France. Le Front de gauche: dans quelle direction?

Assemble générale du Front de gauche, le 6 septembre 2014
Assemblée générale du Front de gauche, le 6 septembre 2014

Par Stéphane Alliès

Le Front de gauche n’est pas mort, mais il ne bouge pas encore. Ce samedi, dans la salle des fêtes de la mairie de Montreuil, environ 200 responsables nationaux et cadres locaux, encartés et non-encartés, se sont reparlé. Toute la journée, à huis clos, sauf pour la dernière heure et demie, les interventions de trois minutes ont dégagé un consensus autour du rejet franc et massif du gouvernement Valls, mais rien de plus. Tout juste a-t-il été décidé une réunion du même type courant novembre, et énoncé une volonté de relancer d’ici là les assemblées citoyennes. Avec le sentiment, vu le peu d’enthousiasme ambiant, qu’il s’agissait là de formules de politesse, davantage que de réelle dynamique.

«En juillet, le Front de gauche était proche de la mort, mais ce n’est plus le cas, tout le monde était présent et s’est reparlé, philosophe l’eurodéputée Marie-Christine Vergiat. Il faut déjà se satisfaire de cela, et se dire que c’est une première étape.» De cette journée, à laquelle ont assisté côte à côte Pierre Laurent (secrétaire national du PCF) et Jean-Luc Mélenchon (PG), on ne retiendra toutefois qu’une «déclaration» commune, somme toute assez convenue, évoquant des participations à d’éventuelles manifestations syndicales à venir, des «initiatives» à prendre, mais sans dire lesquelles, la VIe République comme «moyen essentiel de sortie de crise», ou un appel à «ne pas voter la confiance» à Manuel Valls.

Pour autant, impossible de dire de quoi demain sera fait au Front de gauche, chacun parmi les diverses composantes du rassemblement de la gauche radicale semblant rester dans son couloir stratégique, et personne n’ayant visiblement envie de se confronter sur ses différends, faute de pouvoir réellement les trancher.

«On a encore du travail à faire sur notre projet par rapport à l’incroyable glissement d’un gouvernement qui n’a plus rien de social et qui est désormais strictement néolibéral, explique le dirigeant communiste Francis Parny. Le rassemblement de la gauche que nous appelons de nos vœux ne peut plus prendre la même forme qu’il y a dix ou quinze ans… » Pour le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, si «le diagnostic fait consensus: il n’y a aucun avenir avec le gouvernement Valls», il reste au Front de gauche à trancher l’éternel débat «sur la construction d’un rassemblement alternatif».

Lui défend un retour de la gauche plurielle moins le social-libéralisme, avec des écologistes et des socialistes en désaccord avec les orientations du pouvoir actuel. A la fête de L’Humanité, le week-end prochain, il fera bon accueil à Cécile Duflot [EELV, ex-ministre] et Emmanuelle Cosse [secrétaire nationale d’Europe Ecologie les Verts], comme à Christian Paul [député du PS] et aux «principaux frondeurs» [du PS]. Et Laurent ne cache pas sa volonté de mettre en scène les convergences. «C’est un moment pour concrétiser des actions, des discussions sur l’alternative gouvernementale, dit-il. Le Front de gauche a un rôle de premier plan à jouer. À nous d’être audacieux et de ne pas attendre que se déroule le scénario dramatique déjà annoncé par les sondages.»

Pour la direction communiste, l’«union de la gauche» reste la voie la plus réaliste de sortie de l’impasse, loin des espoirs de «révolution citoyenne» de Jean-Luc Mélenchon. «Des réalités commencent à s’imposer, dit Pierre Laurent. Beaucoup pensaient, il y a peu, que le PS ne bougerait jamais ou que les écologistes ne sortiraient jamais du gouvernement. Et les lignes vont continuer de bouger dans le mouvement social.»  Le sénateur PCF assure ne pas vouloir «continuer un tête-à-tête» avec le parti de gauche (PG), mais entend «convaincre qu’il y a un chemin praticable à emprunter».

Mais les proches de Mélenchon semblent plus que sceptiques sur la viabilité de ce chemin. «On note les réflexions chez certains socialistes, mais elles paraissent bien faibles face aux chantages à la dissolution» [de l’Assemblée et des élections], tempère ainsi l’ancienne co-présidente du PG, Martine Billard. «Accompagner des actes, oui. Applaudir des paroles, non», renchérit Alexis Corbière, secrétaire national du PG. Lui-même ancien socialiste, il s’agace des atermoiements et des tergiversations, et redoute une «perte de temps» supplémentaire. «Je ne doute pas de la sincérité du tourment des frondeurs socialistes, que je connais bien pour certains, dit-il, mais si ça se finit par des abstentions, à quoi bon… Les faits trancheront, mais on ne peut pas bâtir une stratégie sur l’évolution au PS.»

Le modèle de 2005

Comme l’a indiqué à Mediapart Éric Coquerel [1], le PG a surtout plus envie désormais de se tourner vers le peuple et les abstentionnistes que de continuer à négocier des coalitions avec le «système». Mais si personne n’a contesté les envies de Jean-Luc Mélenchon de dépasser le Front de gauche en lançant un «mouvement pour la VIe République», peu ont fait connaître leur enthousiasme devant l’initiative. «On est les seuls à proposer quelque chose qui sort des vieilles recettes, des campagnes militantes et des discussions avec toute la gauche », explique Corbière. D’accord, « la situation est compliquée, inédite et dangereuse, mais soit on continue à se le dire indéfiniment et on se plombe à force de se le dire, soit on essaie de s’adapter à la période, et de répondre à la crise civique ».

Même si la révolution bolivarienne ne vient pas en France, Mélenchon et les siens n’abandonnent pas la lecture latine des événements. «L’expérience sud-américaine a bien montré que les grands changements sociaux vont toujours avec les grands changements institutionnels», dit Corbière, tandis que les dirigeants du PG évoquent désormais l’expérience espagnole de Podemos (parti né du mouvement des indignés).

A mi-chemin entre PCF et PG, la troisième composante du Front de gauche, les anticapitalistes d’Ensemble! (rassemblement d’anciens communistes rénovateurs et d’anciens de la LCR et du NPA) cherchent une troisième voie compromissoire. «Nous sommes aujourd’hui en tension entre la nécessité d’occuper un espace politique distinct de la gauche gouvernementale et la difficulté de ne pas tomber pour autant dans la logique de cordon sanitaire avec le PS», explique Clémentine Autain. Pour elle, le modèle à suivre doit être celui des collectifs antilibéraux de la campagne du référendum de 2005: «Être clair sur notre positionnement et créer des passerelles », jusqu’à des socialistes (comme Fabius, Emmanuelli ou… Mélenchon). Elle prolonge : «C’est un peu ce qui s’est passé à Grenoble. Avec un discours clair, on a accompagné des passerelles citoyennes et soutenu un écologiste, alors même qu’EELV participait au gouvernement.» Quid alors des socialistes ? «Soit ils continuent dans le même bateau et contribuent à le couler, soit ils en changent.»

Ensemble! défend de son côté l’idée d’assises locales puis nationales, avec toutes les forces intéressées, afin de «réenclencher un processus de discussio » sur quatre thèmes (démocratie, partage des richesses, transition écologique, luttes pour l’égalité). Mais sans certitude, là non plus, que l’initiative emporte l’adhésion d’un Front de gauche pour l’instant peu désireux de partir à l’abordage militant, jugeant préférable de prendre le temps de l’observation de la décantation du paysage politique. «Il faut reconnaître qu’au rythme où vont les choses, on en vient à faire l’analyse politique à la semaine»,soupire l’ancienne coprésidente du PG, Martine Billard.

L’impression d’un Front de gauche anémié irrite aussi de nombreux cadres, fatigués de l’emprise des logiques d’appareil sur le rassemblement de la gauche radicale. Parmi eux, Danielle Obono, l’une des anciennes porte-parole de la campagne présidentielle. Elle ne mâche pas ses mots sur l’apathie généralisée d’un mouvement qui prend son temps pour se remettre en branle. «On dit tous que la catastrophe est là, mais on ne fait rien, dit-elle. On réagit à la petite semaine, mais on ne construit rien. Par exemple, on n’a aucun discours sur le FN. Depuis le “Front contre Front” de Mélenchon, on a décrété que ça ne marchait pas, mais on n’a rien proposé depuis… »

Amère, Obono se lamente devant une situation où « tout le monde s’écoute parler et manier la langue de bois, se redit tout ce qu’on se dit depuis 5 ans, en remplaçant Sarkozy par Valls. À force, les adhérents de 2012 se sont peu à peu retirés, et il ne reste plus que les survivants. Ce n’est pas avec ça qu’on reconstruira la gauche ». Moins pessimiste et plus patiente, Clémentine Autain veut croire que le réalisme imposera à chacun de continuer à jouer collectif : «C’était déjà utile de se reparler, vu qu’on avait pris l’habitude d’être distant les uns des autres. Tout le monde a dit son attachement au Front de gauche, et c’est une bonne chose, car de toute façon, on n’a pas le choix: si le Front de gauche meurt, qui survit?» (Article publié sur le site de Mediapart le 7 septembre 2014)

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[1] Voici un extrait de cet entretien avec Eric Coquerel datant du 5 septembre 2014: « Le Front de gauche pouvait apparaître comme le cousin de famille très critique, mais en appartenant quand même à la même famille que la gauche qui gouverne aujourd’hui.,Ce qui nous entraîne au raisonnement suivant: vu qu’aux yeux du plus grand monde, c’est LA gauche qui gouverne, l’idée que l’alternative dépende de l’unité de l’autre gauche dans l’objectif de passer devant le PS pour bousculer le rapport de force à gauche ne convainc pas assez. C’était la stratégie originelle du FDG mais après trois ans de Hollande, elle ne marche plus. Il a cassé encore davantage tous les repères par sa politique! Cette hypothèse mobilise la partie la plus politisée de l’électorat mais pas tous ceux qui se disent, même inconsciemment : s’ils imaginent s’allier au deuxième tour pour gouverner alors c’est qu’ils appartiennent au même monde. Il faut donc être capable d’arriver à une alternative qui ne dépende pas de forces du système, qui ne dépendent donc pas des alliances avec le PS au second tour. […] Encourager les critiques internes du PS et les soutenir dans un congrès en espérant qu’ils prennent la majorité, sans certitudes en plus sur la sincérité du scrutin, ce serait pendant un an dépendre de ce parti et apparaître avec lui comptables du bilan du quinquennat Hollande. Or le PS actuel ne subsistera pas après 2017, et pas question de mourir avec lui et Hollande ou un(e) autre social-libéral(e) de remplacement.

C’est pour cela que Jean-Luc Mélenchon a proposé un pas de côté avec le projet d’un mouvement pour la VIe République. Il ne s’agit pas de nier l’utilité des partis, mais de créer un mouvement qui les dépasse, Ce doit être différent, plus ample, plus à même de mobiliser le peuple. L’objectif est de remettre en mouvement au moins une partie des millions d’abstentionnistes des dernières européennes. Et, comme il n’y aura pas deux candidats libéraux qualifiés, voire pas du tout, c’est de jouer ainsi le second tour de la prochaine présidentielle et la victoire. Ce n’est pas contradictoire avec l’existence du FDG mais chacun comprendra que ce ne peut être le simple prolongement du FDG. Il faut viser plus large: fédérer le peuple.  […]

Je n’ai absolument aucune certitude sur le fait qu’on y arrive, mais je ne vois pas d’autres solutions pour éviter le pire que d’espérer que le peuple revienne aux affaires. Pour une très grande majorité de la population, y compris une grande part de ceux qui ont voté Hollande pour se débarrasser de Sarkozy, constatons que le clivage gauche-droite n’a plus de sens. C’est un crève-cœur mais les responsables sont ceux qui comme Hollande ont brouillé ce clivage, pas le peuple. On ne peut dès lors faire reposer un mouvement visant à fédérer le peuple sur son appartenance obligée à LA gauche. Ce qui n’empêche pas que notre projet est évidemment de gauche au sens réel du terme. On connaît l’électorat politisé du Front de gauche, il est constant, il tourne autour de 7 % à chaque élection sauf justement lors des présidentielles. Si on en croit les sondages qui testent les mêmes candidats qu’en 2012, le potentiel de la présidentielle est toujours là. Il faut aller le rechercher, le mettre en mouvement, l’élargir chez ceux qui s’abstiennent comme chez ceux qui n’en peuvent plus de Hollande. Comme le dit Jean-Luc Mélenchon : « Le système n’a plus peur de la gauche, il a peur du peuple. » Cela signifie aussi que pour combattre le système, le peuple ne compte plus sur la gauche. Pour lui parler, il faut tenir compte de cette équation sinon on se fait plaisir et on se rassure à bon compte. […]

Mais vous évoquez la VIe République depuis la présidentielle, et avez déjà organisé une marche le sur le sujet. Or cette revendication se résume essentiellement à la convocation d’une assemblée constituante, ou de l’instauration d’un référendum révocatoire de mi-mandat. Ce contenu n’est-il pas un peu “léger” pour mobiliser ?

On pourrait penser que la constituante est uniquement une méthode, mais c’est en réalité l’expression d’une volonté : que le peuple redevienne souverain. C’est un moteur essentiel. Une nouvelle constitution ne peut pas être le fait que de partis ou d’experts. Ça n’est pas neutre, c’est au moment de la constituante de 1789 que sont nées spatialement la gauche et droite : pour compter les voix, on a mis ceux qui s’y opposaient au nom de la souveraineté populaire à gauche de l’hémicycle et les autres à droite. Mais bien sûr nous portons aussi une conception de la VIe. Le pouvoir revenant au parlement, en finir avec le fait que la politique soit un métier réservé à une minorité, instaurer une république sociale, bref le peuple souverain partout y compris pour contester le pouvoir démesuré accordé au capital. Nous voyons la VIe République comme une réponse globale dans un moment où le capitalisme prive le peuple de sa souveraineté, pas seulement comme une approche institutionnelle.

Cela va passer par quel type d’initiatives ?

Nous sommes évidemment en phase avec Jean-Luc Mélenchon quand il explique que ce ne peut être le mouvement d’un parti, et encore moins d’un homme. Vous comprendrez dès lors que les choses ne sont pas calées. Il faut déjà travailler à réunir des personnalités diverses qui sont d’accord pour le lancer comme on a su le faire pour initier la marche du 5 mai. Par ailleurs, il y a au moins un principe : il faut que ce soit un processus populaire, donc qu’on puisse par exemple y adhérer directement. Il faut que cela nous dépasse rapidement.

Mais l’essentiel, y compris dans l’irruption populaire que nous espérons, ce sont les batailles sociales et citoyennes contre le gouvernement Valls 2 qui vont avoir lieu. Tout ce qui peut rassembler les syndicats, les associations, les syndicats, en respectant évidemment l’indépendance et les formes d’actions propres de chacun, sur cet objectif, comme nous l’avons fait lors de la marche du 12 avril 2014, est également essentiel et en rien contradictoire d’un mouvement pour la VIe République. Car le mieux serait d’en finir très vite avec ce gouvernement de droite.»

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