Par Maia Hibbett
L’establishment du Parti démocrate de New York a désormais le choix: se rallier à une étoile montante de la politique, saluée comme un talent unique en son genre capable d’élargir la base électorale du parti, ou tenter de ressusciter la carrière politique de l’un de ses dirigeants discrédités.
Ce choix s’est imposé lorsque Zohran Mamdani, un membre de l’Assemblée de l’Etat de New York, âgé de 33 ans, a remporté mardi une nette victoire lors des primaires démocrates pour la mairie de New York [voir l’article publié sur ce thème le 25 juin].
La caste politique de la ville et le Parti démocrate de l’Etat avaient depuis longtemps écarté Zohran Mamdani en raison de son socialisme démocratique affiché, et sa victoire a été un choc même pour les soutiens de sa campagne. Les résultats de cette élection à vote préférentiel (une primaire) ne seront officiellement annoncés que la semaine prochaine, et l’hypothèse était que, à moins qu’un candidat ne dispose d’une avance suffisante, les New-Yorkais devraient attendre avec impatience le dépouillement des deuxième, troisième, quatrième et cinquième choix des électeurs.
Mardi soir 24 juin, cependant, l’ancien gouverneur de New York Andrew Cuomo, considéré comme le favori depuis le début de la campagne jusqu’à l’arrivée des premiers résultats, a fait ce qu’il avait toujours refusé de faire: admettre sa défaite.
«Ce soir, c’est son soir. Il l’a mérité. Il a gagné», a déclaré Andrew Cuomo avec une franchise et une sincérité qui avaient fait défaut dans ses réponses pendant la campagne électorale aux 13 femmes qui l’avaient accusé de harcèlement sexuel ou à son administration pour avoir falsifié les rapports sur le nombre de décès liés au Covid dans les maisons de retraite. Bien qu’il ne se soit pas montré optimiste, il a laissé la porte ouverte à la poursuite de sa candidature indépendante prévue en novembre 2025. «Nous allons examiner la situation et prendre des décisions.»
Alors que Cuomo concédait sa défaite, les intentions d’un autre candidat à la mairie étaient sans ambiguïté: Eric Adams, l’actuel maire de New York, a rapidement commencé à supprimer les logos de sa campagne et à publier des messages attaquant Zohran Mamdani, en passe de devenir le premier maire musulman de New York, en le qualifiant d’antisémite.
On pardonnera aux lecteurs et lectrices d’avoir oublié qu’Eric Adams, qui a été inculpé il y a neuf mois pour corruption au niveau fédéral, est bel et bien candidat à sa réélection.
Le maire a fait profil bas au niveau national depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et la décision du ministère de la Justice de classer l’affaire Adams. L’affaire s’est opportunément dématérialisée, laissant entendre qu’Adams devrait aider l’administration Trump dans sa politique d’expulsion brutale des immigré·e·s.
Cependant, le fait d’être loin des projecteurs n’a pas empêché Adams de travailler: il a expulsé des journalistes de sa conférences de presse le 17 juin, abandonné des projets de construction de logements à prix abordables et aligné son administration sur celle de Tom Homan [directeur par intérim de l’United States Immigration and Customs Enforcement-ICE], le tsar des frontières de Trump, afin de faciliter les opérations d’expulsion dans la ville supposée sanctuaire de New York.
Adams a fait l’impasse sur les primaires démocrates au motif qu’il avait été «abandonné» par son parti, dont le plus haut responsable au niveau de l’Etat a, à deux reprises, refusé de le démettre de ses fonctions. Comme Cuomo, Adams a annoncé il y a plusieurs mois son intention de se présenter en tant que candidat tiers aux élections générales.
Si l’un de ces deux candidats, ou les deux, maintiennent leur candidature en novembre, le centre névralgique du pouvoir du Parti démocrate de New York devra choisir s’il préfère porter le poids politique d’Adams ou de Cuomo plutôt que de suivre la volonté des électeurs et électrices des primaires, qui souhaitent un nouveau visage.
Quel est le problème avec un jeune candidat populaire qui a mobilisé les électeurs et électrices de la ville comme personne d’autre depuis des décennies? Zohran Mamdani est connu pour ses «faux pas politiques», comme avoir appelé à une augmentation des impôts pour les riches et refusé de céder au lobby pro-israélien.
Attaques pro-israéliennes
Les positions de Zohran Mamdani sur le conflit israélo-palestinien, en particulier, ne manqueront pas de lui valoir de violentes attaques de la part d’un probable candidat alternatif.
Israël plane sur la compétition électorale depuis avant même qu’elle ne commence. Andrew Cuomo a passé son temps dans le désert politique [en août 2021 il a annoncé sa démission du poste de gouverneur] à rejoindre l’équipe juridique qui défend le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou contre des accusations internationales de crimes de guerre. De son côté, Eric Adams envisage de se présenter sous la bannière d’un parti appelé «EndAntisemitism» (Fin de l’antisémitisme), reprenant ainsi la stratégie de la droite qui assimile à tort les critiques d’Israël à de l’antisémitisme.
Et les plans pour une attaque pro-israélienne contre Zohran Mamdani se mettent en place depuis des mois.
A l’approche des primaires, il a été interrogé à plusieurs reprises sur la question de savoir s’il pensait qu’Israël avait le droit d’exister en tant qu’Etat juif ou s’il condamnerait l’expression «mondialiser l’Intifada». Il a répondu à plusieurs reprises qu’il souhaitait donner la priorité à une politique humanitaire pour tous, qui permettrait à des personnes de toutes confessions d’être mieux protégées contre les attaques haineuses.
Ce refus de capituler a attiré la colère de donateurs pro-israéliens tels que le milliardaire Bill Ackman, qui a investi massivement dans un comité d’action politique pro-Cuomo. Toutefois, le poids entier du lobby israélien ne s’est pas encore fait sentir.
Si le lobby pro-israélien national de référence, l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), ne s’est pas impliqué directement dans les élections municipales de New York, la ville et l’Etat disposent de leur propre groupe de financement pro-israélien: Solidarity PAC. Il a investi massivement dans des campagnes électorales clés, âprement disputées, au Conseil municipal de New York avant les primaires – et a perdu ses combats les plus médiatisés. Quelques jours avant les primaires, la Democratic Majority for Israel, alignée sur l’AIPAC, a publié une déclaration exhortant les électeurs à rejeter Zohran Mamdani.
Dans les mois à venir, ces forces pro-israéliennes, ainsi que les mêmes grands donateurs qui ont soutenu la terne campagne des primaires de l’ancien gouverneur, vont très certainement inonder les ondes publiques de publicités anti-Mamdani.
Les centristes pour Mamdani?
Dans les commentaires politiques nationaux, New York est à la fois saluée et critiquée comme une utopie de gauche coupée de la réalité politique du reste du pays. La vérité, cependant, est que les dirigeants démocrates de New York – et, selon la sagesse politique conventionnelle, une grande partie de leur électorat – sont fermement centristes.
Ces dirigeants, qui répètent à l’envi qu’une des régions les plus riches du monde ne peut pas prélever un peu plus d’impôts sur les plus riches pour aider les plus pauvres, peuvent-ils accepter dans leurs rangs un redistributionniste comme Mamdani?
Il semble que oui. La gouverneure Kathy Hochul [en fonction depuis août 2021 suite à la démission de Cuomo, puis élue en novembre 2022], qui a travaillé pour Cuomo et qui, plus récemment, s’est abstenue de destituer Adams, a publié le 24 juin un message de félicitations à l’intention de Mamdani. L’élu new-yorkais Hakeem Jeffries, le plus haut responsable démocrate à la Chambre des représentants, a déclaré à la télévision câblée que Mamdani avait «surpassé ses concurrents en termes de travail, d’organisation et de communication». Le chef de la minorité au Sénat, Chuck Schumer, s’est joint à lui mercredi matin 25 juin.
Mais il est trop tôt pour savoir si l’appareil du Parti démocrate va soutenir la campagne de Mamdani. Féliciter un candidat n’est pas la même chose que le soutenir. Et le malaise est palpable chez certains démocrates des circonscriptions indécises de New York, comme l’élue Laura Gillen [en novembre 2024] de Long Island, qui a déclaré mercredi que «le socialiste Zohran Mamdani est trop extrême pour diriger la ville de New York» [1].
En déclarant sa victoire le soir des élections, Zohran Mamdani a présenté un avenir optimiste, fait d’unité entre l’establishment du Parti démocrate et sa campagne plus radicale. «Il y a une heure, j’ai discuté avec Andrew Cuomo de la nécessité de rassembler cette ville lorsqu’il m’a appelé pour reconnaître sa défaite», a-t-il déclaré à ses partisans, levant la main pour faire taire les huées à l’évocation du nom de l’ancien gouverneur.
Il a remercié le contrôleur des finances de la ville de New York, Brad Lander, un candidat à la mairie qui a apporté son soutien à Mamdani, et a attribué son succès à leur stratégie commune. «Ensemble, nous avons montré la puissance de la politique de l’avenir, une politique de partenariat et de sincérité.»
Le reste du Parti démocrate doit maintenant décider si c’est aussi son avenir. (Article publié sur le site Intercept le 25 juin 2025; traduction rédaction A l’Encontre)
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[1] Le Financial Times du 25 juin rapporte que «le président Donald Trump a qualifié Zohran Mamdani de “communiste fou à 100 %” au lendemain de la victoire surprise du candidat à la mairie de New York lors des primaires démocrates de la ville. Dans un message publié sur sa plateforme Truth Social, Trump a attaqué Mamdani, le qualifiant de “gauchiste radical” qui était “en passe de devenir maire”. “Ça y est, les démocrates ont franchi la ligne rouge”, a écrit le président. “Oui, c’est un moment important dans l’histoire de notre pays!”» (Réd. A l’Encontre)
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