Ce texte a été adopté par la Coordination fédérale d’Alternative libertaire du 24 janvier 2018. Issu des débats et travaux de la commission Entreprises, il est destiné à circuler le plus largement auprès des militantes et militants syndicaux qui s’interrogent sur les causes de la double défaite et sur les moyens de reprendre l’offensive à partir d’un syndicalisme d’action, porteur d’un projet d’émancipation sociale pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs. Il n’est pas l’expression d’une quelconque fraction au sein de nos organisations syndicales; a contrario, son contenu, les idées qui y sont développées sont mises à disposition de chacune et chacun et libres de droit! (Texte publié dans le Bulletin d’information du Secrétariat Entreprises d’Alternative Libertaire, le 1er février 2018)
La centralité de l’entreprise dans la lutte pour l’émancipation sociale
Pour indiquer «d’où nous parlons», rappelons trois piliers qui soutiennent notre réflexion:
• Nous affirmons la centralité de l’entreprise dans l’affrontement de classes et la construction d’un rapport de forces permettant un changement de société. C’est le lieu concret où s’exerce l’exploitation capitaliste, où s’affrontent directement les intérêts du prolétariat et du patronat. C’est le lieu où se construit, dans les «petites» résistances, offensives et luttes quotidiennes, la conscience de la nécessité pour gagner du «tous ensemble» dans l’entreprise, dans la branche professionnelle, dans la ville comme dans le pays. C’est le lieu où se discute y compris l’enjeu planétaire de l’affrontement de classe quand les capitalistes vont chercher toujours plus loin une main-d’œuvre moins chère, ou l’importent massivement suivant les secteurs économiques. C’est le lieu où l’on comprend aussi que les conquis n’étant jamais définitifs, la double besogne des syndicalistes reste bien de porter aussi un projet de révolution sociale mettant à bas l’économie de concurrence par la socialisation des moyens de production et l’expropriation des capitalistes.
• A l’opposé du syndicalisme d’accompagnement, et à la différence du syndicalisme réformiste, les syndicalistes révolutionnaires s’appliquent à créer les conditions de mobilisations majoritaires ne reculant devant aucune forme de lutte, y compris les plus radicales. Pour y parvenir la démocratie syndicale et l’autogestion des luttes sont indispensables.
• Le communisme autogestionnaire qui demeure notre but final suppose l’appropriation des moyens de production par les productrices et producteurs eux-mêmes afin d’autogérer les productions suffisantes et nécessaires. Notre place au cœur des lieux de production et de circulation de la marchandise est donc indispensable dès aujourd’hui pour demain.
Ces trois affirmations faites, il convient aussi de dire aussi que:
• Lorsque nous parlons de l’entreprise, c’est au sens large du terme; cela inclut les entreprises privées, les entreprises publiques, les administrations, les associations… Cela intègre la sous-traitance (souvent en cascade) qui est devenue depuis assez longtemps maintenant une pratique très répandue. Un des enjeux actuels est de comprendre que cela concerne aussi une grande partie de ce qu’on appelle «l’auto-entreprenariat», derniers eldorados du capitalisme et mode d’exploitation des travailleurs et des travailleuses.
• La centralité de l’entreprise n’en fait pas le terrain unique d’affrontement social; le syndicalisme lui-même sort de l’entreprise et d’autres collectifs militants jouent un rôle important sur bien des sujets transverses.
• La centralité de l’entreprise n’en fait pas un lieu où seule l’exploitation capitaliste existe: d’autres dominations s’exercent dans et hors de l’entreprise. Le syndicalisme se doit de les prendre en compte, pleinement, c’est-à-dire y compris en contribuant à ce que celles et ceux qui en sont les cibles s’auto-organisent. Le syndicalisme que nous mettons en œuvre, internationaliste et antifasciste, intègre la lutte contre le patriarcat, le racisme et la destruction de la planète.
2016-2017: l’impossible élargissement
Disons tout net qu’il ne suffira pas de pointer les défaillances des «directions» confédérales pour comprendre, non seulement la défaite, mais l’impossibilité de faire surgir une mobilisation puissante et ancrée dans les entreprises. Le malaise est plus profond.
Concentrant le tir sur des réformes juridiques complexes qui aboutissent à un profond recul des droits sociaux et syndicaux, la contre-réforme El Khomri et les ordonnances Macron n’offraient pas de prise facile. La mobilisation nécessitait d’expliquer et de faire entendre des enjeux moins évidents à saisir qu’une réforme reculant l’âge de départ à la retraite par exemple.
De ce point de vue, l’ampleur des déserts syndicaux posait un premier problème puisqu’une majorité de salarié·e·s n’a jamais éprouvé, ni l’existence de droits sociaux (Code du travail et conventions collectives), ni celle de droits syndicaux qui permettent, à minima, d’exiger des patrons qu’ils respectent les droits sociaux. Et quand une présence syndicale existe, elle est souvent repliée sur elle-même dans un duel délégués-patrons dont les salarié·e·s restent des spectatrices et spectateurs passifs, faute de réussir [1] à les associer à l’élaboration des revendications et des moyens de lutte.
Dans beaucoup de petites et moyennes entreprises, la présence syndicale fragile repose souvent sur deux ou trois élu·e·s, sans réel soutien des collègues. Dans les plus grandes, des élu·e·s profitent de leurs fonctions pour grimper dans la hiérarchie de l’entreprise, ou utilisent leurs heures de délégation pour aller au restaurant (avec la carte du Comité d’entreprise…) et/ou s’enferment dans les locaux syndicaux. Les guerres intersyndicales prennent parfois des allures sordides de règlement de compte et les élections des délégué·e·s ne sont pas toujours l’occasion de débats de fond sur les revendications et la démocratie ouvrière. Bref, l’expérience pratique des salarié·e·s ne les pousse pas toujours à se mobiliser pour défendre le droit syndical.
Enfin, sous le poids du chômage de masse et de l’emploi précaire, nombre de salarié·e·s n’osent plus se mettre en grève pour défendre leurs revendications immédiates. Globalement, comme le montrent les statistiques publiées par la DARES sur 40 ans ou sur 10 ans (et ce que nous connaissons du terrain), le nombre de jours de grève à l’échelle nationale ne cesse de reculer, même si des grèves continuent à éclore, certaines d’une durée très longue.
La victoire idéologique à propos de «la crise» et la nécessité de faire des sacrifices pour garder son emploi pèsent également. La grande majorité des conflits durs se déroule au moment de licenciements massifs et de fermetures d’entreprises, de restructurations de services. Les consciences aiguisées durant ces conflits se perdent ensuite avec la dispersion du collectif dans l’isolement de chacun et chacune face au chômage. Ainsi, il est difficile d’imaginer que des salarié·e·s qui ne font pas grève lorsque les Négociations annuelles obligatoires (NAO) se soldent par un échec complet vont se mettre en grève pour refuser la baisse du nombre des élu·e·s et l’inversion de la hiérarchie des normes!
De fait, au-delà des reproches qu’il faut adresser aux confédérations comme aux syndicats de base sur la manière dont les enjeux ont été expliqués et les mobilisations ont été proposées [2], tous les révolutionnaires se sont trouvés confrontés à la difficulté d’élargir la mobilisation au-delà d’un noyau, non négligeable et plutôt stable, mais très insuffisant pour gagner. Car pour le camp de la bourgeoisie, l’enjeu était considérable. Il s’agissait, ni plus ni moins, que d’infliger un recul historique dans les capacités du prolétariat à conserver, protéger ses droits et les moyens mêmes de les défendre. Devant un tel enjeu, seule une généralisation de la grève de secteurs importants de l’économie pouvait faire reculer les gouvernements PS/Macron. C’est aussi la conscience du niveau où il fallait construire l’affrontement qui a découragé des militants et militantes, voire plus globalement des secteurs combatifs, qui pensaient que, puisqu’on n’arriverait pas à la grève générale, il ne servait à rien de suivre les journées de grève de 24 heures.
Une démoralisation qui vient de loin
Depuis 1981, les déceptions s’accumulent pour le camp des travailleurs et travailleuses, alors largement structuré par les organisations syndicales et politiques qui portaient le Programme commun [3] de gouvernement comme espoir de changement. Non seulement le changement tel qu’espéré n’est pas venu, mais la destruction de pans entiers de l’industrie a porté un coup violent à nombre de bastions syndicaux. L’effondrement des régimes dits communistes a non seulement profondément déboussolé celles et ceux qui avaient encore des illusions sur le «socialisme réel», mais plus largement, de par l’hégémonie conquise par le camp capitaliste, a conduit à rendre plus difficile pour tous l’idée qu’une alternative au capitalisme est possible, voire souhaitable.
L’accumulation des défaites pèse lourdement sur la génération militante des années 60/70. Les plans massifs de préretraites ont bousculé la construction d’équipes de relève dans les syndicats. Le départ définitif à la retraite de cette génération qui fut particulièrement politisée laisse un vide trop peu comblé. Le recul de l’implication des militants et militantes dans les structures interprofessionnelles témoigne d’une régression de la conscience de classe et signe un repli sur le syndicalisme dans l’entreprise, qui frappe y compris les structures professionnelles (désintérêt vis-à-vis des unions syndicales et fédérations).
L’intervention autoproclamatoire de Mélenchon dans le calendrier des mobilisations avec sa manifestation du 23 septembre a rajouté à la confusion et à la dispersion. Alors qu’il est lui-même, en tant qu’ancien dirigeant socialiste, co-responsable du désarroi politique dans le monde du travail, sa posture remettant en cause les syndicats et la Charte d’Amiens pour revendiquer le droit des partis politiques à diriger les mobilisations sociales est inquiétante pour l’avenir.
Syndicats jaunes et syndicats réformistes
La position des confédérations jaunes (CFDT/UNSA- Union nationale des syndicats autonomes/CFTC- Confédération française des travailleurs chrétiens) a, bien entendu, pesé lourdement contre l’éventuel élargissement. D’abord en donnant du crédit aux «réformes», auprès des salariés. Et si des militants et militantes prenaient leurs distances avec l’enthousiasme de leurs porte-parole nationaux, bien peu d’équipes locales ou fédérales auront osé les contredire et s’engager dans les mobilisations. Il faut ici mesurer que la CFDT a pris la place de FO comme «syndicat maison» dans bien des secteurs, ce qui explique, pour une part, son succès aux élections dans le privé.
Il faut tout autant mesurer que le vote des salarié·e·s pour la CFDT témoigne néanmoins d’une adhésion réelle à un syndicalisme «réaliste». Un important travail de syndicalisation, mené depuis plus de 25 ans, explique aussi la place prise par la CFDT. Si ceci s’est fait sur des bases que nous contestons, voire que nous combattons parfois, il n’en reste pas moins que la construction d’un syndicalisme de masse ne peut nous laisser indifférents.
Paradoxalement, les syndicalistes révolutionnaires ont à regarder de ce côté-là. Il s’agit de critiquer les expériences passées mais tout en reprenant les éléments positifs: par exemple, la volonté collective de prioriser l’implantation dans des secteurs peu syndiqués, qui s’est traduite par le transfert de moyens syndicaux (humains et financiers) issus de secteurs encore forts. Reconnaître le poids de la CFDT aujourd’hui ne signifie pas qu’il faut s’en accommoder; au contraire, il s’agit de combattre cette évolution en comprenant qu’elle n’a rien d’inéluctable.
Voyant la CFDT lui grignoter son terrain, et ne tirant guère avantage de la posture combative de 2016, la direction de FO a fait volte-face en 2017. Ce changement d’attitude de FO a également pesé. Même mis en minorité par son Comité confédéral national (CCN), Jean-Claude Mailly [secrétaire générale de FO] aura largement réussi à désarmer ses troupes sans qu’il semble que l’épisode ouvre une crise ouverte dans cette confédération.
Contrairement à 2010 où la direction confédérale CGT s’était mise délibérément en travers de la recherche d’une grève générale alors que le mouvement était massif, Philippe Martinez qui prenait les rênes lors d’un congrès en pleine séquence contre El Khomri a affiché une attitude plus combative, acceptant d’intégrer la nécessité de mettre la grève générale en débat dans les entreprises. Le débat sur l’interprétation de ce changement n’est pas clos: réel tournant «à gauche» ou simple posture? Et si tournant «à gauche», encore faudrait-il aborder le rapport à l’unité qui est loin d’être neutre.
En tout cas, bien peu de secteurs ont réellement «mis la grève générale en débat» et moins encore ont réussi à la réaliser! Se contenter d’accuser la direction confédérale serait ne pas comprendre qu’une large partie des directions syndicales intermédiaires et d’entreprises ne se sont pas mobilisées à la hauteur des enjeux. C’est pourquoi, si nous reprochons à la direction confédérale CGT de n’avoir pas lancé l’appel clairement à une grève générale reconductible, ou à tout le moins à plusieurs jours de grève consécutifs pour tenter d’amorcer la pompe, nous doutons de l’impact qu’aurait eu dans ce contexte un appel clair.
L’Union syndicale Solidaires, malgré une position nationale plus offensive et volontaire, n’a pas non plus démontré une capacité à enclencher un mouvement significatif dans quelque secteur que ce soit, au contraire de ce qu’on a pu connaître lors de séquences similaires ces dernières années. Elle a représenté cela dit un outil intéressant, faisant dans une certaine mesure le lien entre les différentes composantes et problématiques du mouvement social en cours (intersyndicale, nuit debout, luttes contre les violences policières…).
La FSU [Fédération syndicale unitaire, enseignement], frappée de plein fouet par le basculement générationnel, est restée globalement en retrait sur des sujets où ses syndiqué·e·s ne se sentaient pas toujours directement concernés.
Si la CNT-SO [Confédération Nationale des Travailleurs – Solidarité ouvrière] mène des luttes importantes dans quelques secteurs et localités, cela ne s’est pas traduit par des mouvements reconductibles. La faiblesse de la CNT ne lui permet pas de peser sur l’entrée en grève reconductible de quelques secteurs que ce soit.
Pour que le tableau soit complet, remarquons que la CGC [Confédération générale des cadres], dont les positions ne sont pas stabilisées entre la fonction servile des cadres dirigeants et la massification des ingénieurs de production, peut tenir des discours variables… Mais reste marginale en termes de rapport de forces.
Il reste une interrogation possible sur l’attitude qu’auraient prise Martinez et la direction confédérale CGT face à une généralisation qui serait partie de la base. La réponse est bien entendu difficile à donner. Mais il est sans doute possible d’affirmer que les bureaucrates jaunes et les bureaucrates réformistes jouent aujourd’hui deux registres bien différents pour être «l’interlocuteur incontournable», ce qui est le rêve de toute bureaucratie syndicale depuis l’entreprise jusqu’au plan national.
Pour le bloc des jaunes CFDT/CFTC/UNSA, leur fonction reconnue par la bourgeoisie est d’éviter que des grèves ne se déclenchent. Ils sont largement gratifiés par le patronat et le gouvernement pour ce rôle. Il semble que FO cherche à revenir dans la course à cette reconnaissance.
Cependant le macronisme marque une étape nouvelle dans la «refondation sociale» voulue par une partie du patronat et des tenants d’un renouveau du management. Dans la logique de liquidation des «corps intermédiaires», le syndicalisme institutionnel n’a qu’une place résiduelle, il est même perçu comme inutile, voire comme un frein. La vocation du syndicalisme d’accompagnement à sembler codécider s’en trouve ruinée, ce qui explique la colère de la CFDT, privée des mesures sur le mandatement qui lui tenait à cœur dans les ordonnances 2017.
Le Conseil d’Entreprise, qui revient à une autoliquidation des syndicats en échange de mesures de cogestion partielle va dans le même sens: l’intégration non plus seulement des cadres syndicaux mais des salariés eux-mêmes. A contrario, le rapport sur l’entreprise demandé à Nicole Notat, ex-dirigeante CFDT, et au patron de Michelin [Jean-Dominique Sénard] pourrait déboucher sur une place plus grande pour les représentants syndicaux dans les conseils d’administration. La bourgeoisie n’a pas de doctrine unique sur la meilleure méthode pour effacer la conscience de classe.
La CGT (et dans une moindre mesure la FSU dans les limites de son implantation) serait alors l’ultime recours des patrons pour trouver les compromis et faire cesser la grève si elle démarre malgré tout. Quant à l’Union syndicale Solidaires, n’ayant pas eu l’occasion de tenir ce rôle au plan national, il est impossible de jurer qu’elle tiendrait bon en tant qu’outil national interprofessionnel, pour transformer une grève générale en épisode révolutionnaire.
Variantes sur la gauche sociale
Beaucoup d’appels à l’unité et à l’action ont été produits en peu de temps, témoignant de l’exaspération de militantes et militants frustrés par l’inaction et de la difficulté à créer les conditions de l’action au niveau nécessaire. Hélas, aucun d’entre eux ne produisit l’effet escompté. Passons sur les efforts de Copernic dont les productions, quelle qu’en soit la qualité, n’ont pas de retentissement réel dans le corps syndical. En 2016, c’est «On bloque tout» qui restera en mémoire, construisant un éphémère et impuissant réseau de syndicats dont l’objet clairement affiché était d’aider à mener le débat sur la nécessité d’une grève nationale interprofessionnelle reconductible. «On bloque tout» mettait en avant l’importance de mobiliser les collectifs militants dans l’unité la plus large et se refusait à construire un outil fractionnel. Il en reste des relations de confiance tissées qui pourront resservir. En 2017, c’est le Front Social qui a occupé le terrain. Localement, il a permis la construction de quelques regroupements militants, mais n’aura pas réussi à faire la démonstration de la validité de son discours selon lequel les travailleurs et travailleuses n’attendent qu’un signe pour se lancer dans une action résolue, jusque-là entravée par l’inertie des directions syndicales.
Le phénomène des cortèges de tête a lui aussi attiré parfois des militants syndicaux qui se désespèrent des manifestations où dominent voitures, ballons et mojitos. Dans quelques villes des rapprochements ont été possibles entre les animateurs de ces cortèges et des structures syndicales. Au plan national depuis l’opération «La chasse aux DRH» se maintient un réseau de débat et d’action entre syndicalistes et des acteurs de l’autonomie. Mais tout cela ne concerne qu’un cercle très restreint de militants et de militantes.
Nous retiendrons enfin que, surtout en 2016, la mise en place d’AG interprofessionnelles et intersyndicales a permis de construire localement des actions fortes, des solidarités utiles. Si des militants et militantes d’AL se sont engagés dans toutes les tentatives de rassemblement pour l’action évoquées précédemment, disons clairement que ces AG locales restent notre boussole stratégique, préfigurant la nécessité d’un comité autogéré de grève locale pour le jour de «la générale». Mais nous parlons bien là d’assemblées générales rassemblant des personnes en grève et voulant renforcer la grève là où elle existe et l’élargir à d’autres secteurs. Pour faire le lien avec notre souci de démocratie sociale et ouvrière, elles doivent reposer sur des assemblées générales tenues dans les entreprises, au plus près des services.
Le syndicalisme révolutionnaire, utile pour la révolution
Il est prioritaire de rendre aux Unions locales syndicales une vraie vie au-delà des permanences juridiques et de l’accompagnement des délégué·e·s des petites entreprises: non seulement pour assurer une coordination réelle de l’activité syndicale sur un bassin d’emploi, mais aussi pour reprendre ce qui faisait la force des premières Bourses du travail: les activités de formation syndicale, d’éducation populaire et de soutien aux luttes sur l’ensemble du champ social: logement, consommation…
Sur ces sujets et sur bien d’autres, des associations existent désormais et jouent un rôle non négligeable. Il en est de même vis-à-vis des associations qui se définissent comme «citoyennes» et/ou «d’éducation populaire». Le syndicalisme révolutionnaire de ce 21ème siècle doit trouver la forme et les moyens de les insérer dans la dimension de classe dont il est porteur. Cela, sans remettre en cause leur auto-organisation, leur autonomie de décision et d’action… L’équilibre n’est pas évident mais il est indispensable.
Les acquis du syndicalisme révolutionnaire seront utiles pour répondre aux nouveaux défis posés au syndicalisme par les régressions successivement imposées. Démocratie syndicale, démocratie directe, rotation des mandats, démarche unitaire, action directe ne refusant aucune méthode aboutissant au blocage de la production et de la circulation des marchandises: piquets, sabotages, grève du zèle… Paradoxalement l’effritement du tissu syndical dégage des horizons renouvelés pour un retour aux sources et ouvre des perspectives enthousiasmantes de reconstruction, partiellement libérées du poids écrasant des vieux appareils politiques traditionnels.
La loi impose désormais la parité homme/femme dans la composition des listes pour les élections professionnelles. Il est dommageable que ce soit la loi qui définisse en partie comment les syndiqué·e·s choisissent leurs représentant·e·s, mais c’est l’occasion pour les femmes de s’imposer dans un monde syndical encore très masculin.
L’inversion de la hiérarchie des normes va faire peser sur les délégué·e·s syndicaux un poids énorme, puisque c’est à eux que les patrons proposeront de signer des accords dérogatoires; de même, pour les élu·e·s dans les Conseils d’entreprise, là où ces derniers seront créés. Les structures syndicales auront à être très vigilantes pour aider les DS et les élu·e·s à résister aux chantages que les patrons ne manqueront pas d’exercer, y compris en manipulant une partie des salarié·e·s.
Pour conclure, disons que la tâche des militantes et militants révolutionnaires s’articule aujourd’hui autour de quelques enjeux prioritaires:
• En 2017 la pression policière sur les manifestations a été moins violente qu’en 2016. Mais la répression contre les actions syndicales qui débordent du cadre et les militants syndicaux reste très forte. L’organisation de la solidarité avec les victimes est une chose mais il y a un enjeu à maintenir des pratiques ouvrières offensives, là où les directions syndicales sont tentées par la prudence.
• Défendre les outils syndicaux existants, en tant que moyens de résistance de la classe ouvrière. C’est nécessaire d’un point de vue pratique, pour limiter la casse sociale, voire gagner sur des revendications. Ça l’est aussi dans le cadre de la guerre sociale qui est menée: la classe ouvrière doit garder ses capacités d’auto-organisation. Cela ne dispense pas d’une critique du fonctionnement de ces outils: la création d’un Comité social d’entreprise qui fait disparaître DP, CE et CHSCT [comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail] est une défaite de notre camp, mais objectivement, combien de militantes et militants syndicaux passe un temps invraisemblable dans des réunions sans intérêt, au sens où elles ne permettent pas de construire la moindre action collective?
• Construire des collectifs syndicaux de base, partout où c’est possible. Cela renvoie aux débats sur le travail syndical interprofessionnel (pour permettre ces implantations dans de nombreux cas), aux pratiques autogestionnaires et démocratiques dans le quotidien (pour contribuer à leur appropriation par la masse des travailleurs et des travailleuses), à la prise en charge des revendications immédiates et aux combats à mener pour les satisfaire (pour redonner confiance dans l’action collective), aux priorités à donner à la formation et à l’information syndicales, dont les contenus et les formes doivent être sans cesse repensés afin de correspondre aux besoins (pour favoriser le renouvellement et le renforcement militants, en s’appuyant sur les forces déjà disponibles).
• Impulser dans les collectifs militants des débats associant le maximum de syndiqué·e·s sur l’avenir de l’outil commun de classe qu’est le syndicalisme: unité, unification, prise en compte et autonomie des «mouvements sociaux», affirmation du rôle politique du syndicalisme, etc. De même, il nous faut mettre en avant et débattre des alternatives qui peuvent se construire face à l’organisation capitaliste du travail. Tout ceci, en prenant soin de partir de situations concrètes, afin de ne pas en faire des discussions entre spécialistes.
• Rester disponibles à toute initiative, sans considérer que tout ce qui s’agite est positif. Organiser des actions minoritaires n’est évidemment pas un interdit; mais cela peut devenir contre-productif lorsque l’entre-soi militant devient l’alpha et l’oméga et/ou qu’une radicalité mythifiée remplace la construction de vrais rapports de forces favorables à notre classe sociale, capables d’entraîner vers une transformation radicale de la société, une révolution. De même, l’objectif de la grève générale reconductible (inter)nationale demeure et nous y travaillons; mais en faire la seule action valable est clairement contre-productif puisque contribuant à affaiblir nos forces par le découragement de nombreux et nombreuses camarades.
• Afficher clairement la nécessité de construire une organisation révolutionnaire parmi les travailleurs et les travailleuses, avec pour boussole politique le renversement de la société capitaliste par la grève générale, et l’autogestion de la production. Loin de vouloir sauver le syndicalisme à tout prix, il s’agit d’œuvrer, dans la phase historique actuelle, au maintien des capacités d’organisation collective des travailleurs et des travailleuses, dans une perspective révolutionnaire affirmée à travers les priorités concrètes que nous nous donnons.
____
[1] Parfois, c’est faute d’avoir essayé de les associer…
[2] Les militants et militantes révolutionnaires ne sauraient s’exonérer de tous ces « reproches » qui sont en fait seulement un élément du bilan collectif.
[3] Le Programme commun, signé en 1972 entre le PCF, le PS et les Radicaux de gauche, sera pleinement porté par la CGT nationalement mais aussi par des secteurs de la CFDT et de la FEN.
Soyez le premier à commenter