La plus grande menace pour la Grande-Bretagne n’est pas la Chine ou la Russie, c’est Boris Johnson

Par Patrick Cockburn

L’élément décisif des agences de renseignement est l’inflation des menaces: exagérer la gravité des dangers qui menacent le public, et faire appel à des lois plus sévères pour les affronter. Le directeur général du MI5 britannique, Ken McCallum, a fait de son mieux pour suivre cette tradition dans son discours annuel du 14 juillet, dans lequel il a expliqué les risques de sécurité auxquels la Grande-Bretagne est confrontée.

Il a parlé des menaces provenant d’Etats tels que la Russie, la Chine et l’Iran, des militants d’extrême droite, des terroristes islamiques et de la résurgence de la violence en Irlande du Nord. A cela s’ajoutent les menaces plus diffuses que représentent les messageries cryptées, l’espionnage en ligne et les cyberattaques.

Nombre de ces évolutions sont moins menaçantes qu’il n’y paraît. La Russie peut se livrer à des assassinats de type «gangster», comme l’empoisonnement des Skripals à Salisbury [en mars 2018], mais la grossièreté même de ses attaques contre ses détracteurs souligne les limites de ses capacités. Le président Poutine peut savourer le fait que son pays soit traité comme une superpuissance – bien que démoniaque – mais il n’a rien de la puissance de l’Union soviétique. L’idée, par exemple, que le Kremlin a déterminé le résultat de l’élection présidentielle américaine de 2016 a toujours été un mythe. La campagne désastreuse d’Hillary Clinton suffit à expliquer l’élection de Donald Trump.

La diabolisation de l’ennemi – l’exagération de ses forces et de ses mauvaises intentions – était au cœur de la propagande dirigée contre l’Union soviétique pendant la première guerre froide. Le même type d’inflation de la menace se produit dans la deuxième guerre froide, sauf que cette fois, la cible principale est la Chine, dont chaque action est décrite comme faisant partie d’une tentative de domination mondiale. Des alliés autoritaires louches comme l’Inde de Narendra Modi sont présentés comme des alliés de l’Occident dans «la lutte pour les valeurs démocratiques».

La menace posée par le terrorisme d’Al-Qaida et de l’Etat islamique se voit également accorder trop d’importance. Bien que leurs attaques aient eu lieu en Europe occidentale, il s’agissait en fait de vicieux coups de publicité visant à dominer l’actualité. Politiquement, ce type de «terrorisme» ne réussit vraiment que s’il peut provoquer une réponse exagérée, comme l’a fait le 11-Septembre lorsque les Etats-Unis sont entrés en guerre en Afghanistan et en Irak en représailles.

La Grande-Bretagne est effectivement confrontée à des dangers accrus, mais ils n’ont pas grand-chose à voir avec ceux qui figurent sur la liste du MI5. Les plus grandes menaces dans une Grande-Bretagne post-Brexit proviennent du fait que le pays est une puissance plus faible qu’il y a cinq ans mais qui prétend être plus forte. L’écart entre la prétention et la réalité est masqué par des slogans et par des guerres culturelles concoctées pour détourner l’attention du public des échecs et des promesses non tenues.

Le succès du «Little Englandism» [1] lors du référendum de 2016 et des élections générales de 2019 a eu des résultats prévisibles, dans le pays et à l’étranger. La Grande-Bretagne hors de l’UE est inévitablement encore plus dépendante des Etats-Unis qu’auparavant. Beaucoup demanderont ce qu’il y a de nouveau dans notre dépendance à l’égard de Washington. N’est-ce pas la position par défaut de la Grande-Bretagne depuis la crise de Suez en 1956, si ce n’est depuis la chute de la France en 1940?

Mais cette fois-ci, la dépendance britannique à l’égard des Etats-Unis est encore plus grande et s’accompagne d’un élément supplémentaire. Elle se produit à un moment où les États-Unis s’apprêtent à affronter la Chine, et à un moindre degré la Russie, dans une nouvelle guerre froide à laquelle la Grande-Bretagne participera mais sur laquelle elle n’aura que très peu d’influence. Les frasques théâtrales – comme l’envoi d’un destroyer britannique dans les eaux contrôlées par la Russie au large de la Crimée, et l’envoi du porte-avions Queen Elizabeth en mer de Chine méridionale [voir à ce propos l’article publié sur ce site le 1er juillet 2021 http://alencontre.org/europe/grande-bretagne/grande-bretagne-la-diplomatie-de-la-canonniere-ne-fera-pas-renaitre-sa-puissance-declinante.html] – sont des gestes destinés à persuader l’opinion publique nationale que la Grande-Bretagne a de nouveau un rôle mondial à jouer.

La plupart des conséquences négatives de la sortie de l’UE sont évidentes depuis longtemps. La décision a sapé le compromis entre protestants et catholiques d’Irlande du Nord représenté par l’accord du Vendredi Saint [Belfast] de 1998. Le chef du MI5, McCallum, qui connaît bien l’Irlande du Nord, y fait allusion en déclarant que «nombre des puissantes aspirations de l’accord de Belfast restent insatisfaites», tout en insistant avec espoir sur le fait que «le cumul d’identités multiples – britannique, irlandaise, nord-irlandaise – est une réalité vivante pour de nombreuses personnes, comme ce n’était pas le cas dans ma jeunesse».

Mais une Irlande du Nord à moitié entrée et à moitié sortie de l’UE a modifié l’équilibre du pouvoir entre les communautés de la province d’une manière qui risque de conduire à un retour de la violence politique. Nous en avons déjà eu un avant-goût avec les émeutes de la fin mars et du début avril, qui ont été les plus graves depuis des années [voir à ce sujet l’article publié sur ce site le 14 avril 2021 http://alencontre.org/europe/grande-bretagne/irlande-du-nord-une-plaie-rouverte-en-grande-bretagne.html]. Ce que nous n’avons pas encore vu, ce sont des meurtres sectaires, mais ils peuvent commencer à tout moment. Si c’est le cas, la paix en Irlande du Nord s’évaporera rapidement.

Pourtant, le plus grand risque pour la Grande-Bretagne est qu’elle est dirigée par un gouvernement qui a promis beaucoup plus qu’il ne peut tenir. Cette faiblesse est encore masquée par le développement du vaccin anti-covid et le succès de la campagne de vaccination, mais ce sont là des réalisations des scientifiques et du NHS (National Health Service). Comme Dominic Cummings [ex-conseiller de Boris Johnson qui a quitté Downing Street en automne 2020] l’a clairement indiqué, Boris Johnson n’a fait que semer le chaos.

Le problème auquel sont confrontés tous les leaders populistes nationalistes dans le monde est qu’ils promettent du pain et des jeux pour tout le monde, mais tiennent rarement leurs promesses. C’est le cas de Trump aux Etats-Unis et de Modi en Inde, et c’est aussi le cas de Johnson en Grande-Bretagne. Cela est apparu clairement le 15 juillet lorsque le Premier ministre a prononcé l’un de ses rares discours publics – le premier depuis dix mois – qui était censé exposer son programme de «nivellement par le haut» [«levelling up», formule dont la signification est reconnue comme claire], la pièce maîtresse de son appel populiste aux anciens électeurs travaillistes.

Sauf qu’il s’avère qu’il n’y a pas de programme de ce type, et que son discours s’est résumé à l’habituel boosterisme [du verbe booster, stimuler] superficiel. Dominic Cummings l’a résumé de manière venimeuse mais précise en disant qu’il s’agissait d’un «discours de pacotille» (le même qu’il a donné inutilement une multitude de fois) soutenant un slogan à la noix». Comme pour la politique étrangère, il n’y a pas de stratégie sociale ou économique pour sauver la population défavorisée de la Grande-Bretagne, malgré toutes ces promesses radicales.

Mais il existe une stratégie politique pour détourner l’attention du fait qu’il manque un élément central au programme de Johnson. Le plan consiste à parler des guerres culturelles, à exacerber les divisions et à prétendre que les critiques sont anti-patriotiques ou traîtres. Puisque la culture et la race vont de pair, cela signifie des appels pas trop subtils au racisme. «Si nous «sifflons» et que le «chien» réagit, nous ne devons pas être choqués s’il aboie et mord», a déclaré Sayeeda Warsi, membre du Parti conservateur et ancienne présidente du parti.

Les gouvernements populistes jouent la «carte de la culture» plus vigoureusement en période de troubles. Les plus petits incidents sont exagérés comme des menaces pour l’identité nationale. Un graffiti gribouillé sur une statue de Winston Churchill devient le signe que la culture britannique dans son ensemble est attaquée.

Les critiques peuvent être diabolisés comme antipatriotiques, mais un moyen plus sûr de les réduire au silence est de leur refuser une présence dans les médias, en faisant pression sur les commentaires indépendants de la BBC ou en menaçant de vendre Channel 4. L’efficacité de ces méthodes pour supprimer les critiques et dominer l’opinion publique ne doit pas être sous-estimée. La plupart des régimes nationalistes populistes dans le monde ont un bilan désastreux, mais très peu d’entre eux ont perdu le pouvoir. (Article publié sur le site Counterpunch, le 20 juillet 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

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[1] Depuis 2010, et particulièrement depuis le référendum sur le Brexit, «Little Englandism» est devenu une expression péjorative pour décrire un Anglais xénophobe qui pense que l’Angleterre est supérieure à tous les autres pays, qui montre son soutien au nationalisme anglais et qui ne croit pas à la collaboration avec d’autres pays, sauf si cela profite à l’Angleterre. (Réd.)

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