Dix ans plus tard… L’occasion manquée et la défaite de 2015

Par Antonis Ntavanellos

La tragédie burlesque qui a suivi l’élection de Stefanos Kasselakis à la tête de SYRIZA [de septembre 2023 à septembre 2024] prouve une fois de plus que dans la vie, et plus encore dans la vie politique, aucun «compte important» ne reste impayé. Dans le cas de SYRIZA, le «compte» était particulièrement élevé et important. Il concernait le moment historique de «2015», lorsqu’Alexis Tsipras a vendu une opportunité historique pour les travailleurs et travailleuses de contrer l’attaque néolibérale du capital sous la forme brutale qu’elle a prise en Grèce après le déclenchement de la crise internationale de 2008, avec les politiques dictées par les prétendus mémorandums entre les gouvernements grecs et la «troïka» (UE-BCE-FMI).

L’histoire

Au cours des années qui ont suivi, nous avons entendu ou lu des dizaines de fois l’affirmation selon laquelle Alexis Tsipras était la «figure de proue» qui avait pris en main un petit parti qui obtenait 3 à 4% des voix et l’avait conduit au pouvoir. Cette affirmation n’a aucun rapport avec la réalité et n’a guère de crédibilité auprès de quiconque a une expérience authentique de la réalité de SYRIZA avant 2015.

SYRIZA a été fondé et s’est progressivement renforcé au plan politique grâce à son association avec le mouvement international contre la mondialisation capitaliste néolibérale, la guerre et le racisme. Il s’est développé sous la forme hybride d’un «parti» – ressemblant davantage à un front uni dans le domaine politique – qui tentait d’exprimer de manière systématique et organisée les dizaines de milliers de personnes qui soutenaient les actions efficaces du Forum social grec dans la lutte politique quotidienne de l’époque. Le choix n’était pas unanime: les partisans d’une convergence avec la social-démocratie et le centre-gauche, les partisans d’une stratégie purement électorale, les partisans d’«élargissements» successifs vers le centre politique – qui n’étaient pas une frange marginale du parti Synaspismos à l’époque – considéraient la formation de SYRIZA comme une «erreur désastreuse de l’extrême gauche». Ils se sont battus bec et ongles pour la faire éclater. La fondation de SYRIZA [janvier 2004], sa stabilisation et la concentration du pouvoir politique qui s’est progressivement réalisée pendant les années de direction d’Alekos Alavanos [président de SYRISA de décembre 2004 à février 2008] reposaient sur un virage à gauche et le rejet du glissement vers la social-démocratie. Ce rappel revêt aujourd’hui une importance politique particulière, car le régime et les mécanismes idéologiques et politiques à son service tentent d’imposer comme évidence que seules les politiques de droite ont des perspectives, que seul le consensus conservateur permet d’accéder au pouvoir politique.

La dynamique interne de SYRIZA pendant cette période ascendante et radicale a montré qu’un changement substantiel du terrain politique était possible, visant à la création d’une large force d’opposition de la gauche radicale. Lorsque, après décembre 2008, Alekos Alavanos a ouvert le débat sur le slogan «gouvernement de gauche», il a été accueilli avec un scepticisme dédaigneux de la part de nombreux milieux (y compris les principaux «conseillers» d’Alexis Tsipras). Pour notre part, nous avions déclaré que nous n’étions pas intéressés par un virage vers un «populisme» électoral de gauche, sur le modèle du PT de Lula au Brésil, car c’était la seule «voie» pour prétendre au pouvoir gouvernemental dans les circonstances spécifiques de l’époque.

Tout cela a radicalement changé avec la crise. La crise internationale de 2008 a ébranlé le capitalisme grec dans ses fondements, invalidant toutes les recettes qui avaient été essayées jusqu’alors pour assurer sa croissance. La décision du Premier ministre de l’époque, Giorgos Papandreou [d’octobre 2009 à novembre 2011], d’accepter le plan d’austérité draconien dicté par les créanciers et de déclarer depuis la petite île de Kastelorizo le premier mémorandum, a conduit à l’entrée massive des masses populaires et laborieuses dans la sphère politique, dans le but de repousser le choix réactionnaire fait par la classe dirigeante locale en accord avec l’UE, la BCE et le FMI. Les grèves générales successives, les rassemblements massifs dans toutes les villes du pays, l’occupation des places publiques, la résistance acharnée contre la brutalité des mécanismes de répression étatique, etc. ont montré la détermination du peuple à «briser le mur» de l’accord du mémorandum entre les capitalistes locaux et la Troïka. Au cours de cette longue période de luttes ascendantes, le peuple a combiné les formes de lutte de «rue» (avec les longs sièges du Parlement par des centaines de milliers de manifestants déterminés) et celles de la lutte «électorale» (affaiblissant à une vitesse sans précédent l’influence électorale de la Nouvelle Démocratie-ND et du PASOK-Mouvement socialiste panhellénique et reportant ses espoirs et ses aspirations principalement vers la gauche).

La montée qualitative du mouvement de résistance en Grèce a également eu une dimension internationale cruciale. Les luttes menées ici sont devenues un point de référence, d’abord dans les pays du club des PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne), mais aussi dans le reste de l’Europe. Wolfgang Schäuble (ministre des Finances) et Angela Merkel, chancelière, se sont révélés plus perspicaces que les dirigeants politiques locaux (y compris ceux de SYRIZA) lorsqu’ils ont proclamé la nécessité de repousser la «contagion» (du «virus» grec de la résistance) comme pilier essentiel de leur politique pendant ces années cruciales. Les dirigeants européens ont compris que si le mouvement et la gauche en Grèce réussissaient à briser l’offensive du mémorandum, cette «rupture» ne resterait pas isolée à un petit Etat membre de l’UE, mais menacerait directement l’équilibre sociopolitique dans toute l’Europe.

Quiconque sous-estime la puissance du mouvement de masse de la période «anti-Mémorandum» est condamné à ne jamais comprendre les développements politiques explosifs de l’époque. Mais il est également nécessaire de clarifier une autre «limite» de cette période brûlante. Malgré la montée qualitative du mouvement, celui-ci n’a pas atteint le point de créer les conditions d’une crise pré-révolutionnaire ou révolutionnaire immédiate. En Grèce, entre 2010 et 2015, n’a émergé aucune forme d’organisation indépendante de la classe ouvrière capable de susciter une réponse révolutionnaire à la question du pouvoir. Aucune forme de «conseils ouvriers» n’est apparue, ni comparable à la période historique classique du mouvement révolutionnaire (les soviets), ni même comparable aux formes «embryonnaires» qui se sont développées, par exemple, au Chili en 1970-1973 ou au Portugal en 1974-1975.

La situation pendant la période brûlante de 2010-2012 semblait tout droit sortie des manuels et des débats du 4e Congrès du Comintern: une crise sociale aiguë, une crise politique aiguë persistante, l’incapacité des forces politiques établies à soutenir une stabilité gouvernementale «communément acceptée» et la forte tendance à la hausse des luttes ouvrières et sociales, qui n’avaient pas (ou pas encore…) atteint le niveau nécessaire pour soutenir une solution de changement socialiste révolutionnaire. Le Komintern de l’époque de Lénine nous a légué, en réponse à des conditions similaires, une politique centrée sur le front unique, la politique de transition et la lutte pour un gouvernement de gauche.

C’est un secret de polichinelle que, dès le début, des divergences politiques et des conflits aigus ont opposé SYRIZA sur les questions cruciales liées à cette orientation. En 2010, avec le Front de solidarité et de révolte, dirigé par Alekos Alavanos, l’aile gauche de SYRIZA s’était ouvertement et publiquement séparée de la majorité dirigeante autour d’Alexis Tsipras. En 2013, lors du premier congrès de SYRIZA, la Plateforme de gauche, opposée à la direction, avait obtenu le soutien de plus de 30% des délégué·e·s.

Ceux qui aiment comprendre l’histoire sur la base du «résultat final» devraient se rappeler que les questions politiques auxquelles SYRIZA a finalement tenté de répondre n’ont pas été posées en premier lieu à SYRIZA ou uniquement à SYRIZA par le peuple.

Le premier candidat à aborder la question de l’expression politique du vaste courant contestataire de l’époque a été, naturellement, le Parti communiste. Lors des élections régionales de novembre 2010, le Parti communiste avait recueilli 14,44% des voix en Attique, loin devant SYRIZA, qui était alors, en outre, confronté à une crise ouverte de direction.

Lors des élections nationales de mai 2012, alors que le séisme politique commençait, le PC a obtenu 540 000 voix et 8,48%, son meilleur score depuis la crise provoquée par les événements de 1989: [arrestation en mars du banquier Georges Koskotas pour détournement de fonds avec des répercussions, vu les liens établis, pour le gouvernement Papandréou; en juin les élections marquent la victoire de ND avec un recul du PASOK, ce qui ouvre une crise gouvernementale avec un gouvernement minoritaire de droite; Papandréou est déféré devant une cour spéciale, suite à des «écoutes téléphoniques illégales», à quoi s’ajoute l’assassinat du député conservateur Pavlos Bakoyannis; les élections de novembre aboutissent à une situation de pat entre ND et Pasok; la Coalition de gauche et progrès paie le prix de son alliance avec la droite à l’occasion de la formation du gouvernement minoritaire de juillet].

Dans ce contexte, le Parti communiste a clairement sous-estimé l’importance des luttes contre le mémorandum, il a refusé d’assumer les tâches qui correspondaient à son poids politique, il a refusé d’élaborer une orientation politique qui réponde concrètement à la demande populaire de renversement des gouvernements qui ont mis en œuvre le mémorandum. Lors des élections suivantes, un mois plus tard, le 12 juin 2012, il est tombé à 272 000 voix et 4,5%, perdant la moitié de son influence électorale. Lors du référendum de 2015 sur le plan d’austérité proposé par la Troïka, 6 électeurs du PC sur 10 ont voté NON, rejetant l’appel du parti à l’abstention [61,31% des électeurs et électrices ont voté contre l’approbation de ce plan]. Dans ce contexte, lorsque la crise et la défaite du gouvernement Tsipras se sont manifestées ouvertement lors des élections de 2019, le Parti communiste n’a remporté que 299 000 voix, soit 5,3% des électeurs, loin de la force politique dont il disposait au début d’une période de grandes luttes et de crise sans précédent. Il s’agit principalement d’un échec politique et pas seulement électoral.

Des conclusions similaires s’appliquent à ANTARSYA [coalition d’organisations anticapitalistes, créée en 2009], bien sûr à une échelle différente en termes de responsabilités. Dans un climat de virage général vers la gauche, en mai 2012, ANTARSYA a enregistré un record historique en termes d’influence électorale avec 75 428 voix et 1,19%. Mais elle n’a pas pu résister à la pression politique. En juin, elle est tombée à 20 000 voix et 0,3%, perdant en un mois les deux tiers d’un électorat minoritaire et, par définition, «politiquement endurci», qu’elle n’a jamais réussi à reconquérir. Au moment de la défaite de Tsipras, en 2019, ANTARSYA était réduit à un simple «score de présence» de 23 000 voix et 0,41%.

Les chiffres des élections ne reflètent qu’une partie de la réalité. Le refus du PC d’entrer dans un processus sérieux pour trouver une alternative au gouvernement Samaras-Venizelos [2013] a été l’un des principaux prétextes invoqués par le groupe dirigeant autour de Tsipras pour justifier son ouverture opportuniste envers l’ANEL [Grecs indépendants, une scission de la Nouvelle Démocratie qui s’opposait au mémorandum pour des raisons nationalistes] et, en même temps, a constitué l’une des principales faiblesses de l’aile gauche de SYRIZA dans le débat sur les alliances politiques possibles.

En 2010, ANTARSYA avait sommairement rejeté la proposition du Front de solidarité et de révolte (qui comprenait une grande partie du Courant de gauche du Synaspismos, la Gauche ouvrière internationaliste – DEA, l’Organisation communiste de Grèce – KOE, le Mouvement pour l’unité de la gauche en action – KEDA et d’autres) pour une nouvelle initiative unitaire dans le domaine politique. Nous ne saurons jamais ce qui se serait passé si les défis de la période qui a suivi avaient été relevés par une «synthèse» de l’aile gauche de SYRIZA et des forces de l’ANTARSYA.

Dès lors, la bataille de 2015 s’est principalement déroulée au sein de SYRIZA.

Gouvernement de gauche ou gouvernement de salut national

Avant de remporter les élections, SYRIZA avait déjà gagné politiquement le «droit» d’exprimer les espoirs du peuple en faveur du rejet de l’austérité draconienne, en reconnaissant comme condition préalable le renversement du gouvernement d’austérité Samaras-Venizelos et en promettant une «rupture» avec la Troïka.

Cela a été rendu possible sur la base d’un programme idéologique et politique défini dans les décisions du 1er congrès de SYRIZA et dans le programme électoral de Thessalonique. La DEA, ainsi que la grande majorité de la Plateforme de gauche n’avaient pas voté en faveur des décisions du congrès de 2013, les qualifiant d’insuffisantes, tandis que nous avions publiquement qualifié le programme de Thessalonique [septembre 2014] de modeste et insuffisant. Néanmoins, la «plateforme» de SYRIZA approuvée par le congrès offrait encore une base suffisante pour une large unité d’action, pour le rassemblement d’une force politique qui commençait à menacer les forces du régime. La fuite massive des capitaux et des fonds à l’étranger, ainsi que les déclarations fréquentes de Samaras, Meimarakis [président du Parlement grec de 2012 à 2015] et d’autres politiciens de droite rappelant ouvertement au public que la bourgeoisie dispose d’autres moyens pour se défendre – au-delà de l’arène parlementaire – ont été une manifestation typique de la panique qui couvait au sein de la «bonne société» à l’approche de 2015. Sur la scène internationale, il était clair que l’UE et la BCE se préparaient à traiter le nouveau gouvernement grec de manière «belliqueuse» s’il tentait de suivre la politique promise par le «collectif» Syriza.

Ce scénario ne s’est jamais concrétisé. Car contrairement aux contes de fées racontés par les «perroquets» de la presse mainstream, la majorité dirigeante autour d’Alexis Tsipras s’est «soustraite» à tous ses engagements, aux décisions du congrès, au programme de Thessalonique, etc., abandonnant dans la panique toute la politique sur laquelle reposaient le pouvoir politique et l’influence électorale de SYRIZA. Le projet de «gouvernement de gauche» n’a pas été testé dans la pratique; il n’a même pas été tenté. Il a été remplacé dès le départ par le projet de «gouvernement de salut national», qui avait pour limite politique implicite la recherche d’un consensus avec la classe dirigeante locale, mais aussi avec la Troïka. Ce «tournant», qui se préparait depuis longtemps (depuis 2013 et plus clairement depuis 2014…), s’appuyait sur les élaborations d’un «parti dans le parti» fermé, la majorité dirigeante issue du Synaspismos, qui, terrifiée par les tâches qui l’attendaient, a abandonné toutes les caractéristiques du précédent «tournant à gauche» afin de revenir à toute vitesse aux traditions les plus ratées de l’eurocommunisme. Alexis Tsipras et ses acolytes ont tenté de gouverner sur la base de la politique de… Fotis Kouvelis [dirigeant de la Gauche démocratique de 2010 à 2015] qui, doté d’une cohérence idéologique sur les «principes» de Leonidas Kyrkos (eurocommuniste conservateur) et sa stratégie de large unité nationale, avait auparavant abandonné SYRIZA et s’était rallié au deuxième mémorandum, en alliance avec Samaras et Venizelos.

La politique des alliances est un critère irréfutable pour le contenu de toute perspective politique. Le congrès de SYRIZA avait clairement défini les limites de ses alliés potentiels: «de la gauche de la gauche aux sociaux-démocrates qui s’étaient opposés au mémorandum». Tsipras a formé un gouvernement de coalition avec l’ANEL et a choisi comme président de la République Prokopis Pavlopoulos [en fonction de mars 2015 à mars 2020], le politicien de la Nouvelle Démocratie qui, en tant que ministre de l’Intérieur, était «à la tête de l’Etat» pendant la révolte des jeunes de décembre 2008.

La DEA, alors courant de SYRIZA, avait publiquement mis en garde contre l’importance de ces choix, mais nous n’étions pas du tout heureux d’être les seuls à dénoncer cette situation. Le programme de SYRIZA était basé sur la promesse de «mesures unilatérales» pour rompre avec l’austérité (rétablissement des 13e et 14e mois et des retraites, réintroduction des conventions collectives, abolition de la taxe foncière horizontale pour les revenus faibles et moyens, réduction drastique de la TVA, etc.).

Le gouvernement Tsipras a suspendu la mise en œuvre de ces «actions unilatérales» jusqu’à ce qu’un consensus plus large se dégage à leur sujet avec… les créanciers! La revendication de la mise en œuvre immédiate et unilatérale de ces engagements était un point fort de la Plateforme de gauche et a séduit une grande partie de la base de SYRIZA.

Le programme de SYRIZA reconnaissait certes la perspective d’une «négociation» avec la Troïka, mais il déclarait qu’elle se ferait sur la base d’une cessation des remboursements de la dette, de la renationalisation des banques, de mesures visant à contrôler les «libertés» accordées aux sorties de capitaux et de la demande d’un audit public de la dette. Dans le discours public d’Alexis Tsipras, la nécessité de telles contre-mesures a été remplacée par des prédictions «audacieuses» et «insouciantes» selon lesquelles «Merkel acceptera au grand jour [la proposition de SYRIZA]». Cela a conduit à l’accord du 20 février qui prévoyait l’engagement de payer toutes les échéances de la dette «dans les délais et en totalité». Au-delà du désaccord public de la Plateforme de gauche, les dénonciations sévères de Manolis Glezos [membre du PC dès 1941, de la résistance à l’occupation allemande, puis de la Gauche socialiste et de SYRIZA] resteront à jamais une moquerie honteuse pour ceux qui ont contribué à cet accord méprisable ou l’ont toléré. Le programme de SYRIZA comprenait la formulation «pas un seul sacrifice au nom du maintien dans la zone euro».

Mais ce mot d’ordre a été presque immédiatement remplacé par l’engagement de «rester à tout prix dans la zone euro», qui n’a été approuvé par aucun organe collectif. Depuis avril-mai 2015, nous avions publiquement averti que ces choix du gouvernement ouvraient la voie à un troisième mémorandum, cette fois signé et mis en œuvre par un gouvernement qui se targue d’être un «gouvernement de gauche».

La dernière convulsion radicale de SYRIZA a été le référendum de juillet 2015. Il est de notoriété publique que face à toutes sortes de menaces, une partie importante de la majorité gouvernementale, en coordination avec Dora Bakoyannis [issue de la ND puis à la tête de l’Alliance démocratique] et une partie de la Nouvelle Démocratie, s’est précipitée dans la panique pour l’annuler. C’est principalement l’attitude de la base de SYRIZA et la position de la Plateforme de gauche qui ont empêché un tel revirement honteux. La victoire écrasante du NON a été une preuve frappante du potentiel «objectif» de la rupture nécessaire. L’échec de l’aile gauche de SYRIZA – en coopération avec les forces de la gauche anticapitaliste qui ont reconnu l’importance du référendum et se sont battues pour le NON – à défendre le résultat et à imposer le respect de la volonté populaire a été une défaite majeure, peut-être décisive. Car le respect du résultat par la direction de SYRIZA n’a duré que deux ou trois jours.

Le troisième mémorandum était déjà là [négocié durant le premier semestre 2015]. Personne n’a le droit d’oublier qu’il a été voté au Parlement par la «majorité présidentielle» de SYRIZA, avec la Nouvelle Démocratie et le PASOK social-libéral. Il s’agissait, après tout, du programme de «salut national»: la poursuite et l’escalade de l’agression brutale du capital, au détriment même des droits sociaux et des droits des travailleurs les plus élémentaires. Et dans cette politique, les partis bourgeois qui ont soutenu les mémorandums précédents ont convergé avec la SYRIZA d’Alexis Tsipras qui a soutenu le nouveau, avec la bénédiction de Schäuble et de la Troïka.

Lors des élections de septembre 2015, la déception et le désengagement de centaines de milliers de personnes qui avaient voté pour la gauche et se sont alors tournées vers l’abstention ont été décisifs. Tsipras, bénéficiant encore du doute sur ses intentions et sa politique, a regagné le poste de Premier ministre en s’appuyant sur le soutien du leader de l’ANEL, Panos Kamenos. Mais la politique de son deuxième gouvernement était prédéterminée par le troisième mémorandum.

Aujourd’hui, à l’heure du bilan, il est littéralement honteux pour tout membre de la gauche radicale de mentionner les «aspects positifs» de la politique du gouvernement 2015-2019. Au cours de ces années, la part des salaires et des retraites dans le PIB annualisé a atteint un niveau historiquement bas, mettant en évidence la maximisation du taux d’exploitation des salarié·e·s. Le taux d’emploi «flexible» (à temps partiel, saisonnier, précaire) a également atteint un niveau record, les «contrats» flexibles étant étendus aux hôpitaux publics, aux écoles et même au personnel de l’Inspection du travail! La loi signée par le ministre de l’époque, Giorgos Katrougalos, a institutionnalisé la forte baisse des retraites, transformant les coupes du mémorandum (imposées comme «exceptionnelles» et «temporaires») en une «nouvelle méthode de calcul des retraites», intégrant ainsi ces coupes comme légitimes et durables.

Mais les dégâts ne se sont pas limités à la sphère économique. Au cours de ces années, la coopération «amicale» avec l’ambassadeur américain Jeffrey Pyatt a jeté les bases d’un «virage» encore plus profondément pro-OTAN de l’Etat grec. La coopération étroite avec Netanyahou (que Tsipras appelait affectueusement «Bibi»…) a jeté les bases de l’approfondissement de «l’axe» Grèce-Israël. Sur la question chypriote, en coopération avec le président chypriote grec Nikos Anastasiades, les revirements les plus improbables ont été opérés (comme l’initiative de lancer des négociations et le torpillage soudain de ces négociations à Crans-Montana). Les mécanismes répressifs et judiciaires de l’Etat sont restés intacts et systématiquement protégés.

En 2018, l’accord consensuel avec les créanciers, présenté à tort comme une «sortie des mémorandums», a couronné cette évolution. En résumant les gains obtenus par le capital au cours de ces quatre années, il a «assoupli» tous les engagements du mémorandum concernant les «hommes d’affaires», les grands groupes, les entreprises capitalistes et les banques. Au contraire, pour les travailleurs et travailleuses, les coupes du mémorandum ont été prolongées et placées sous une surveillance «mutuellement bénéfique» jusqu’en… 2060! Six ans après que Tsipras se soit vanté d’avoir «sorti le pays des mémorandums», le rétablissement des 13e et 14e mois de salaire et des retraites, l’existence et l’application de réelles conventions collectives, la réduction des taxes (soi-disant extraordinaires) du mémorandum, etc. restent encore des objectifs à revendiquer et à défendre par le mouvement ouvrier et la majorité de la société.

Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres expériences similaires à l’échelle internationale (par exemple au Brésil de Lula), la gauche a réagi rapidement et s’est démarquée en rompant avec le gouvernement à temps. En 2015, après la bataille du référendum, la Plateforme de gauche et des membres importants d’autres «tendances» ont quitté SYRIZA, ainsi qu’un pourcentage remarquablement élevé des membres du parti d’avant 2015. Malgré les désaccords politiques ou tactiques qui existaient ou existent encore entre nous, nous tenons à souligner notre respect pour ces camarades: à un moment où le système leur déroulait le tapis rouge de la «cooptation», ils ont choisi la voie difficile, honorant leur relation avec les secteurs de masse en lutte. L’évolution de l’Unité populaire (formée par ceux qui ont quitté SYRIZA et les forces qui se sont séparées d’ANTARSYA) et son incapacité à construire une alternative visible et efficace feront l’objet d’un autre article.

Les conséquences

Ces choix ont conduit SYRIZA et Alexis Tsipras à une défaite politique et électorale en 2019, face à la faction néolibérale pure et dure qui, sous la houlette de Kyriakos Mitsotakis, dirige la Nouvelle Démocratie (ND).

Les responsabilités sont lourdes. La politique économique et sociale, l’orientation internationale, mais aussi l’appareil d’Etat ont été livrés «clés en main» à la droite afin d’accélérer l’agression néolibérale du capital.

Il s’avère que ceux qui pensaient qu’une certaine période dans l’opposition permettrait à Tsipras de reconstruire SYRIZA n’ont rien compris à ce qui s’était passé.

Quatre années au gouvernement sous le Mémorandum ont provoqué une profonde transformation. SYRIZA peut continuer à se qualifier de «gauche radicale», mais en réalité, il faut une grande générosité d’esprit pour la qualifier même de parti social-démocrate à l’ère de la dégénérescence socio-libérale de la social-démocratie internationale. Au cours de la période 2019-2023, nous avons assisté au développement des mœurs et des coutumes qui ont finalement conduit au fiasco Kasselakis. Lorsque Stefanos Kasselakis déclare avec suffisance que «dans un parti normal, je ne pourrais jamais être candidat à la présidence», il dit en partie la vérité.

Les scissions successives et la crise de SYRIZA ont créé des opportunités politiques pour le PASOK. Le soi-disant «magicien tactique» Alexis Tsipras, après avoir contribué à revitaliser la droite en Grèce (qui, à l’été 2015, avait atteint environ 17%… ), est désormais confronté à la possibilité de voir la «réorganisation indépendante et autonome» autour du PASOK s’affirmer, ce parti que le mouvement contre le mémorandum avait conduit à une crise si grave qu’il a fallu inventer un nouveau terme politique international, «pasokification», pour la décrire.

La défaite de 2015 a eu des conséquences plus larges. La désillusion et le désengagement qui s’étaient manifestés prématurément lors des élections de septembre 2015 se sont avérés plus durables. Entre mai 2012 et septembre 2015, plus de 900 000 personnes, issues pour la plupart des quartiers populaires et ouvriers, ont retiré leurs espérances du jeu politique et électoral. Entre janvier 2015, lorsque la vague d’espoir pour un gouvernement de gauche était à son apogée, et le second tour des élections de 2023, lorsque Alexis Tsipras a été contraint de démissionner de la tête de son parti, SYRIZA a perdu 1 300 000 électeurs et électrices, une perte qui dépasse de loin les 900 000 qu’il avait réussi à retenir, temporairement, comme l’a prouvé l’effondrement supplémentaire lors des élections européennes de 2024.

Avec la défaite de 2015, le revirement et la capitulation de SYRIZA ont mis fin au grand cycle ascendant des luttes de l’ère anti-Mémorandum et ont littéralement ouvert la voie à Mitsotakis. Les protagonistes de cette tragédie politique sont toujours à la recherche d’un rôle politique et électoral. Mais ils seront, une fois pour toutes, comme le disait Angelos Elefantis (ancien intellectuel eurocommuniste) à propos du PASOK à son époque: «du point de vue du socialisme et de la classe ouvrière, totalement indifférents». (Article reçu le 22 mai; traduction rédaction A l’Encontre)

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*