France. Le Drian en Irak pour «renouer un partenariat historique»

Florence Parly, ministre des Armées, Jean-Yves le Drian en conférence de presse avec Ibrahim al-Jaafari, ministre irakien des Affaires étrangères

Par Claude Angeli

Dans l’avion de Jean-Yves Le Drian, qui, samedi 26 août, volait vers Bagdad, les journalistes qui accompagnaient le nouveau ministre des Affaires étrangères l’ont jugé fort confiant dans l’avenir de l’Irak. A l’entendre, «la guerre qui touche à sa fin (…) et la phase de paix» qui s’annonce vont permettre le «début de la stabilisation et de la reconstruction» d’un pays qui a connu quatorze années de guerre ininterrompue. Autant de confidences surprenantes qui justifient, toujours selon Le Drian, la nécessité de «renouer un partenariat historique» avec les dirigeants irakiens. Un projet et une formule audacieuse qui rappellent à tout un chacun les relations sulfureuses entretenues jadis par Jacques Chirac et Saddam Hussein [1]. Involontairement, on veut l’espérer…

Ancien ministre socialiste de la Défense [et de la vente d’armes], Le Drian était, à l’époque, plutôt proche des militaires et toujours très attentif aux informations que ceux-ci lui transmettaient depuis l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, voire depuis la Libye. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. A l’état-major des armées, en liaison permanente avec les officiers français présents en Irak, les déclarations optimistes de le Drian ne font pas un triomphe. «Les combattants de l’organisation terroriste, fait remarquer un général, multiplient les affrontements violents et l’utilisation de véhicules-suicides pour ralentir la progression des Irakiens» au sein de la ville de Tall Afar, à l’ouest de Mossoul (reconquise, elle, après un an de combats) et à 60 km de la frontière syrienne. Les 150 artilleurs français qui servent les canons Caesar, montés sur camion (40 km de portée et six coups à la minute) se sont installés à l’est de cette ville et continuent de bombarder les troupes de l’Etat islamique [2].

Ambitions commerciales

Autre information en contradiction avec la «phase de paix» imminente annoncée par Le Drian: la semaine dernière, les Rafale français sont intervenus à 37 reprises pour tenter de détruire l’artillerie de Daesch, et le nombre de raids effectués les mêmes jours par les Américains est considérablement supérieur.

A Bagdad, Jean-Yves Le Drian et Florence Parly, la ministre des armées, qui était du voyage, ont rencontré leurs homologues irakiens, avec pour mission d’évoquer ce projet de «partenariat historique», annoncé en priorité à quelques journalistes invités Deux arguments sont mis en avant par ces envoyés spéciaux de Macron. Et d’un: le 19 septembre, l’intervention française Chammal [3] entamera sa quatrième année de présence sur le front irako-syrien. Avec environ 4500 hommes (pilotes et techniciens pour les 14 Rafale basés en Jordanie et pour les six autres dans les Emirats, et forces spéciales réparties en Syrie, en Irak et auprès des Kurdes). Et de deux: Paris vient d’annoncer un prêt de 430 millions d’euros « pour la reconstruction de l’Irak», que les services français évaluent à un montant légèrement plus élevé – entre 700 et 1000 milliards de dollars [4].

Mais les ambitions françaises dans les domaines politique, économique et pétrolier ne peuvent être que limitées. La puissante Amérique, elle, est présente sur le terrain depuis quatorze ans.

Les armées irakiennes sont équipées en matériel américain – du char aux rangers – et conseillées par des officiers US. Et Washington aura toujours son mot à dire, brutalement si nécessaire, sur les partenariats qui pourraient se conclure à Bagdad. A cette réserve près, dans cet Orient compliqué : les dirigeants irakiens, chiites, à l’instar de leurs voisins et amis iraniens, apportent leur soutien au Syrien Bachar. Tout comme Poutine. (Article publié dans Le Canard enchaîné du mercredi 30 août 2017)

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[1] Dans Libération du 10 mai 1995, sous le titre «Saddam Hussein “ami de vingt ans” de Jacques Chirac» on pouvait lire: «Le chef de l’Etat irakien, 58 ans, a applaudi lundi l’arrivée à l’Elysée d’un «ami de vingt ans». Dans un message de félicitation adressé à Jacques Chirac, le dirigeant irakien évoque avec nostalgie leur ancienne lune de miel, en 1975, quand la coopération entre les deux pays battait son plein. «Je voudrais rappeler à votre mémoire l’action commune que nous avions menée tous les deux il y a deux décennies pour l’édification des relations spéciales entre l’Irak et la France», écrit Saddam Hussein qui invite son interlocuteur à recommencer, deux guerres du Golfe plus tard: «Nous continuons à accorder la même importance à ces relations (…) et nous vous assurons de notre disposition à agir de concert avec vous et à entreprendre tout ce qui pourrait vous aider» à rétablir ces liens.» (Réd. A l’Encontre)

[2] Le Premier ministre irakien Haider al-Abadi a annoncé jeudi 31 août la reprise au groupe Etat islamique (EI) de Tal Afar, l’un des trois derniers bastions jihadistes dans le pays, finalisant ainsi la reconquête de l’ensemble de la province septentrionale de Ninive. Le 20 août, les forces gouvernementales et paramilitaires irakiennes avaient lancé l’assaut sur Tal Afar, à 70 km à l’ouest de Mossoul. L’avancée avait été rapide dans cette ville qui comptait 200’000 habitants avant l’arrivée des jihadistes. Les forces anti-EI avaient toutefois rencontré une forte résistance des combattants de l’EI dans une localité plus au nord, al-Ayadieh, sur la route menant à la Syrie. Après la reprise de Tal Afar, l’EI ne tient plus que deux zones: Hawija, à près de 300 km au nord de Bagdad, et trois villes de l’ouest désertique frontalier de la Syrie: al-Qaïm, Rawa et Anna.» (AFP, 31 août 2018, Réd A l’Encontre)

[3] L’opération Chammal est le nom donné à partir du 20 septembre 2014 à la participation des forces armées françaises, au sein de la coalition contre le dit Etat islamique (EI, Daech). Ce nom désigne en arabe un vent du nord en Irak. (Réd. A l’Encontre)

[4] Quelques grosses firmes du bâtiment, des infrastructures, du ciment – tel le leader mondial Holcim-Lafarge qui dispose déjà d’une usine – sont sur pied de guerre pour cette œuvre civilisatrice, effectuée avec l’appui de Bachar dont le clan s’est attribué des propriétés urbaines et agricoles d’ampleur. (Réd. A l’Encontre)

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Une guerre à privatiser?

C’est plutôt à contrecœur que Donald Trump a décidé d’augmenter de 4000 hommes les effectifs des forces US présentes en Afghanistan. Ses généraux en espéraient davantage, mais plusieurs proches du Président, son gendre Jared Kushner et son ex-conseiller stratégique Steve Bannon (limogé avec regret) estiment que l’Afghanistan est un échec sans fin qui coûte trop en dollars, en hommes et en prestige aux Etats-Unis. Et une idée commence à être débattue à la Maison-Blanche: pourquoi ne pas confier ce conflit à des sociétés militaires privées, nombreuses aux Etats-Unis, et à elles seules? Plusieurs pays alliés pourraient aussi fournir ce genre de mercenaires, ou de barbouzes. Un important début de privatisation existe déjà en Afghanistan: 25’000 contractuels américains participent aujourd’hui aux combats. (Claude Angeli, in Le Canard du 30 août 2017)

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