France. Martiale poussée de fièvre au sein des armées. Le «Chef c’est Moi»

Emmanuel Macron et Pierre de Villiers, ex-chef d’état-major des armées, démissionnaire le 19 juillet 2017

Par Rédaction A l’Encontre
et Claude Angeli

(A l’Encontre) Le Figaro du jeudi 20 juillet 2017 écrit, avec le ton solennel d’un organe de presse appartenant à Serge Dassault – qui était, lui, un invité du président Macron pour le défilé du 14 juillet, aux côtés de Donald Trump, mais qui n’était pas enclin à admirer les compressions budgétaires du duo Elysée-Bercy: «Jamais un chef d’état-major des armées (CEMA) n’avait démissionné sous la Ve République. A fortiori moins d’un mois après avoir été confirmé à son poste. Mercredi matin, juste avant la tenue d’un Conseil de défense à l’Élysée, le général Pierre de Villiers pose son képi. 

«Je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français», explique-t-il dans un communiqué. La veille, il a mis dans la confidence son numéro deux, le major général de l’état-major des armées (EMA), et les chefs d’état-major des armées de terre, de l’air et de la marine. Sa lettre de démission est écrite depuis deux jours. En effet, le lundi 17 juillet, Pierre de Villiers l’a remise au président de la République qui le recevait à l’Élysée. «Donnons-nous encore 48 heures», demande Emmanuel Macron, espérant calmer le jeu. Pierre de Villiers ne changera pas d’avis.» Ainsi, celui qui avait suggéré à Macron de prendre le «command car» pour remonter les Champs-Elysées pose son képi. Claude Angeli écrit son article présentant l’issue, mais ne la connaissant pas encore.

Le Figaro qui parcourt la course d’obstacles depuis le 30 juin résume, en première instance: «Pour le président, les critiques du général de Villiers envoient un mauvais signal alors que son début de quinquennat est placé sous le signe du retour à une gouvernance verticale […]. Emmanuel Macron veut également rompre avec les années Hollande où le ministre de la Défense (Jean-Yves Le Drian) et son CEMA formaient un duo de choc, sachant faire bloc contre toute ponction budgétaire.» Après les confidences de Macron au Journal du Dimanche du 16 juillet, un ami de Pierre de Villiers confesse: “Qu’un homme qui n’a pas fait son service militaire [Macron] explique à un homme qui a risqué sa vie au Kosovo et en Afghanistan ce qu’est la conception du devoir dépasse les bornes.” Trop, c’est trop. Le militaire jette l’éponge. Et présente, lundi à 16 heures, sa démission, au président.»

Alain Barluet et Marcelo Wesfreid du Figaro concluent: «mercredi 19 juillet, la démission du général est finalement acceptée. Reste à gérer les conséquences politiques de l’affaire. L’ordre du jour du Conseil des ministres est chamboulé. Emmanuel Macron annonce la nomination de François Lecointre devant son gouvernement, au cours de la réunion qui s’est étirée sur près de trois heures. Sur le perron de l’Élysée, les ministres ne s’attardent pas. Jean-Yves Le Drian, le très respecté ex-ministre de la Défense passé au Quai d’Orsay, semble sonné. Il s’affiche quelques minutes en discussion avec Nathalie Loiseau, la ministre des Affaires européennes, mais ne prête pas attention aux journalistes qui l’interrogent à distance sur les événements de la matinée. La ministre des Armées, Florence Parly, à la manœuvre sur le budget, se fait discrète. Interrogé en marge d’une étape du Tour de France dans les Alpes, Emmanuel Macron essaie d’éteindre l’incendie: “En 2018, il y aura l’augmentation budgétaire la plus importante sur les quinze dernières années. Je suis derrière les troupes.” Mais le président ne peut s’empêcher d’ajouter: “Ce n’est pas le rôle du chef d’état-major (de défendre le budget des armées), mais celui de la ministre des Armées…”.»

Le gouvernement, pour calmer le jeu, a indiqué son intention de desserrer «l’étreinte budgétaire». L’objectif de porter le budget de la Défense à 2% du PIB – ce qui s’inscrit dans une réorientation de l’UE et en particulier de l’Allemagne, illustrée par sa ministre de la Défense Ursula von der Leyen ­ – hors pensions et hors opérations extérieures (Opex au Mali, en Irak), vantées par Macron. Macron et son staff peuvent toujours dégeler une somme de 1 milliard mise en réserve en 2017. Dès l’an prochain, le gouvernement Philippe – sur indication de Macron – ­ s’est engagé à augmenter le budget de la Défense de 1,8 milliard, pour passer à 34,2 milliards d’euros, a annoncé Emmanuel Macron. Cette hausse est trois fois plus forte que celle consentie entre 2016 et 2017 (600 millions). Ces hausses se feront au moyen: de vente des biens immobiliers de l’armée (ce qui engraissera des spéculateurs immobiliers), de vente de Mirage 2000 aux Etats-Unis pour qu’ils soient transférés vers des alliés appauvris (donc ni l’Arabie saoudite, ni le Koweït…) et surtout par le biais de la «solidarité interministérielle». Traduisez par des coupes encore plus nettes dans l’ensemble des dépenses publiques à caractère social, directement ou indirectement. Mais ce sont des miettes.

Les sommets de l’armée restent sceptiques. Ce n’est pas le soutien de la fachosphère à de Villiers qui va changer son état «d’esprit», son incrédulité par rapport aux promesses de Macron, qualifié des termes les plus révélateurs d’un machisme (ambigu) propre «au corps» des officiers

Romaric Godin, sur Mediapart, soulignait déjà le 15 juillet: «Si la défense a été la variable d’ajustement en 2017, comment croire qu’elle ne puisse l’être encore, sinon en 2018, du moins par la suite, alors que l’équation budgétaire de 2019 sera également très délicate, compte tenu de la double facture créée par la transformation du CICE en baisse permanente de cotisations? En exigeant qu’on fasse silence sur sa volonté de couper le budget 2017, Emmanuel Macron révoque en doute tous ses engagements futurs, à commencer par celui d’amener le budget de la défense en 2025 à 2% du PIB, soit 50 milliards d’euros. De fait, même l’augmentation du budget de 2018 ne permet pas de rendre crédible cet engagement.» Et de citer Michel Goya, – présent sur les plateaux de TV et sur France Culture – qui anime le site La Voie de l’Epée – pour mémoire, le général de Gaulle a publié son ouvrage prospectif Le fil de l’épée en juillet 1932, qui marquait «la force d’une pensée déjà tournée vers l’action hantée par la grandeur et la passion de la France» – à propos du rôle de variable d’ajustement qu’offre le budget de la Défense: «Car, couper dans la défense pour satisfaire aux critères budgétaires européens présente trois avantages, souligne Michel Goya. C’est d’abord un budget important, le deuxième après celui de l’Éducation nationale. C’est ensuite un budget qu’il est aisé de réduire, parce qu’à la différence des autres, constitués majoritairement de salaires, il est riche en achats (environ 40% du total), que l’on peut reporter ou annuler. Enfin, c’est un poste budgétaire où traditionnellement l’on ne conteste pas les décisions, par habitude de la discipline et par respect de la hiérarchie.»

C’est ce respect traditionnel de la hiérarchie qui est mis en cause actuellement. Et pour vraiment calmer le jeu, il faudra «en effet investir 2 milliards par an de plus pendant huit ans pour atteindre cette cible, soit 50 milliards en 2025» (Romaric Godin). Sans quoi le ministère de la Défense et le «chef des armées» pourraient se retrouver sans défense.

La gauche dite radicale – la France insoumise – a osé tweeter le 15 juillet, comme l’indique Hubert Huertas (18 juillet): «les conséquences sur l’armée sont intolérables». Il s’agit du député Alexis Corbière, un des très proches de Mélenchon, ancien du «courant lambertiste» (du nom de son dirigeant historique Pierre Lambert, Boussel de son patronyme), passé brièvement à la LCR au milieu des années 1990, pour rejoindre un autre ancien du «courant lambertiste»: Mélenchon, qui fit de «La Marseillaise» et du drapeau tricolore la décoration, genre architecte d’intérieur, de ses meetings.

Donc au moment où éclate la première crise politique d’ampleur – si l’on passe par pertes et profits les démissions précipitées de Goulard, Bayrou, de Sarnez – la France insoumise (FI) ne remet pas en cause l’ensemble de la politique militaire des classes dominantes en France. Une politique de longue durée, fort bien expliquée par Claude Serfati dans son ouvrage Le Militaire (Ed. Amsterdan, 2017), qui situe la place de l’institution militaire dans le dispositif de la Ve République, aussi bien sur le plan intérieur qu’extérieur.

Ce qui nécessiterait évidemment une campagne d’explication sur les dépenses publiques, une exigence de réduction drastique des dépenses militaires, ces dernières représentant un enjeu politiquement crucial pour le gouvernement Macron-Philippe. Mais aussi – et surtout dans l’immédiat – comprendre qu’il n’y a pas de dialogue possible avec les PDG de la France AG (ou SA en français). La bataille sur le Code du travail (loi Pénicaud, mode Macron XXL) doit être conduite selon des règles et une stratégie qui pourraient, en termes de vocabulaire, emprunter au militaire: «négocier une paix boiteuse, ou choisir l’offensive». Une offensive qui vise à élaborer une jonction entre les salarie·é·s du public et du privé, entre résistance à la «réorganisation du marché du travail» – dit autrement à la hausse du taux d’exploitation ­­ – et au démontage accentué de ce qui reste de «l’Etat social». (20 juillet 2017)

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(Claude Angeli) Emmanuel Macron estimerait-il nécessaire de rappeler à chacun que son pouvoir est sans limites? Qu’il est le patron de son Premier ministre, le véritable responsable de tout ce qui se prépare au sein du gouvernement? Et un grand chef des armées, qui, en public, envoie balader un général aux cinq étoiles qui a osé parler de son «nerf de la guerre» un tantinet rabougri ? Là encore, c’est du Macron tout craché, et ce besoin de s’affirmer en monarque ne date pas de la semaine dernière.

Emmanuel Macron et Pierre de Villiers sautent du «command car»

Le 2 juillet, lors de sa visite au Mali, Macron a soudain lâché, en conférence de presse : «mes hommes, qui risquent leur vie, ce qui est leur devoir et leur honneur ». Ses prédécesseurs à l’Elysée, y compris de Gaulle, se montraient plus modestes, et bien moins possessifs: ils parlaient tous simplement de «nos soldats». Passée alors inaperçue, cette tirade présidentielle a été publiée par Le Figaro, le 14 juillet. Mieux conseillé, sans doute, lors de son discours sur la place de la Concorde, Macron a tout de même évité de lancer à la foule : «mes armées, mes généraux, mes avions, mes chars». Faute de pouvoir dire : «mon chef d’état-major des armées»…

Deux jours plus tôt, lors du Conseil de défense, présidé par Emmanuel Macron, le 12 juillet, Pierre de Villiers avait mis cartes sur table. Et critiqué, sans aucun ménagement, le chiffrage à Bercy [Ministère des Finances] des 850 millions qui vont manquer au budget des armées en 2017, sans compter le gel, total ou partiel, de 2,7 milliards de crédits d’équipement.

Ce même 12 juillet, le chef d’état-major s’est rendu à l’Assemblée, où il devait être auditionné par la commission de la Défense. Et, là, tout en tirant à boulets rouges sur le ministère des Finances, pour éviter de cibler le Président, le général a élevé le ton : «Les militaires en ont soupé, des promesses de lendemains qui chantent.» Puis annoncé qu’il n’avait pas l’intention de «[se] faire baiser comme ça, une nouvelle fois». Allusion à une réduction précédente de crédits sous le règne de Hollande et de Jean-Yves Le Drian [alors ministre de la Défense et vendeurs d’armes en chef, entre autres aux Etats du Golfe, dans lesquels, en tant que ministre de l’Europe et des Affaires étrangères du gouvernement Edouard Philippe II, il cherche la conciliation dans le conflit Qatar-Arabie Saoudite].

Echanges de tirs nourris

Ces propos tenus à huis clos ont été aussitôt rapportés à l’Elysée par l’un, au moins, des 50 députés membres de cette commission parlementaire, tandis que d’autres, après avoir applaudi avec chaleur Pierre de Villiers, fournissaient à plusieurs médias des extraits de cet échange à distance avec l’Elysée. Le lendemain, le 13 juillet, sur RMC (Radio MonteCarlo), le général Vincent Desportes, ancien patron de l’Ecole de guerre, s’est montré bien plus virulent. «De Villiers est parfaitement dans son rôle », a-t-il affirmé, avant de s’en prendre aux «petits voleurs de Bercy» [soit Bruno Le Maire, et comme aide de camp le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin]. Cette référence permanente au ministère Finances n’a pas calmé Macron. Persuadé – par quels informateurs? – que d’autres militaires allaient entrer dans la danse (pas faux…), il a compris qu’il était bien la cible d’une fronde.

Un bataillon de frondeurs

Convaincu de pouvoir faire taire le frondeur en chef Villiers, les généraux, les amiraux et les colonels qui lui ont apporté leur soutien, Macron s’est rendu à la traditionnelle réception organisée la veille du 14-Juillet au ministère des Armées [Après le départ précipité de Sylvie Goulard, suite aux affaires des assistants parlementaire du MODEM de Bayrou, la ministre des Armées est Florence Parly. Ce fut une haute fonctionnaire au Budget sous le gouvernement de Lionel Jospin de 2000-2002, puis membre du collectif de direction d’Air France et de la SNCF ; elle est censée mettre sur les rails «les armées» et leurs fournisseurs; une illusion macronienne]. Face à un auditoire peu réceptif, le Président a brutalement humilié Pierre de Villiers, devant ses pairs et ses subordonnés. «Il n’est pas digne, a-t-il proclamé, d’étaler certains débats sur la place publique.» Et voilà un huis clos dans une salle de l’Assemblée assimilé à une place publique…

Cet appel au «silence dans les rangs» a eu pour résultat immédiat d’inciter les généraux – ce sera le cas de Jean-Pierre Bosser, le patron de l’armée de terre, et de Vincent Lanata, celui de l’armée de l’air – à éviter tout propos militairement incorrect quand ils seront entendus, le 19 juillet, par la commission de la Défense. Au diable l’information et le contrôle des parlementaires!

Impossible, donc, à cet autre membre de l’état-major de confier à un député que «ce manque à gagner (les économies exigées) représente la non-commande de quelque 360 blindés par l’armée de terre» afin de remplacer ceux qui, aujourd’hui, ne permettent pas aux soldats engagés au Sahel de se déplacer en sécurité. Un détail, en passant: aux Etats-Unis, des chefs militaires ou des membres des services secrets critiquent parfois le Pentagone ou la Maison-Blanche devant les commissions parlementaires, sans que leur président leur balance que «c’est indigne».

Vendredi 21 juillet, Macron recevra Villiers à l’Elysée, et il a confié au JDD [Journal du Dimanche du 16 juillet 2017], six jours plus tôt, que, «si quelque chose (sic) oppose le chef d’état-major au Président, le chef d’état-major change (re-sic)». Or, comme ce dernier persiste et signe dans un message qu’il a adressé, le 15 juillet, aux «jeunes engagés», son sort paraît scellé.

Reste que tous ces frondeurs évitent encore de mettre en cause les trop nombreuses interventions militaires, décidées par des présidents très guerriers – Sarkozy et Hollande – et poursuivies par notre nouveau chef de guerre Macron. (Article publié dans Le Canard enchaîné, daté du 19 juillet 2017)

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