Témoignage de Siraj Mahmoud
et article de Benjamin Barthe
Le 26 février 2018, dans le journal de 8 heures, était exposé les données suivantes : «Des symptômes évoquant l’utilisation de chlore contre la population. Des bombes tombant par dizaines, chaque jour. En Syrie, les habitants de la Ghouta orientale attendent la mise en œuvre de la trêve humanitaire. Elle a été votée à l’ONU, mais n’est toujours pas effective. Si l’Allemagne, la France et la Russie se sont mis d’accord pour «renforcer l’échange d’informations», Moscou ne semble pas enclin à freiner les frappes de son allié syrien. [Le contenu effectif de la résolution laisse ouvertes de nombreuses «portes de sortie» aux massacreurs.]
Cette nuit, les autorités sanitaires de la région tenue par l’opposition évoquaient une possible attaque au chlore qui aurait coûté la vie à au moins un enfant, 18 personnes ont été prises de suffocation. Le régime syrien reste silencieux. Son allié russe dément alors que des bombes pleuvent encore sur cette enclave rebelle. Tout cela malgré le vote ce week-end d’un cessez-le-feu par le Conseil de sécurité de l’ONU et sous le regard impuissant des secouristes sur place.
Notre correspondante à Beyrouth, Mélanie Houé, a pu joindre le porte-parole des Casques blancs dans la Ghouta orientale, Siraj Mahmoud. Il raconte: «La situation est dramatique et désastreuse. Nous en sommes à notre septième, voire huitième jour successif de bombardements intensifs par le régime syrien et son allié russe, qui visent volontairement et principalement les zones résidentielles. C’est un véritable massacre. Il y a en ce moment même plus de 11 avions qui survolent la zone et pilonnent par rotation les habitations de la Ghouta orientale. Le rythme des raids aériens ne s’est pas calmé depuis hier, bien au contraire les frappes se sont intensifiées sur la Ghouta. L’objectif est clairement de faire le plus grand nombre de victimes. Depuis l’annonce de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, la ville de Chifounia a été visée par des missiles et des bombes au phosphore. Tout le monde sait que ce sont des armes interdites. Dans la communauté internationale tout le monde sait, voit et est conscient de ce qui se passe dans la Ghouta orientale. Mais malheureusement tous restent silencieux. Cela n’intéresse plus personne. Quand est-ce que la communauté internationale va-t-elle réagir?» (Décryptage du journal de France culture, réd. A l’Encontre)
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Moins de bombardements aériens, davantage de combats au sol et des indices d’attaque chimique: c’est le bilan des premières vingt-quatre heures, dans la Ghouta orientale, au lendemain de l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU), samedi 24 février, d’une résolution appelant à une trêve d’un mois. Comparée au déluge d’acier qui s’est abattu sur cette banlieue rebelle de Damas depuis le 18 février, fatal à plus de 500 habitants, la journée de dimanche a été marquée par une relative désescalade.
Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), les frappes des forces prorégime ont fait quatorze morts, tous civils, ce qui constitue le bilan quotidien le moins élevé de la semaine écoulée. Parmi ces victimes figure un enfant, décédé par asphyxie, à la suite d’une possible attaque au gaz chloré, un agent chimique que l’armée régulière a utilisé à de nombreuses reprises par le passé. Lundi matin, de nouvelles frappes ont fait 10 morts d’après l’OSDH.
Selon le «gouvernement» de l’opposition syrienne, basé à Gaziantep (Turquie), cette attaque, qui s’est produite à Shafouniyé, a causé dix-sept autres cas de suffocation. «Une odeur de chlore se dégage des vêtements et de la peau de la plupart des patients. Beaucoup ont des difficultés respiratoires et des irritations au niveau des yeux et de la peau», a confié un médecin de la Ghouta à l’Agence France-Presse.
Verrou stratégique
Parallèlement à ces raids aériens, les troupes progouvernementales ont donné leurs premiers véritables coups de boutoir dans la citadelle rebelle depuis le début du mois. De violents accrochages se sont déroulés en au moins deux endroits de la ligne de front: près de Nachabiyé, un bourg agricole à la pointe sud-est de la Ghouta orientale; et en lisière de Harasta, une ville au nord-ouest de la poche rebelle.
Les médias prorégimes assurent que l’armée syrienne s’est emparée de Nachabiyé; ce que Jaïch Al-Islam («Armée de l’islam»), le groupe armé salafiste qui tient ce secteur, dément formellement. Celui-ci affirme avoir non seulement repoussé l’assaut, mais fait aussi plusieurs prisonniers dans les rangs de ses adversaires. La zone de Nachabiyé, séparée des autres villes de la Ghouta orientale par de vastes étendues de terre, difficiles à défendre, constitue un verrou stratégique: s’il saute, les combattants loyalistes pourraient franchir rapidement la dizaine de kilomètres qui les séparent de Douma, la capitale de la Ghouta orientale.
Difficile de savoir si ces attaques avaient simplement pour but de tester les défenses rebelles, avant une suspension des combats, ou bien s’il s’agit des prémices de la grande offensive terrestre promise depuis plusieurs jours par la presse officielle syrienne, auquel cas la trêve, comme beaucoup d’autres avant elle, serait mort-née. Le régime de Damas, comme son allié iranien, a accepté la résolution du bout des lèvres, affirmant qu’il poursuivrait ses opérations contre les «terroristes», l’appellation qu’il donne à tous ses opposants.
Les deux principaux groupes rebelles de la région, Jaïch Al-Islam et Faylaq Al-Rahmane «Légion du tout miséricordieux»), une formation sans idéologie très marquée, ont endossé le texte onusien de manière plus franche. Celui-ci les oblige à cesser les tirs de mortier sur Damas, qui ont fait dix-sept morts depuis le 18 février. Le calme est revenu dimanche dans les quartiers est de la capitale, adjacents à la Ghouta orientale, où une partie des écoles, fermées ces derniers jours, ont rouvert.
Selon nos informations, les deux groupes rebelles réfléchissent à une déclaration commune dans laquelle ils sommeraient officiellement Hayat Tahrir -Al-Cham, un groupe issu d’Al-Qaida, classé «terroriste» par l’ONU, d’évacuer ses combattants de l’enclave, au nombre de quelques centaines. Cette initiative, si elle se concrétise, pourrait offrir aux capitales occidentales un argument supplémentaire dans leur bras de fer avec Moscou.
Cela suffira-t-il à ce que Damas renonce à reconquérir la Ghouta orientale? Les anti-Assad ne se font guère d’illusions. Ils voient dans le soutien de la Russie à la résolution une simple manœuvre, destinée à faire retomber la pression internationale. Les insurgés se doutent que dans le meilleur des cas ils n’ont gagné qu’un sursis d’un mois. (Benjamin Barthe, correspondant à Beyrouth du quotidien Le Monde, publié dans l’édition datée du 27 février 2018)
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