Ryanair veut maintenir son cap face aux grèves

Par Eric Renette

Le conflit social qui secoue Ryanair se durcit. Jusqu’ici peu regardants aux conditions de travail ayant cours au sein de la compagnie à bas coûts, les passagers ont désormais aussi des raisons de grogner. Ryanair estime en effet qu’une grève qu’elle n’a pu empêcher est un cas de force majeure permettant de ne pas payer les indemnités d’annulation de vol auxquelles les passagers ont droit.

Pour les 25 et 26 juillet derniers, l’association de protection des consommateurs Test-Achats [association des consommateurs belges créée en 1957] a d’ores et déjà ouvert 552 dossiers. Si Ryanair maintient son «non» catégorique, Test-Achats ira en justice. Après avoir été sanctionnés pour leur 3e jour de grève, les pilotes basés à Dublin en ont annoncé un 4e: le 3 août.

Les pilotes basés à Dublin annoncent un jour de grève le 3 août

Quand elle avait annoncé bien vouloir reconnaître les syndicats et parler avantages sociaux avec eux, en novembre dernier, beaucoup se disaient que Ryanair tentait juste de sauver les vols des vacances de fin d’année. Depuis il y a eu les vacances de carnaval, du printemps, puis ces grandes vacances estivales. Fondamentalement, jusqu’ici, Ryanair n’a rien lâché. Sauf une enveloppe globale de 100 millions d’euros au bénéfice du salaire des pilotes, trop tentés, en cette période de pénurie, d’aller voler ailleurs, pour des compagnies plus généreuses. Pour le reste, Ryanair veut bien parler avec les syndicats si ceux-ci se plient à ses exigences, en gros s’ils admettent le modèle Ryanair… celui-là justement qui fait bondir les représentants du personnel et dont les détails d’utilisation peu respectueuse du personnel émeuvent jusqu’aux passagers empêchés de voler à cause des grèves qui s’accumulent à travers l’Europe.

Des passagers d’autant plus solidaires quand le patron de la compagnie irlandaise estime qu’une grève qu’il n’a pu empêcher est un cas de force majeure lui permettant de ne pas payer les indemnités d’annulation de vol auxquelles les passagers ont droit…

Les pilotes de la compagnie à Dublin, au sein de la maison mère, ont annoncé leur quatrième jour de grève pour le 3 août après avoir été sanctionnés pour le troisième: suppression de 100 postes de pilotes et 200 postes de membres d’équipage en hiver. Et une menace réitérée par Michael O’Leary de déplacer une autre partie des avions dublinois vers la Pologne, un pays où la demande est forte…

10 août: grève des pilotes en Belgique et en Suède

Du coup, partout, les syndicats, des pilotes comme du personnel de cabine, commencent à durcir le ton, à regrouper les actions et réclamer: «L’annulation des préavis de délocalisation/licenciement envoyés au personnel navigant basé à Dublin, le retrait des menaces à l’encontre du personnel de cabine [NDLR: depuis lors, la compagnie a assuré qu’elle ne «punirait» d’aucune manière les grévistes du 25 et 26 juillet] l’application des législations nationales, l’instauration d’un vrai dialogue social.»

C’est d’ailleurs en ces termes que la CNE [Centrale nationale des employés, affiliée à la CSC: Confédération des syndicats chrétiens] et l’association belge des pilotes ont uni leur préavis d’action de grève pour le vendredi 10 août prochain. Ils seront accompagnés par les pilotes suédois. Et aussi, peut-être, par les pilotes allemands et néerlandais qui ont voté pour le principe d’une grève mais n’ont pas encore décidé des détails de son application concrète. Les pilotes et la CNE appellent une fois encore l’Europe à s’impliquer: «Nous exhortons les autorités nationales et européennes à prendre enfin leurs responsabilités et à condamner les pratiques de Ryanair.»

En jeu: «le modèle Raynair»

Ryanair confirme que les actions en Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Suède seront certainement coordonnées. «Nous avons écrit à chacun de ces syndicats de pilotes aujourd’hui et nous les avons invités à nous rencontrer dans les prochains jours afin de progresser dans la conclusion de conventions de reconnaissance syndicale et de conventions collectives sur chacun de ces marchés. Entre-temps, nous avons demandé à ces syndicats de pilotes de nous donner un préavis de sept jours pour toute action de grève prévue afin que nous puissions informer à l’avance nos clients des vols annulés et leur offrir des vols alternatifs ou des remboursements.»

Le patron de Ryanair: Michael O’Leary

D’un côté comme de l’autre, on sait que c’est le modèle Ryanair qui est en jeu. Chaque année, les relations avec le personnel occupent un chapitre de «l’analyse des risques» dans le rapport annuel, au même titre que le Brexit ou le prix du pétrole.

Pour 2016-2017 (l’année se clôture en mars chez Ryanair), la compagnie y expliquait toute sa confiance dans un jugement de la Cour européenne de justice (CJUE) dans une affaire dite A-Rosa. Un cas de travailleurs détachés par un croisiériste allemand effectuant des croisières en France via une succursale en Suisse, qui confirmait que la sécurité sociale payée dans un pays suffisait et qu’il ne pouvait y avoir une deuxième imposition par un autre pays.

Cette année, le rapport annuel 2017-2018, qui vient précisément de sortir, assure que la compagnie a conclu un accord salarial avec 95 % des pilotes Ryanair «mais qu’il y a toujours des possibilités pour les syndicats de réclamer une augmentation salariale supérieure à ce qui a déjà été obtenu».

Pas un mot sur les pilotes qui ne dépendent pas de la compagnie, qui sont pourtant très nombreux à devoir passer par un courtier (Crewlink, Workforce) qui les inscrit comme indépendants. Pas un mot, d’ailleurs, sur l’utilisation forcée de ces courtiers, pour les pilotes comme pour le personnel de cabine, qui constituent une facette importante du modèle social de la compagnie. Et cela résume sa stratégie première: diviser pour mieux régner.

«L’analyse des risques»

Plus loin, l’analyse des risques fait référence à la situation en Belgique en évoquant la décision attendue de la cour d’appel de Mons. «Les équipages de Ryanair, à l’exception de ceux basés au Royaume-Uni, opèrent sur des contrats de travail irlandais. Ce modèle a été contesté dans le passé par des individus et peut continuer à être contesté par des syndicats qui préfèrent les contrats de travail locaux. Si des contrats locaux étaient imposés, cela pourrait avoir un impact sur les coûts, la productivité et la complexité de l’entreprise. Toute décision visant à transférer de la capacité vers des localisations moins coûteuses pourrait entraîner des licenciements et une détérioration importante des relations de travail.

Suite à la décision de la Cour de justice européenne (la « CJCE ») dans l’affaire Mons en septembre 2017 [NDLR: en réalité une réponse de la Cour à une question], l’audience dans l’affaire traitée devant le Tribunal du travail de Mons a été fixée à novembre 2018 et une décision est attendue début 2019. Une décision défavorable pourrait signifier l’introduction de contrats locaux belges, cependant cette décision peut être portée en appel devant la Cour suprême. Ryanair pourrait être confrontée à une contestation juridique de la part de syndicats en raison de demandes irréalistes et d’attentes qui ne correspondent pas au modèle de haute productivité de la société.»

Si on enlève le style policé des rapports annuels rédigés à l’égard des actionnaires, c’est l’illustration de la pleine conscience qu’à la compagnie de l’évolution de la situation. Elle a bien intégré que la Cour européenne, en réponse à une question technique, a reconnu le droit (pas encore le devoir) d’utiliser la réglementation locale. Une décision de justice sur cette base vient d’ailleurs d’être prise aux Pays-Bas. Ryanair sait. Mais ne bouge pas. Ne lâche rien. Tenable? (Article publié dans le quotidien Le Soir en date du 2 août 2018)

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