Podemos appuie l’accord de Tsipras avec la troïka: «Nous soutenons la même chose que le Parlement grec»

Pablo Iglesias et Iñigo Errejón, au «centre»...
Pablo Iglesias et Iñigo Errejón, au «centre»…

Par Andrés Gil et Irene Castro

«Tristement, c’est la seule chose qu’il pouvait faire.» C’est ainsi que le secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, a décrit l’accord réalisé entre le premier ministre grec, Alexis Tsipras, et la troïka: «la politique est abjecte».  

«Faisons-nous de la politique ou retournons-nous tous à l’université pour continuer à faire des analyses brillantes?», s’est interrogé Iglesias lorsqu’il est entré pour la présentation du livre Redes de indignación y esperanza, de Manuel Castells, ce jeudi [16 juillet] à midi.

Iglesias a accepté de répondre à trois questions. «Ceux qui dirigent en Europe sont antidémocrates, mais ils disposent des moyens de communication qui affirment: “les démocrates sont ceux-là, les antidémocrates sont ceux qui donnent dans le populisme”. En politique,les raisons ne comptent pas, tout comme ta capacité de diagnostic, c’est le pouvoir qui compte et un pays du sud dispose de bien peu de pouvoir.»

«Ce qui s’est passé en Grèce est la vérité du pouvoir», a insisté Iglesias. «Si s’articule une espèce de nouveaux gouvernements en Europe mettant en avant des politiques keynésiennes, si nous parvenons à tordre le bras aux socio-démocrates et qu’ils changent de camp, il y aurait une possibilité. Et, si ce n’est pas le cas, Marine Le Pen viendra et elle dira: “nous avons gagné les élections en France, nous détenons l’arme nucléaire et notre allié principal est la Russie. Ni l’Union européenne, ni l’OTAN. Si nous gagnons ici, l’ennemi ce sont les élites locales que nous ferons pleurer un petit peu. Et si non, l’alternative c’est Marine Le Pen? Alliance avec la Russie, aube de la troisième guerre mondiale. La politique est abjecte.»    

Le Congrès des députés [de l’Etat espagnol] votera l’accord conclu entre la Grèce et les institutions européennes pour un nouveau «sauvetage». «Le Parlement espagnol n’a pas voté le sauvetage des banques», a expliqué ce jeudi le secrétaire politique de Podemos, Íñigo Errejón, «lesquelles ne se sont même pas engagées à rendre les aides publiques. Lorsque ce sont les banquiers et les compagnies électriques qui ont des dettes, cela leur est pardonné. C’est une manœuvre électorale et une fraude, personne n’a demandé aux Espagnols s’ils souhaitaient que la Constitution soit changée [1], et aujourd’hui il y a des choses qui semblent urgentes de débattre. On surjoue et l’on souhaite pousser les discussions et les réformes législatives afin de bousculer les derniers mois de ce Parlement, qui seront changées dans le suivant, comme la Loi muselière

Mais que voterait Podemos [s’il était présent au Parlement lors du vote sur l’accord]? Errejón répond: «Les dirigeants européens ont donné un coup de pied en avant au problème, affaiblissant un gouvernement sorti des urnes, car s’ils ne le faisaient pas, l’excuse selon laquelle il n’y a pas d’alternative à l’austérité tomberait. Les pays qui se placent aux côtés de Merkel votent contre leurs propres peuples. Cet accord, difficile, ainsi que l’a reconnu Tsipras, c’est l’accord possible face à l’intransigeance des dirigeants européens, la meilleure solution à la portée, bien qu’elle ne soit pas pensée pour l’avenir de l’euro ni de l’UE.» Et donc? «Nous appuierions ce qu’appuie le Parlement grec et nous serions respectueux de ce qu’ils appuient», répond de manière plus concrète le secrétaire politique de Podemos [2].

Errejón, ainsi que le responsable de l’Instituto 25M de Podemos, Jorge Lago, et le secrétaire général du parti, Pablo Iglesias, ont présenté ce jeudi matin l’Université d’été de Podemos. Iglesias a seulement répondu à des questions sur cette rencontre et a laissé à Errejón les questions de politique générale.

Université d’été

L’Université d’été, qui se tiendra entre le 23 et le 26 juillet dans les locaux de l’Université Complutense de Madrid, ainsi que dans théâtres et salles de concert, met en avant «rencontre, formation, débat et analyse sur les principales questions que doit affronter Podemos au cours des prochains mois» affirme le parti. 

«Lorsque l’on écrira sur Podemos», explique Iglesias, «il faudra dire que n’y a jamais eu une force politique en Espagne telle que Podemos pour laquelle les réflexions théoriques furent aussi importantes dans l’élaboration d’une ligne et d’une stratégie politique. Pour nous, ce qu’a représenté le 15M a été une invitation à la réflexion. Nous commençons à faire une réflexion peut-être très sophistiquée sur ce qui se passait et nous avons émis une hypothèse politique sur comment intervenir et nous la menons à bien. Nous avons eu le plaisir de voir qu’elle s’est vérifiée. Le 15M représentait une crise organique, de régime. Une des clés, du point de vue de ce régime, est l’échec en termes sociaux et culturels d’une gauche ayant une série d’aspirations; c’est l’époque où le néolibéralisme se transforme en loi de gravité des relations économiques; un régime à succès. Et il y a eu ceux qui ont vu le 15M comme une revanche de la gauche, mais ce n’était pas cela. Le mouvement représentait la crise d’un modèle avec des ingrédients étrangers à cette géographie gauche-droite. Ils disaient: nous voulons la démocratie et ils indiquaient comme ennemi les élites économiques et politiques. Ces axes étaient pour nous ceux qui devaient représenter le projet politique de changement. La géographie gauche-droite appartient au régime et le 15M a permis une géographie nouvelle, a permis de donner un coup de pied dans la fourmilière, de parler de ceux d’en haut et de ceux d’en bas, de construire une majorité politique avec une majorité sociale diverse. Nous construisons une identité plébéienne, celle qui pouvait représenter la fracture entre le type gonflé qui voyage en business classe face à celui qui va en métro.» [3]   

«Cette réflexion théorique», a ajouté Iglesias, «est celle qui explique notre succès. Le succès fondamental tient à cette manière de poser les choses. C’est pourquoi la réflexion théorique sur ­–  également – les possibilités de gouverner est importante pour nous. Les Grecs ont voté de manière épique. Ce que nous mettons en avant est vraiment très modeste: une réforme fiscale en faveur d’une meilleure redistribution, tordre le bras à la social-démocratie pour qu’elle change de camp [sic] et pour une meilleure protection sociale. Fruit de cette réflexion s’expliquent les desseins de communication de Podemos, mais dans nos propres cercles personnels nous pensons qu’on nous a bien peu compris.»   

Iglesias a affirmé qu’il est «impossible de gouverner sans diagnostic et sans projet de pays. En Espagne on ne milite pas dans les partis, on milite dans les moyens de communication, ils politisent plus que les partis, ils marquent le terrain du jeu par les questions qu’ils formulent. C’est pour cela que nous avons souhaité cette réflexion lors de l’Université d’été.» 

Quelle est la relation de Podemos avec le monde culturel ou intellectuel qui, récemment, pousse le parti à construire une candidature d’unité populaire pour les générales? «Dans le monde de la culture ou intellectuel nous pouvons rencontrer Pedro Almodóvar et Toni, de Chikos del Maíz [groupe de rap politisé] signant le même manifeste, mais ils opèrent dans des domaines différents. C’est hétérogène. Il est impossible de les qualifier comme conservateurs ou innovateurs; il y a de tout. Ce que nous pouvons dire tout au plus c’est qu’ils ont beaucoup de bonne volonté et nous pouvons être reconnaissants d’avoir été courageux, comme lors du mouvement contre la guerre, lorsqu’ils s’y opposèrent lors d’un gala des Goya [les «oscars» espagnols]. Ce qui les définit pour le mieux c’est leur bonne intention, et ensuite chacun est fils de son père et de sa mère: César Rendueles ou Luis García Montero; Almodóvar o Benito Zambrano; David Trueba con Fernando León… Ils sont courageux, généreux et expriment une volonté excellente.»

Le responsable de l’Institution 25M de Podemos, Jorge Lago, coordinateur de l’Université d’été, a expliqué que la rencontre repose sur «quatre pattes: analyse de la transformation au Sud de l’Europe; le modèle espagnol – régime politique, culturel et social tel que celui du régime de 1978 – avec ses limites et ses possibilités; formation pour les sympathisants et comment arriver dans les meilleures conditions aux élections; et le off en termes culturels: théâtre, expositions, concerts… C’est un espace de réflexion de la politique comme une chose plus ample de ce qui se passe au Parlement, ce que représente l’Instituto 25M.» 

Errejón abonde: «ce ne sera pas un cocktail d’été ni un photocall, nous allons nous mettre sérieusement à débattre. Nous voulons nous poser et réfléchir à nos hypothèses, là où nous avons été bons et là où nous ne l’avons pas été autant, qu’est-ce qui nous manque, de qui nous voulons apprendre… Notre projet est en formation, il manque beaucoup de gens et nous devons continuer à l’améliorer. Si nous ne sommes pas convaincus que nous sommes en année électorale mais surtout de changement de cycle, il faut se risquer à occuper des espaces qui nous permettent d’imaginer comment sera la prochaine étape du pays. La course électorale est seulement une partie, il faut oser imaginer un projet de pays à long terme. Nous ferons un exercice de réflexion et d’évaluation politique de ce qui a été réalisé et ce qui reste à faire. Nous sentions que nous avions besoin d’un moment tel que celui-ci. Tout est à porte ouverte. C’est l’Université d’été de Podemos et de l’Instituto 25M, mais également de tous ceux qui veulent échanger avec nous.» (Traduction A L’Encontre, article paru le 16 juillet dans le journal en ligne eldiaro.es).

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[1] Ceci est une allusion à la modification de l’article 135 de la Constitution espagnole, accepté rapidement par le Parlement en 2011, en accord entre le PP et le PSOE, instaurant une priorité au remboursement des intérêts de la dette. (Réd. A l’Encontre).

[2] Elplural.com, le 14 juillet 2015, cite le porte-parole économique de Podemos, Nacho Alvarez, qui affirmé: «Je crois que tout en maintenant des relations politiques cordiales, de compréhension et de solidarité internationale, Podemos et Syriza ont des orientations économiques distinctes» parce que la réalité économique dans laquelle ils vivent est assez différente.» L’accent est mis en Espagne sur une restructuration des dettes des ménages (dette hypothécaire). Sur l’excédent budgétaire primaire, il a insisté sur le fait que la France et l’Italie n’avaient pas atteint les objectifs propres au traité et n’avaient pas été sanctionnés par la Commission européenne. Il est pour une réduction plus lente et par étapes des déficits. De manière assez étonnante, il a soutenu que l’accord entre la Grèce et l’Eurogroupe «est viable et permet une stabilité économique à trois ans avec un restructuration de la dette grecque et un plan d’investissements», tout en dénonçant que les instances européennes avaient «ignoré l’opinion de la majorité du peuple exprimée dans les urnes». (Réd. A l’Encontre)

[3] Dans El Pais du 8 juillet 2015, il est rapporté que Pablo Iglesias, dans la liste pour les primaires, afin de démontrer «l’ouverture» de Podemos, a intégré José Antonio Delgado, l’ancien porte-parole de l’Association de Guardia civil, qui ne doit pas être «gonflé». (Réd. A l’Encontre)

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