Embraco est une entreprise brésilienne du groupe Whirlpool. Elle produit des compresseurs pour réfrigérateurs. Depuis le 25 mars, 500 travailleurs et travailleuses de Riva di Chieri (Commune de la métropole) à Turin sont menacés de licenciement parce que l’entreprise a décidé de transférer ce qui reste de la production turinoise à l’usine ouverte en 2004 en Slovaquie.
Toujours en 2014, Embraco a menacé de quitter l’Italie. Puis, suite à un protocole d’accord de 2 millions d’euros pour de nouveaux investissements, la Région Piémont l’a convaincue de rester. Moins de 4 ans plus tard, il y a quelques semaines, est tombée la nouvelle lettre de licenciement collectif.
Le litige, comme tant d’autres, s’est terminé à Via Veneto, à Rome, au ministère du Développement économique, qui est dans les mains du ministre Carlo Calenda [en 2013, il se présentait sur la liste «Avec Monti pour l’Italie», occupe le poste ce ministre depuis le début mars 2016]. Ce dernier a demandé à l’entreprise de retirer les licenciements et de prendre du temps en utilisant le système du chômage technique [cassa integrazione], en attendant une hypothèse très incertaine de réindustrialisation.
Mais la Bourse ne peut pas attendre: si l’opération en Slovaquie n’a pas lieu immédiatement, le titre sera affecté. Aucune possibilité de report, à moins que les syndicats n’acceptent des réengagements des ouvrières et ouvriers sur la base de contrats à de temps partiels et d’emplois précarisés (relevant de la loi Job Act). Le énième chantage sur les épaules de ceux et celles qui travaillent.
Jusqu’à présent, malheureusement, rien de nouveau. La nouveauté réside dans les déclarations du ministre Carlo Calenda: «même s’il s’agit d’un délégué de Fiom (syndicat dela métallurgie, membre de la confédération CGIL), des irresponsables, je ne rencontre plus ce genre de racaille»!
Il est brave ce cher ministre! Une telle sortie est à utiliser et à consommer dans le cadre de la campagne électorale en cours. Racaille, il a raison. Il la connaît, cette «sale race». Celle de ces gens arrogants qui encaissent l’argent de l’Etat quand ils en ont besoin et qui, les comptes faits, rangent armes et bagages et laissent sur le carreau 500 travailleuses et travailleurs. Sans prendre ni la peine ni le goût de leur donner un peu de répit grâce au chômage technique (au fonds alimentant la cassa integrazione). Quel beau truc, vraiment! Pensez-y un peu, aucune expression de cette «responsabilité de l’entreprise» mentionnée dans l’article 41 de la Constitution, n’est présent ici!
Ecoutez, cependant, jamais, jamais – même pas un seul instant – nous n’avons douté que derrière sa colère ne se cache pas, même pas de manière soignée, le gouvernement qui a approuvé la loi sur l’emploi (Jobs Act) et qui, en son temps, a voté l’annulation de la loi sur mobilité [en cas de refus d’une proposition de formation ou d’emploi le salarié se voit enlever une indemnité] et l’allongement simultané de l’âge donnant droit à la retraite. Il s’agit du même gouvernement [du Parti démocrate entre autres] qui développe depuis des années une politique de compression salariale et d’avantages pour les entreprises. Tout comme vous êtes le même ministre qui s’adresse à la Commission européenne va demander une dérogation aux traités pour des exonérations fiscales et d’autres aides qui tombent comme la pluie, afin de rendre l’Italie presque aussi compétitive [en termes de salaires, d’heure de travail, etc. donc de mise en concurrence des salarié·e·s] que la Slovaquie. Même aux yeux du patron arrogant d’Embraco.
Non, cher ministre. Nous ne sommes pas comme les imbéciles qui regardent le doigt au lieu de la lune. Embraco est arrogant, bien sûr, vous avez raison. Mais cela ne fait pas que Whirpool, Electrolux, Indesit soient gentils et responsables. Tout comme ce n’est pas le cas pour les Merloni [famille d’industriel, entre autres propriétaire d’Indesit] et pour une grande partie du secteur italien de l’électroménager. Ce dernier, au cours des 15 dernières années, a réduit de plus de moitié sa production pour la délocaliser ailleurs, dans certains pays où les marges bénéficiaires sont plus élevées car le «coût de la main-d’œuvre» est moins élevé. Toutes les entreprises qui délocalisent sont arrogantes, même celles qui siègent le plus honnêtement à la table du MISE [ministère d du développement économique]. C’est le capitalisme, une splendeur. Et en Italie, c’est aussi une banderole, parce que la compétitivité se traduit, en tout et pour tout, par la réduction des «coûts» et des salaires, avec la complicité de gouvernements comme le vôtre. Des gouvernements qui financent les banques et les entreprises, avec des aides directes et des politiques continues d’exonération fiscale et d’exonération des cotisations sociales, toujours au détriment des services publics et du welfare.
Arrogant, ne l’est donc pas seulement Embraco, mais aussi le gouvernement du ministre Carlo Calenda. Et toute une politique industrielle dans laquelle vous êtes pleinement impliqué. Une politique qui ne fait que réduire le «coût de la main-d’œuvre» pour les entreprises et se félicite du fait qu’après des années de crise, les chiffres à l’exportation remontent, peu importe que la demande intérieure soit dépendante des ménages qui n’arrivent pas à finir le mois!
Face à la tragédie des 500 travailleurs et travailleuses d’Embraco, la politique évite au moins l’hypocrisie. Qu’ils ne soient pas indignés s’ils découvrent, lors de la campagne électorale, que les salaires en Slovaquie sont inférieurs à ceux de l’Italie. Ni qu’Embracone veuille réengager que des temps partiels et selon les normes du Jobs Act. Ne soyons pas scandalisés de constater que les 500 salarié·e·s n’auront pas les indemnités qu’accordait la loi sur mobilité et n’atteindront pas l’âge de 67 ans pour prendre leur retraite. Et ne prétendez pas que le problème est qu’Embraco qui ne présente pas autour de la table du MISE!
Par contre, nous sommes scandalisés par ces lois et par ceux qui, comme Calenda, les ont approuvées. Par-dessus tout, révoltons-nous suite au seul fait que la politique ne tienne même pas compte de la possibilité de nationaliser les entreprises en crise, même lorsque les crises touchent des secteurs stratégiques et s’appellent Ilva, Piombino, Alitalia. Soyons sûrs que la recette est toujours de réduire les coûts de main-d’œuvre et de continuer à donner de l’argent aux patrons, y compris les plus arrogants, pour faire avancer encore un peu, en attendant la prochaine opération spéculative ou un nouvel investissement là où les salaires sont encore plus bas.
C’est pourquoi soyons indignés et soutenons de tout cœur la lutte des travailleurs d’Embraco avec toute la solidarité possible. Un combat contre un patron plus ou moins arrogant, comme tous les autres, qui, ni plus ni moins, veut licencier les travailleuses et travailleurs pour augmenter ses profits, ailleurs. (Cet article a été publié dans La Città Futura, en date du 24 février 2018; traduction A l’Encontre)
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Eliana Como est militante syndicale de la gauche classiste de la FIOM et militante de Sinistra Anicapitalista.
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