Par Claude Angeli
Emmanuel Macron ne s’est jamais prononcé publiquement sur les interventions militaires pratiquées par ses trois prédécesseurs – Chirac, Sarkozy et Hollande. Un ancien chef d’état-major des armées (de 2002 à 2006) ne s’était pas gêné, lui, pour en dresser un bilan. Le 3 avril dernier, dans Le Figaro le général Bentegeat les avait toutes qualifiées d’«échecs» cinglants, à l’exception de «Barkhane», au Mali. Avec cette précision sur celle de 2011 en Libye: «On en a profité pour faire disparaître (sic) Kadhafi» et partir «le plus vite possible en laissant derrière nous le chaos».
Avant même son élection, Macron avait décidé de s’intéresser à ce «bourbier, comme le décrivent les militaires, mais sans mesurer sérieusement les difficultés. A la fin juin, l’Elysée annonçait donc son départ prochain au Mali, où, à son invitation, allait se tenir un sommet du G5 Sahel. Un «machin», comme on dit au Quai d’Orsay, où se retrouvent les chefs d’Etat du Mali, du Tchad, du Niger, du Burkina Faso et de Mauritanie. Et, peu avant cette rencontre franco-africaine du 1er juillet, à Bamako (Mali), quelques conseillers de la présidence s’étaient fait un plaisir de décrire les intentions du chef d’Etat. A les en croire, il voulait obtenir l’accord de ces cinq pays du Sahel pour constituer, aux côtés des 4200 Français de l’opération Barkhane, «une force militaire africaine» de 5000 hommes. Avec l’ambition d’affronter, tous en chœur, les milices et groupe djihadistes (Al-Qaida, Daech, etc.) qui campent au Sahel et utilisent la Libye comme base arrière, voire comme centre d’approvisionnement et de repos.
Plans sur la comète
Or, militaires et diplomates le reconnaissent, seuls les Tchadiens sont des combattants capables de mener une contre-guérilla efficace. Conclusion: la perspective de pouvoir un jour passer la main aux Africains – invités à protéger le Sahel et à intervenir en Libye – n’est pas à l’ordre du jour. Malgré cet autre plan sur la comète d’Emmanuel Macron, qui a incité ses généraux à pratiquer «une coopération renforcée avec ces armées africaines» afin de former et de conseiller certaines de leurs unités engagées au Sahel. Quant à envisager, même de façon temporaire, un renfort du contingent français présent sur place, il ne peut en être question.
Macron n’ose y penser, et Jean-Pierre Bosser, le patron de l’armée de terre, encore moins. Voilà deux semaines, devant les députés de la commission de la Défense, ce général a dressé l’inventaire de ses moyens en hommes et en matériels: faiblesse des effectifs disponibles, blindés très fatigués (certains ont dépassé la quarantaine), hélicoptères en rade – «sur les 300 dont dispose l’armée de terre (…), seuls une centaine» d’entre eux sont déjà prêt à décoller, s’est plaint Jean-Pierre Bosser. Impossible, donc, de mener une nouvelle opération extérieure, s’il prenait l’envie à Macron d’en décider une…
A en croire Jean-Yves Le Drian, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, cet ancien fief de Kadhafi est «une priorité pour le chef de l’Etat» (Le Monde, 30 juin 2017). Tellement une priorité que Macron a voulu y jouer les «faiseurs» de paix, comme un grand, sans avertir les Italiens ni l’Union européenne. Le 25 juillet, il a ainsi reçu à l’Elysée Fayez Sarraj, le chef du «gouvernement» de Tripoli (à l’ouest du pays), et le «maréchal» Khalifa Haftar, qui règne à Benghazi (à l’est).
«Facture» de Sarkozy
Deux ennemis jurés se sont serré la main bien qu’ils s’estiment chacun capables de diriger cette immense Libye, riche en pétrole et en corruption. A Rome, cette arrogance élyséenne a été jugée «insultante» – car c’est en Sicile que débarquent les migrants.
Autre initiative présomptueuse d’Emmanuel Macron, la création de plusieurs centres d’examen des demandeurs d’asile sur le sol libyen. Lesquels seraient placés sous la responsabilité de fonctionnaires français de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), dont il faudrait assurer la sécurité. Baptisés hot spots, selon l’anglomanie à la mode, ces centres auraient pour mission de traiter les demandes des «800’000 à 1 million de migrants» (évaluation de Macron à Orléans, le 27 juillet) qui attendent en Libye, dans des conditions épouvantables, de pouvoir franchir la Méditerranée en enrichissant les gangs de passeurs.
Macron n’a pas trouvé mieux, face à la «menace pour l’Europe» (formule d’un conseiller élyséen) que représentent, selon lui, ces migrants fuyant le continent africain. Commentaire désabusé d’un diplomate français: «On paiera encore longtemps la facture de cette guerre menée en Libye par Sarkozy et Cameron (ex-Premier ministre britannique), avec le soutien militaire de Barack Obama et l’approbation de François Hollande.» Six ans plus tard, Obama est seul à reconnaître que cet engagement des Etats-Unis fut «une erreur»… Article publié dans Le Canard enchaîné du mercredi 9 août 2017, p. 3)
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