France. Un nouveau code pour le tracé de l’exception française

Jean-Claude Mailly, Yves Struillou, directeur général du travail au ministère du Travail (en fonction depuis mars 2014), Muriel Pénicaud, Edouard Philippe

Rédaction A l’Encontre

Jean-Marc Vittori, éditorialiste du quotidien économique «de référence» en France, titre le 18 juillet 2017: «Le vrai défi de Macron pour atteindre l’Olympe». L’explication est simple. Elle mérite d’être citée. En effet, elle insiste sur le test que constitue la concrétisation de la contre-réforme du Code du travail, à l’échéance du 20 septembre 2017, pour engager, dans la foulée, la seconde bataille, décisive, celle pour réduire la dépense publique. Ce qui implique une mise en question de l’ensemble de segments de ce qui a été qualifié, trompeusement, d’«Etat providence». Parole à Vittori: «Aujourd’hui encore, la future loi travail est considérée comme la mère de toutes les réformes pour le nouveau président et son gouvernement. Et c’est vrai que la réussite ou l’échec de l’exécutif à changer vraiment un système qui ankylose l’emploi depuis trop longtemps constituera un indice majeur de sa capacité à faire avancer le pays.

Mais, en réalité, l’enjeu décisif est ailleurs. La Cour des comptes a commencé à le dire fin juin. L’agence de notation Moody’s l’a dit à sa manière la semaine dernière. Le FMI enfonce le clou à l’occasion de sa mission annuelle sur la France. Les experts du Fonds monétaire international saluent certes le programme de réformes du gouvernement, dont ses projets concernant le marché du travail. Mais le FMI insiste surtout sur la nécessité de maîtriser la dépense publique, martelée plus de dix fois dans ses quatre pages de conclusions. C’est ici que le président de la République devra faire ses preuves s’il veut entrer dans le panthéon des grands réformateurs de la France, voire accéder à l’Olympe de la politique nationale.

Au risque de surprendre, voire de choquer, l’essentiel ici n’est pas de respecter une norme de déficit public. Ce n’est pas plus de donner des gages à des partenaires, à des observateurs ou à des investisseurs. Les Français ont une préférence collective pour des dépenses collectives élevées, et ce choix est respectable, peut-être inéluctable. Ceux qui en doutent pourront utilement se reporter aux travaux de l’économiste du XIXe siècle Adolf Wagner [un économiste qui influença Guillaume I, Guillaume II et Bismarck et développa cette prétendue «loi» qui dit «plus la société se civilise, plus l’Etat est dispendieux», il décéda en novembre 1917, tout un symbole], et de son confrère William Baumol décédé au printemps dernier [un néoclassique qui, empruntant des éléments théoriques à Tobin à Maurice Allais ­– et même à Schumpeter –, développa ses travaux sur les différentiels de productivité entre secteur industriel et des services, sur le rôle des entreprises et des entrepreneurs dans la croissance et la répartition des actifs dans les ménages].

Mais aucun économiste n’a jamais vanté les vertus d’une dépense publique inefficace. Or c’est bien là le problème de la France. Le prédécesseur d’Emmanuel Macron l’avait laissé entendre en se demandant si nous étions moins heureux avec une dépense publique inférieure de cinq points de PIB. Les experts du FMI citent entre autres champs d’action le regroupement des collectivités locales, l’élagage des aides au logement, la gestion des hôpitaux, l’allongement de la vie active, la numérisation de l’Etat, la mécanique salariale du secteur public.

Le président de la République et son équipe ont ici un formidable défi à relever. Avec une faiblesse politique majeure: la dépense publique avait été le point aveugle de son programme. Le candidat avait fait montre sur le sujet d’une pudeur de violette. Avec aussi un risque redoutable: les gouvernants français ont acquis depuis quinze ans une formidable capacité à faire croire au monde entier qu’ils mènent des réformes essentielles alors qu’ils se contentent en réalité d’avancées minuscules. Sur le mont Olympe, la petitesse est un défaut rédhibitoire.»

Des mots aux actes?

Le même jour, la CGT publiait le communiqué suivant: «Le cycle des 6 rencontres bilatérales d’une heure entre la CGT et le ministère du travail est terminé. Le gouvernement siffle la fin du premier acte en ayant dévoilé son projet à dose homéopathique et sans préciser si les organisations syndicales seront associées à la suite.

A nous de nous imposer dans le débat! Les mesures envisagées sont toutes régressives et taillées sur mesure pour satisfaire aux exigences patronales: plus de flexibilité, plus de précarité, moins de salaire… Il s’agit aussi de brouiller les repères collectifs, jusque-là communs à tous et consignés dans le code du travail et les conventions collectives, et d’instituer un contrat de travail, avec des règles différentes dans chaque profession. Ainsi, tous les CDD, les contrats d’intérim, seraient réglementés au niveau de la branche voire dans certains secteurs par accord d’entreprise. Si on y ajoute le contrat de chantier, élargi à toutes les professions sous le nom de «contrat d’opération», c’est la précarité additionnée à la précarité, la précarité à vie. Un accord de branche pourrait, par exemple, décider de maintenir les 10% de prime de précarité en vigueur aujourd’hui dans la Loi, pour un salarié en CDD à condition d’accepter plus de 2 renouvellements de ce type de contrat.

Plus de précarité et pour plus longtemps en échange du maintien de droits déjà acquis, quelle belle contrepartie! En cas de licenciement, le salarié (comme son employeur) pourrait être exonéré fiscalement sur ses indemnités de départ s’il accepte une rupture conventionnelle mais pénalisé fortement s’il va aux Prud’hommes.

Quand on sait que 92% des contentieux aux Prud’hommes concernent des licenciements abusifs, on comprend aisément que le patronat vient d’obtenir le droit de licencier sans contrainte. Le gouvernement envisage également de déréglementer le travail de nuit, de remettre en cause les primes d’habillage/déshabillage, le passage de consignes prévues dans le temps de travail effectif pour certaines conventions collectives …

Payer moins cher le quart d’heure supplémentaire effectué par une hôtesse de caisse dans une enseigne d’alimentation, chacun comprendra que c’est une mesure cruciale pour lutter contre le chômage de masse! Ce projet de loi est nuisible pour le monde du travail, il doit être combattu! La CGT propose de faire du 12 septembre une grande journée de grève interprofessionnelle pour imposer un code du travail de progrès social.»

Jupiter pourrait rester au pied de l’Olympe

Le 19 juillet 2017, Les Echos publiait le résultat d’un sondage effectué par Odoxa-Guibor pour Les Echos et Radio Classique. Il en ressort que la politique sociale et économique de Macron est «perçue par les deux tiers des Français (64%) comme étant «potentiellement injuste socialement». Ce qui explique que son accueil général soit mitigé chez les Français (50% en ont une mauvaise opinion, contre 49%). Le sondage fait apparaître une distinction nette entre les gagnants et les perdants de cette politique selon les Français. D’un côté, les cadres (jugés gagnants à 64%) et surtout les chefs d’entreprise (80%) leur apparaissent avantagés. De l’autre, les jeunes (perdants à 54%), les chômeurs (58%) et les ouvriers (63%) sont à leurs yeux les plus défavorisés. Les retraités apparaissent, eux, comme les grands perdants (85%) de la politique de ce gouvernement, victimes directes de la future hausse de la CSG [leur retraite sera frappée par l’impôt que constitue la Contribution sociale généralisée].» Dès lors une question se pose: les résultats des prétendues négociations menées par l’ex-DRH du Groupe Dassault Systèmes, du groupe Danone, puis administratrice du groupe Orange (ex-France Télécom), Muriel Pénicaud – aujourd’hui ministre du Travail – peuvent-ils être combattus en acceptant, au plan politique et syndical, la trêve estivale?

Autrement dit, en se limitant à des déclarations (voir celle de la CGT ci-dessus) et en ne préparant pas conjointement, selon une temporalité adéquate, l’organisation d’une contre-offensive – soit d’actions concrètes à caractère pourrait-on dire prophylactique –, une césure apparaît entre proclamations et travaux d’accumulation de forces sociales mobilisables  dans la stratégie choisie par des directions syndicales. A ce propos, les initiatives du Front social, certes restreintes, pourraient inspirer diverses voies praticables. Or, la démarche institutionnelle de Macron – en réalité celle, dans sa forme, mise en place depuis 2008 sous N. Sakozy – peut être résumée par une formule: «la procédure d’urgence». Un terme qui devrait informer, dans ses dimensions, la réplique sociale et syndicale.

L’Union syndicale Solidaires dans un tract national intitulé «Préparons la rentrée sociale» affirme: «Parce que nous n’avons pas d’autre alternative que la lutte! Mobilisation le 30 août à Jouy en Josas devant l’université d’été du Medef et partout en grève le 12 septembre», un appel qui, finalement, est unitaire. Dans cette feuille est aussi mise en relief l’attaque contre le secteur public – ce qui renvoie directement à la politique budgétaire – et ses conséquences: «Sous la même logique, les emplois et les droits des agent·e·s du secteur public ne seront pas épargnés: suppression massive de postes, réinstauration de la journée de carence en 2018 (comme Sakozy en 2011), le point d’indice à nouveau gelé (tant pis pour celle et ceux qui avaient mis naïvement leurs espoirs dans le dispositif PPCR: «Parcours professionnels, carrières et rémunérations). Les services publics sont en mauvais état, ce sera pire!»

Dans la configuration socio-politique présente, le gouvernement Macron-Philippe utilisera le prétexte de l’urgence de la relance économique (avec le message implicite de la «création d’emplois») grâce aux nouvelles conditions-cadres (selon le vocable germanique) à mettre en place – qui sonnent comme une condition pour établir une «alliance avec l’Allemagne de Merkel» qui, elle, réclame des «contre-réformes à la Hartz IV» menées par un Jupiter pas encore pris trop au sérieux par le patronat allemand. Ce dernier se méfie des salarié·e·s de France. El il n’est pas convaincu que le macronisme ne relève pas d’une sorte de bulle boursière (qui par définition peut se désenfler) de ce président du «1% des riches». Ce d’autant plus que la crise bancaire italienne et les incertitudes politiques en Italie restent un souci majeur pour ceux qui savent qu’une «crise italienne», ajoutée au Brexit, battrait en brèche les visées de réorganisation de l’Union européenne.

Le gouvernement En Marche, pour mener la première contre-réforme test, doit s’assurer, de plus, l’appui de deux centrales syndicales: la CFDT de Laurent Berger et Force ouvrière de Jean-Claude Mailly, dont les connexions avec des «consultants» du ministère du Travail semblent avérées. Or, il est loin d’être certain que l’emprise des appareils puisse être telle à empêcher non seulement des oppositions [1], mais des ralliements locaux à une mobilisation qui prendrait de l’ampleur. (19 juillet 2017)

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[1] Lire à ce propos l’article d’un spécialiste de Force ouvrière – une centrale dans laquelle le courant dit lambertiste a historiquement placé ses œufs selon la pratique du coucou gris (cuculus canorus) – dont l’expertise en la matière dépasse les frontières de la Nièvre et même de la France: Vincent Présumey. Voici le lien: Arguments pour la lutte sociale, Numéro 78 du 18 juillet 2017, page 7; https://aplutsoc.files.wordpress.com/2017/07/apls_num-78_20170718.pdf

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