France. La turpitude politique d’un projet «de déchéance de la nationalité»

Terrorisme-la-decheance-de-nationalite-des-binationaux-inscrite-dans-la-ConstitutionTémoignages et contribution

Dès le mois de févier 2016, l’inscription de l’état d’urgence sera mise en débat dans les deux chambres (Chambre des députés et Sénat), en France. Au même titre, sera débattue la proposition de la «déchéance de nationalité», proposition de la présidence Hollande, pour les binationaux. Une proposition qui venait, initialement, du Front national. Nous publions à propos de ce projet hollandiste trois textes.

• Le premier: un témoignage et «lettre ouverte» au Président de la République française par un binational, Samir Khenizi, Franco-Algérien.

• Le deuxième: un texte d’un élu PS, Patrick Klugman. Un proche de la maire de Paris, Anne Hidalgo, et, antérieurement, de Bertrand Delanoë. Ce dernier lui servit de «bras de levier» pour sa carrière politique.

Patrick Klugman s’affiche «militant antiraciste» ­– effectivement opposé aux tests ADN pour les candidats à l’immigration au nom du regroupement familial –, «sioniste» et «pro-palestinien». Il a été représentant, en France, de l’Initiative de Genève: «plan de paix» dit alternatif, sponsorisé par la conseillère fédérale social-démocrate helvétique Micheline Calmy-Rey, cheffe du Département fédéral des affaires étrangères de 2003 à 2011. L’Initiative de Genève était pilotée par Alexis Keller, politicologue récompensé par la Fondation Latsis, soit celle de l’armateur-magnat grec du même nom qui disposait d’autres plans alternatifs de placement dans la Genève financière.

L’Initiative de Genève fut signée – sans effet, bien que son contenu soit plus que contestable du point de vue des droits du peuple palestinien – en décembre 2003 entre deux «ex»: l’ex-ministre israélien Yossi Beilin et l’ex-ministre palestinien Yasser Abd Rabbo.

La contribution de P. Klugman sur la «déchéance de nationalité» – au-delà de ses formulations sur «l’unité nationale», les «valeurs de la République» (lors les guerres coloniales passées et présentes? à l’occasion de la livraison des Rafale au Royaume des Saoud? etc.) – éclaire, à sa façon, sur des questions de droits démocratiques élémentaires, la dérivation construite du cours politique du pouvoir Hollande-Valls dans le seul but d’atteindre les rivages de la présidentielle de 2017 et d’impatroniser le surcroît autoritaire à sa politique économique néolibérale.

• Le troisième texte est une contribution sur le blog de Mediapart en date du 26 décembre 2015, il met le doigt sur les effets boomerang d’une telle décision.

Les prises de position ayant trait à la déchéance de la nationalité sont multiples chez les élu·e·s. Elles transcendent les clivages politiques officiels. Elles exposent donc la crise de leadership politique en France sous les feux d’une colère sociale profonde, aux expressions polymorphes, et suite au choc de l’essor du Front national. (Rédaction A l’Encontre)

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Lettre ouverte de Samir Khebizi, Franco-Algérien

Monsieur le Président,

FRANCE-IRAQ-DIPLOMACYA 43 ans, je vous écris mon premier courrier. J’ai entendu à la radio, en rentrant de ma journée de travail, l’annonce du changement constitutionnel que vous envisagez sur la binationalité. Abasourdi, je me suis assuré de la réalité de l’information et voilà ce que je tiens à vous dire.

Je m’appelle Samir, Sam pour mes proches. Je suis français. Je suis né en France. J’ai grandi et vis à Marseille. Je suis non croyant. Mes parents sont d’origine algérienne. Ils m’ont éduqué dans le culte de l’intégration comme, à l’époque, tous mes camarades de classe de multiples nationalités. Avec le recul, je suis plutôt fier des valeurs qu’ils m’ont transmises même s’ils ont poussé le bouchon un petit peu trop loin en ne m’apprenant pas l’arabe, ce que je regrette aujourd’hui. Je dirige une association culturelle renommée et je suis très investi dans la vie locale au sein de plusieurs instances de représentation. Je voyage beaucoup et je me rends compte à quel point je suis imprégné de cette éducation typiquement française, ouverte au monde et un brin arrogante; de cette culture et de cette histoire qui est la mienne.

Je suis devenu binational, il y a un peu plus de dix ans par un triste concours de circonstances. En 2002, au décès de mon père, conformément à ses dernières volontés, j’ai pris en charge le rapatriement de sa dépouille en Algérie, afin qu’il puisse être enterré au côté de sa mère. En me rendant au consulat, en pleines fêtes de fin d’année, on m’a expliqué qu’il était plus simple au regard de mes origines familiales de me délivrer en urgence une carte d’identité et un passeport algérien plutôt qu’un visa, plus long à obtenir. Hop, c’était fait. Le matin j’étais citoyen français, à midi j’étais, en plus, devenu citoyen algérien. Pratique la binationalité ! Voyages et passages en douane facilités des deux côtés, pas de coûteux et fastidieux visas à obtenir. Extrêmement utile pour un voyageur régulier comme moi. Et puis quel beau pays et quel beau peuple j’ai pu redécouvrir !

Jusque-là, je ne voyais que la dimension pratique que cela représentait pour moi. Je n’avais pas de revendication identitaire. Mes papiers algériens étaient d’ailleurs périmés depuis deux ans quand j’ai dû me rendre à Oran et à Alger, il y a deux semaines, pour débattre avec des jeunes sur le concept de citoyenneté méditerranéenne. Avec l’instauration du passeport biométrique, les délais et multiples démarches qu’il impose, j’ai plutôt opté pour le visa traditionnel avec mon passeport français et je n’avais pas prévu de renouveler mes papiers algériens.

Avec l’annonce de votre mesure, je vais m’empresser la semaine prochaine de courir à l’ambassade revendiquer mon droit à la binationalité. Comme une réaction viscérale, comme un acte politique, comme une tentative de réparation à l’insulte que vous faites aux valeurs républicaines que l’on m’a inculquées. Qu’essayez-vous de faire croire au peuple français?

Que cette mesure permettra de les protéger du terrorisme aveugle qui touche notre pays comme tant d’autres? Non, je ne le crois pas. Certains de mes amis tentent de me convaincre de la nécessité tactique d’annoncer cette mesure au lendemain du dernier scrutin avant la présidentielle. Peut-on sacrifier nos valeurs fondamentales sur des simples motifs de stratégie politique? Non, je ne le crois pas. Vous annoncez vouloir tenir votre parole faite au lendemain des attentats, mais combien de fois n’avez-vous pas tenu parole aux Français depuis votre élection de 2012? Et puis, quels binationaux sont réellement visés par cette mesure?

L’islamisme radical n’est pas une nationalité à ma connaissance et je ne connais pas de personnes détentrices d’un passeport franco-terroriste. Dans ma région, je me bats, comme tant d’autres, contre un FN décomplexé qui était aux portes de la présidence de la région Paca. Je ne suis pas sûr que vous soyez mon allié dans ce combat. L’original sera toujours préféré à la copie surtout quand les mesures annoncées sont liberticides et démagogiques.

Monsieur le Président, je suis bien plus atteint par la violence symbolique de votre mesure que ne l’est n’importe quel terroriste en puissance. Depuis votre élection, je vous ai suivi sur vos différentes mesures politiques. Avec scepticisme souvent, mais j’ai suivi. Si vous faites voter cette mesure, vous me perdrez, définitivement. Vous perdrez la majorité des binationaux qui, nombreux, composent la société française, historiquement multiculturelle quoiqu’en disent certains. Vous perdrez tout simplement de nombreux Français qui ne vous suivront plus. Vous utiliserez une bombe qui, en voulant détruire un repaire de rats, détruira la cité. Et malheureusement, entre-temps, les rats, futés, se seront cachés ailleurs… peut-être derrière leur unique passeport français.

Réfléchissez vite et bien, Monsieur le Président, mais surtout réfléchissez juste. (24 décembre 2015)

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«L’acquisition de la nationalité par le droit du sol est normalement intangible»

Par Patrick Klugman

La-decheance-de-la-nationalite-en-debat-au-Conseil-constitutionnel_article_mainElu socialiste [adjoint à la Mairie de Paris] et avocat de très nombreuses victimes d’actes de terrorisme ou de leur famille, j’aurais sans doute dû me réjouir du projet de déchéance de la nationalité annoncée par le président de la République le 16 novembre dernier devant le Congrès.

Il n’en est rien, précisément parce que, confronté à la difficulté de juger les terroristes et leurs complices, je mesure combien ce projet est contre-nature: il heurte les principes les mieux établis sans offrir une once de sécurité supplémentaire. Pis, il réjouirait presque ceux qu’il entend punir!

Commençons par préciser que la déchéance de nationalité existe dans notre droit et qu’elle n’a jamais empêché le moindre attentat ni dissuadé le moindre apprenti terroriste de passer à l’action. Les articles 25 et 25-1 du Code civil permettent de déchoir de la nationalité par décret tout individu convaincu d’actes graves, en ce compris le terrorisme, si les faits ont été commis dans une période précédant de dix ans l’acquisition de la nationalité ou s’étendant quinze après pour les cas les plus graves. Peu usitée, cette condamnation n’a, à ce jour, été prononcée qu’à six reprises en tout.

Le président de la République a donc annoncé son souhait de voir cette mesure inscrite dans la Constitution afin qu’elle soit étendue aux binationaux y compris «ceux nés Français». Voilà la faute.

Cette mesure étant à la fois existante et dérisoire, on ne peut comprendre la position du président de la République que comme la recherche d’une annonce symbolique. Or, il faut le dire, s’il est ici un symbole en jeu, il est particulièrement funeste car contraire à nos principes, contraire à notre histoire, contraire à la place qui devrait être la nôtre dans le concert des Nations, contraire enfin, à toute logique d’efficacité dans la recherche d’une plus grande sécurité.

Contraire à nos principes, car ce serait sans doute la première fois dans l’histoire de la République que l’on modifierait la Constitution non dans le but de proclamer un droit ou conquérir une liberté, mais pour entamer un principe et revenir sur nos valeurs. Ce serait au sens propre notre première régression constitutionnelle. Hors les cas de naturalisation, un pays ne choisit pas ses ressortissants. Il ne peut davantage, en vertu des conventions internationales, créer d’apatrides. Tout Etat constitué est tenu de conférer une personnalité juridique et une citoyenneté à ses ressortissants sans distinction ni appréciation de leur valeur ou de leur mérite. Et ce qui vaut pour tous les pays, vaut a fortiori pour la République française. La déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France mettrait à mal nos principes et nos usages en cherchant à inscrire notre pays dans une tradition qui n’est pas la sienne.

Contraire à notre histoire parce que si symbole il y a, chacun sait que la déchéance de la nationalité des Français nés de parents étrangers est un totem de l’extrême droite française qui puise aux tréfonds des premières campagnes lepénistes et de la France de Vichy.

Et pour cause, le droit du sol, à savoir le droit de devenir français sous certaines conditions dès lors que l’on naît en France, est un principe presque aussi ancien que la République et avec laquelle il fait corps. L’acquisition de la nationalité par le droit du sol est normalement intangible.

Contraire au rôle que notre pays entend jouer dans le concert des Nations, alors même que les rassemblements populaires en présence de plus de cent chefs d’Etat le 11 janvier 2015 après les attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge [le 8 janvier 2015, à Monrouge, une jeune policière de 26 ans est tuée et un agent de la voirie est très gravement blessé; l’arme a été formellement reconnue comme détenue par Amedy Coulibally qui sera tué lors de l’attaque la superette casher située à la Porte de Vincennes] et de l’Hyper Cacher avaient contribué à forger un nouveau consensus national et une solidarité internationale inconditionnelle.

A-t-on mesuré l’effet calamiteux produit sur nos relations avec des pays proches, comme ceux du Maghreb, victimes aux aussi du terrorisme, si demain nous leur renvoyions à l’issu de leurs peines des terroristes nés, élevés et radicalisés en France parce qu’ils seraient devenus des criminels dans notre pays?

Contraire enfin à toute logique d’efficacité et de renforcement de la sécurité de nos concitoyens. En effet, la déchéance est contraire aux préceptes de notre doctrine répressive. La justice française a en effet compétence, en vertu des conventions internationales, pour punir les auteurs d’actes criminels commis sur le territoire national ou visant des Français, peu importe le lieu de commission de l’infraction et nonobstant la nationalité des auteurs. La France s’est donc octroyé le droit de juger comme un Français, n’importe qui porte atteinte à ses intérêts fondamentaux. C’est une manifestation de sa souveraineté au plan judiciaire et donc de sa puissance.

La peine de déchéance de nationalité s’apparente au contraire à une manifestation d’impuissance, visant à tenir pour étranger celui qui blesse notre pays. Comme si le sort de celui qui devenait criminel regardait désormais d’autres nations davantage que la nôtre.

Elle pourrait finalement s’avérer désastreuse en pratique. Imagine-t-on un Franco-Marocain étant identifié comme ayant été le commanditaire d’un attentat en France et qui serait en Syrie. Rien ne s’opposerait à ce qu’il soit condamné par défaut en France (en son absence) à diverses peines dont la déchéance de nationalité. Il pourrait par le biais des années et des circonstances regagner son second devenu son unique pays de citoyenneté et deviendrait potentiellement inextradable vers la France.

Et pour conclure, ce n’est pas le pire. Le sens d’une peine surtout s’il s’agit d’une des plus sévères est que sa sévérité soit perceptible par tous pour qu’elle puisse avoir une vertu dissuasive et punitive.

Les actes de terrorisme qui se sont abattus sur le territoire français depuis trente ans n’ont pas beaucoup de choses en commun. Mais tous ceux qui ont été commis par des Français, qu’il s’agisse de militants de l’ETA, de nationalistes corses ou plus récemment de jihadistes ont ceci de propre que leurs auteurs ne se considéraient pas comme Français et se revendiquaient d’une autre appartenance pour attenter à la France et à ses citoyens. Ainsi, Mohamed Merah [double national, français et algérien, tué lors de l’assaut du RAID, dans des circonstances sujettes à controverses, après avoir assassiné 7 personnes, dont trois enfants juifs, et blessé six autres, à Toulouse et Montauban, en mars 2012], dans ses échanges avec le RAID (retranscrits dans la presse), déclarait peu avant qu’il soit tué : «Donc euh, j’ai pas fait les choses au hasard et tu le sais comme moi que ce que je fais c’est une obligation. Je suis obligé de le faire, en tant que musulman, si je choisis l’islam comme religion, ce que j’ai fait en FRANCE ou, ou que je le fasse dans un autre pays, c’est une obligation pour moi.»

Déchoir les terroristes de la nationalité française serait une forme de reconnaissance funeste donnée à leur doctrine davantage qu’une punition. Comment dès lors l’envisager comme une sanction exemplaire? Une chose est certaine, cette réforme est un non-sens car on ne peut pas combattre le crime au moyen d’une disposition qui pourrait être une revendication des criminels.

Le gouvernement devrait d’urgence retirer la déchéance de la nationalité du projet de réforme de la Constitution. S’il ne le fait par respect de notre tradition républicaine, par déférence envers le rayonnement de notre pays à travers le monde, qu’il le fasse au moins pour le motif qu’il avait lui-même avancé et qui devrait aujourd’hui et de toute urgence le conduire à renoncer: combattre le terrorisme. (Prise de position publiée sur le site de Libération.fr)

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«L’armée israélienne d’occupation recrute sur notre sol»

Blog Mediapart (Register; lettre au député·e·s)

8622718-13597789Allez, soyons ouverts, nous, et acceptons de débattre avec les députés favorables à la déchéance de nationalité pour des Français sur la base de l’argument principal qu’ils évoquent: « Dès lors où une personne binationale trahit la République et la nation, elle ne peut qu’être déchue de la nationalité d’un pays dont elle rejette les valeurs».

Reconnaissons d’emblée que nos compatriotes qui rejettent les «valeurs de la France» sont nombreux (à commencer par certains politiciens au pouvoir!) et qu’il n’est pas envisagé de les déchoir tous, mais passons.

Passons également sur le fait que cette mesure ne sera sans doute jamais appliquée (si ce n’est à titre posthume !) puisque concernant un très petit nombre d’individus, qui n’en ont strictement rien à faire de cette nationalité française, et qui sont en général des assassins candidats au suicide.

Revenons maintenant sur les cibles de cette «déchéance» : des Français qui combattraient dans une armée étrangère, invoquant une religion, en violation du Droit international, et qui commettraient des crimes de masse passibles de lourdes sanctions. On pourrait effectivement considérer que ces Français «trahissent la République et la Nation», en plus d’en rejeter les valeurs.

Mais il va en falloir des contorsions pour que le futur texte constitutionnel (et surtout les lois et décrets qui le suivront inévitablement!) ne concerne pas aussi et surtout les jeunes Français qui s’engagent, sur des bases religieuses, dans l’armée israélienne (qui recrute sur notre sol même !). Armée d’une occupation officiellement dénoncée par l’ONU et accusée de nombreux crimes de guerre suite à ses meurtres massifs de civils.

En clair, les motifs invoqués pour justifier la déchéance sont ici également réunis.

Mesdames et Messieurs les députés, en votant le texte gouvernemental, vous allez vous-mêmes «trahir la République et la Nation et en rejeter les valeurs». Mais en sacralisant officiellement l’inégalité des Français, vous allez aussi attiser encore davantage les haines, les communautarismes et favoriser le terreau sur lequel prospère le terrorisme. C’est sans doute l’objectif du Premier Ministre [Valls] et consorts pour des raisons purement politiciennes et idéologiques.

Mais vous [députés], personnellement, êtes-vous prêts à assumer toutes ces morts et toutes ces souffrances? Celles des guerres que vous avez approuvées, des victimes de leurs représailles ici même et celles qui risquent de s’y ajouter si vous votiez ce texte infâme? (26 décembre 2015)

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