aucun mouvement ne peut contrôler la population. L’idée de Tamarrod fut géniale, les gens l’ont bien accueillie, mais au cas où ce mouvement déciderait de renoncer aux objectifs de la révolution, il se trouvera derrière le peuple qui continuera sa marche», ajoute-t-il.

Mina Nadi, du mouvement militant des Jeunes de Maspero [allusion aux mobilisations sur cette place], va encore plus loin. Selon lui, la raison d’être de Tamarrod n’existe plus. «Ce mouvement a accompli la mission pour laquelle il s’est donné, à savoir faire chuter le président Morsi. Si les membres de ce mouvement souhaitent continuer leur activisme, ils n’ont qu’à le faire de manière individuelle. Quant au mouvement, il doit se dissoudre faute de quoi il sera exploité de la part d’un nouveau réseau d’intérêts semblable à celui de Moubarak et des Frères. Aujourd’hui, c’est aux forces populaires d’aller jusqu’au bout du chemin», insiste Nadi. (Al Ahram, 9 octobre 2013)

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